Nouveau Règlement sur le traitement des plaintes et le règlement des différends dans le secteur financier : vers une uniformisation des pratiques

Le 15 février dernier, l’Autorité des marchés financiers (« l’Autorité ») publiait la version finale du nouveau Règlement sur le traitement des plaintes et le règlement des différends dans le secteur financier (le « Règlement »)1. Ce règlement, dont l’objectif annoncé est de rehausser et d’uniformiser le traitement équitable des plaintes dans l’ensemble du secteur financier, entrera en vigueur le 1er juillet 20252.

Le Règlement s’applique à toutes les institutions et à tous les intermédiaires financiers soumis à l’encadrement de l’Autorité, ainsi qu’aux agents d’évaluation du crédit. L’article 4 du Règlement définit les intermédiaires financiers comme toute « personne ou société inscrite à titre de cabinet, de société autonome ou de représentant autonome en vertu de la Loi sur la distribution de produits et services financiers » et toute « personne inscrite à titre de courtier ou de conseiller en vertu de la Loi sur les instruments dérivés ou de la Loi sur les valeurs mobilières ».

L’obligation d’adopter une politique de traitement des plaintes et de tenir un registre de plaintes n’est pas nouvelle : chacune des lois sectorielles en vertu desquelles le Règlement est adopté le prévoyait déjà. La nouveauté apportée par le Règlement concerne plutôt la façon dont les plaintes doivent être traitées. En ce sens, il complète les lois sectorielles et les lignes directrices adoptées en vertu de celles-ci. Les dispositions du Règlement s’ajouteront donc aux obligations générales déjà en vigueur afin d’en préciser la mise en application.

En ce qui concerne les intermédiaires financiers, le chapitre II3 du Règlement aura pour effet d’harmoniser leurs obligations à celles des institutions financières et des agents d’évaluation du crédit en prévoyant un encadrement similaire à celui établi par les lignes directrices applicables à ceux-ci. Le Règlement s’ajoutera ainsi aux articles 168.1.1 et suivants de la Loi sur les valeurs mobilières afin notamment de prévoir la façon dont les plaintes devront être reçues et assignées en vue de leur traitement.

Les courtiers en placement et les courtiers en épargne collective membres de l’Organisme canadien de réglementation des investissements (l’« OCRI ») seront dispensés de l’application du Règlement, dans la mesure où ils sont assujettis à des règles équivalentes adoptées par cet organisme et approuvées par l’Autorité4. Cependant, il convient de noter que ces courtiers seront soumis au Règlement pour toute autre activité qu’ils sont autorisés à exercer en vertu d’une inscription à un autre titre.

 

Plaintes : que vise le Règlement?

L’article 3 du Règlement définit une plainte comme étant :

« tout reproche ou toute insatisfaction à l’égard d’un service ou d’un produit offert par une institution financière ou un intermédiaire financier qui lui est communiqué par une personne faisant partie de sa clientèle et pour lequel une réponse finale est attendue. »

Cette définition s’applique également aux agents d’évaluation du crédit, « lorsque le reproche ou l’insatisfaction lui est communiqué par une personne concernée sur qui il détient un dossier ».

Le Règlement précise qu’une réponse finale sera notamment attendue lorsque l’auteur de la plainte demande, de façon expresse ou implicite, que des mesures soient prises pour y remédier.

Le Règlement prévoit spécifiquement que ne constitue pas une plainte :

  • Les demandes de renseignements ou de documents formulées à l’égard d’un produit ou d’un service offert;
  • Une demande d’accès ou de rectification faite en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé;
  • Une demande d’indemnité ou toute autre réclamation d’assurance;
  • Une demande visant la correction d’une erreur de calcul ou d’écriture, sauf celles nécessitant la prise d’autres mesures afin de remédier aux conséquences de cette erreur5;
  • La communication d’un commentaire ou d’une rétroaction.

L’assujetti a la responsabilité de départager, parmi les communications reçues, celles qui constituent des plaintes au sens du Règlement. Cette responsabilité pourrait présenter certains défis considérant notamment que le plaignant n’a pas à indiquer en termes exprès dans sa communication qu’il souhaite obtenir une mesure correctrice ou qu’il s’agit d’une plainte pour qu’elle doive être considérée ainsi6.

 

Obligations accrues : assistance à la clientèle dans la formulation des plaintes

Le Règlement prévoit une série d’obligations précises pour les institutions financières, les intermédiaires financiers et les agents d’évaluation du crédit. Ces obligations comprennent notamment :

  • Rédiger tout document d’information portant sur le traitement des plaintes et le règlement des différends dans une forme claire, lisible, précise et non trompeuse;7
  • S’assurer que les membres du personnel utilisent un langage clair et simple pour toute interaction avec l’auteur de la plainte;8
  • Prendre les mesures nécessaires pour comprendre les communications qui leur sont adressées et assister, lorsque nécessaire, la personne qui formule une plainte9. Cela implique de faire preuve de diligence et, parfois, aller au-delà du simple texte des communications reçues pour tenter de comprendre le réel besoin que l’auteur de la plainte tente d’exprimer et l’aider à faire cheminer sa plainte;
  • Lorsqu’une plainte reçue peut avoir des répercussions sur d’autres personnes faisant partie de leur clientèle, prendre les mesures nécessaires pour y remédier.10
  • Lorsqu’une plainte reçue concerne plusieurs institutions, intermédiaires ou agents, en informer l’auteur de la plainte et l’informer de son droit de formuler une plainte à l’égard de ces autres institutions, intermédiaires ou agents, ainsi que lui fournir les renseignements afin de lui permettre de communiquer avec elles11.

 

Traitement des plaintes

L’article 14 du Règlement prévoit la façon dont une plainte reçue doit être traitée et le délai dans lequel elle doit l’être. Les institutions financières, les intermédiaires financiers et les agents d’évaluation du crédit devront ainsi :

1. Constituer un dossier de plainte contenant tous les documents énumérés à l’article 18 du Règlement afin de document adéquatement le traitement de la plainte;

2. Consigner la plainte à leur registre des plaintes;

3. Transmettre un accusé de réception à l’auteur de la plainte;

4. Communiquer par écrit une réponse finale concernant la plainte reçue à l’auteur de celle-ci.

Nouveauté pour les intermédiaires financiers : ceux-ci devront dorénavant désigner une personne responsable du traitement des plaintes qui supervisera le travail des membres du personnel qui se verront confier le traitement des plaintes reçues12. En ce qui concerne les institutions financières et les agents d’évaluation du crédit, cette obligation est déjà prévue dans les lignes directrices qui leur sont applicables.

Le Règlement prévoit qu’une réponse finale doit être donnée dans les 60 jours de la réception de la plainte13, à moins que des circonstances exceptionnelles ou hors du contrôle de l’assujetti ne soient en cause, auquel cas la réponse finale doit être communiquée dans un délai maximal de 90 jours14. Il s’agit d’une nouveauté importante, puisque si les différentes lignes directrices applicables en la matière prévoyaient déjà que les plaintes devaient être traitées avec diligence, il s’agit de la première fois où l’Autorité établit un délai strict à respecter pour se faire. Par ailleurs, les règles de l’OCRI en matière de traitement des plaintes prévoient quant à elles que les plaintes doivent être traitées dans un délai maximal de 90 jours. Puisque le Règlement prévoit que les courtiers membres de l’OCRI seront dispensés de son application dans la mesure où ils sont soumis à des règles équivalentes adoptées par cet organisme, il sera intéressant de voir si et comment l’OCRI modifiera ses règles, notamment afin de les harmoniser avec le délai de traitement des plaintes prévu au Règlement.

Les institutions financières, les intermédiaires financiers et les agents d’évaluation du crédit devront faire preuve de prudence et s’assurer de bien documenter le dossier de plainte lorsque le délai de 60 jours devra être dépassé, afin de s’assurer de pouvoir justifier le délai additionnel requis pour fournir une réponse finale. En effet, le non-respect de cette obligation sera passible d’une sanction administrative pécuniaire de 1 000 $ pour les institutions financières et les agents d’évaluation de crédit ou d’une poursuite devant le Tribunal administratif des marchés financiers pour les intermédiaires financiers.

Lorsque la réponse finale contiendra une offre de règlement, l’institution financière, l’intermédiaire financier ou l’agent d’évaluation du crédit devra accorder à l’auteur de la plainte un « délai raisonnable » pour évaluer cette offre et y répondre15. Le Règlement ne prévoit pas ce qui constitue un délai raisonnable. Toutefois, on y précise que ce délai doit notamment permettre à l’auteur de la plainte d’être conseillé aux fins d’une prise de décision éclairée, s’il le souhaite16.

Si l’auteur de la plainte accepte l’offre qui lui est formulée, l’institution financière, l’intermédiaire financier ou l’agent d’évaluation du crédit devra y donner suite au plus tard dans les 30 jours suivant l’acceptation de cette offre17. Ce délai pourra toutefois être prolongé, avec le consentement de l’auteur de la plainte, lorsque l’intérêt de ce dernier le justifie.

La communication d’une réponse finale à l’auteur de la plainte ne met toutefois pas fin automatiquement au processus. L’institution financière, l’intermédiaire financier ou l’agent d’évaluation du crédit devra en effet continuer à gérer les échanges additionnels avec l’auteur de la plainte, le cas échéant, notamment afin de lui permettre de soumettre de nouveaux faits pertinents au traitement de sa plainte, pour répondre à ses questions ou pour assurer le suivi de ses commentaires, et ce, « jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de mesures à prendre relativement à la plainte ». Puisque le Règlement ne précise pas à quel moment il n’y a plus de mesures à prendre, il sera prudent, encore une fois, de bien documenter le traitement de la plainte afin de pouvoir démontrer, advenant une inspection de l’Autorité par exemple, que toutes les mesures raisonnablement attendues dans les circonstances ont été prises.

 

Traitement accéléré de certaines plaintes

Certaines plaintes pourront faire l’objet d’un traitement simplifié. Il s’agit de celles pouvant être réglées à la satisfaction de leur auteur dans un délai de 20 jours suivant leur réception, soit parce que ce dernier accepte l’offre qui lui est présentée ou soit parce qu’il acquiesce au résultat du traitement de sa plainte18.

Lorsqu’une plainte peut faire l’objet d’un traitement simplifié, la conclusion motivée de l’analyse de la plainte et de son traitement, ainsi que l’offre visant à régler la plainte, le cas échéant, pourront être communiquées verbalement ou par écrit19. Le dossier de plainte pourra alors contenir un résumé des éléments communiqués verbalement à l’auteur de la plainte20.

Lorsque la plainte ne peut être réglée à la satisfaction de son auteur, un accusé de réception écrit et conforme aux prescriptions de l’article 22 du Règlement devra alors être transmis au plus tard le vingtième jour suivant la réception de la plainte21. Le processus de traitement des plaintes standard devra alors être suivi.

 

Mise en application et sanction du Règlement

Afin d’assurer l’application du Règlement, les articles 34 à 36 de celui-ci prévoient des sanctions administratives pécuniaires variant de 1 000 $ à 5 000 $ en fonction du manquement commis.

Ainsi, de manière générale, le non-respect des règles de constitution d’un dossier de plainte et de communication à l’auteur d’une plainte des renseignements prévus par le Règlement entraînera une sanction de 1 000 $22.

Le non-respect du délai pour donner suite à une entente avec l’auteur d’une plainte ou pour conserver un dossier de plainte sera passible d’une sanction de 2 500 $23. Enfin, une contravention aux règles encadrant la formulation d’une offre pourra entraîner une sanction de 5 000 $24. Ces règles interdisent notamment d’assortir une offre de conditions visant à empêcher l’auteur de la plainte de communiquer avec l’Autorité, un organisme d’autoréglementation du secteur financier, ou avec la Chambre de la sécurité financière ou la Chambre de l’assurance de dommages.

Ces sanctions administratives pécuniaires ne seront applicables qu’aux institutions financières et aux agents d’évaluation du crédit. Les intermédiaires financiers sont, de leur côté, soumis à la juridiction du Tribunal administratif des marchés financiers. Celui-ci pourra ainsi imposer toute pénalité administrative qu’il jugera appropriée dans les circonstances, sous réserve du maximum prévu de deux millions de dollars. Il est toutefois raisonnable de croire qu’en présence d’un manquement prévu au Règlement, le Tribunal administratif des marchés financiers imposera une pénalité similaire à celles qui y sont prévues.

 

Conclusion

Bien qu’il apporte quelques nouveautés, le Règlement a surtout pour effet d’intégrer spécifiquement au Règlement certaines attentes des lignes directrices de l’Autorité et d’harmoniser certaines pratiques en matière de traitement des plaintes dans l’industrie des marchés financiers. Ainsi, les institutions financières, les intermédiaires financiers et les agents d’évaluation du crédit seront soumis à des obligations similaires, et ce, afin d’assurer un traitement équitable des consommateurs et un traitement diligent des plaintes reçues.

Les institutions financières, intermédiaires financiers et agents d’évaluation du crédit ont intérêt à réviser au cours des prochains mois leur Politique de traitement des plaintes afin de la rendre conforme aux nouvelles exigences en vue de l’entrée en vigueur du Règlement le 1er juillet 2025. Pour toute question ou tout conseil, n’hésitez pas à contacter notre équipe qui se fera un plaisir de vous assister.

__________

1 Adopté en vertu de la Loi sur les agents d’évaluation du crédit (c. A -8.2), de la Loi sur les assureurs (c. A -32.1), de la Loi sur les coopératives de services financiers (c. C -67.3), de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (c. D -9.2), de la Loi sur les institutions de dépôts et la protection des dépôts (c. I -13.2.2), de la Loi sur les instruments dérivés (c. I -14.01), de la Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne (c. S -29.02) et de la Loi sur les valeurs mobilières (c. V -1.1)
2 Art. 38 du Règlement.
3 Ce chapitre s’appliquera uniquement aux intermédiaires financiers, tels qu’ils sont définis à l’article 4 du Règlement, à l’exclusion des institutions financières et des agents d’évaluation du crédit.
4 Art. 37.
5 Art. 3, al. 5.
6 Les mots « en termes exprès ou de façon implicite » employés au troisième alinéa de l’article 3 couvrent un large éventail de communications possible, ayant pour effet d’éviter que des plaintes soient écartées.
7 Art. 11.
8 Art. 11.
9 Art. 12.
10 Art. 13.
11 Art. 17.
12 Art. 8.
13 Art. 14 (4).
14 Art. 14 (5).
15 Art. 15.
16 Art. 15, al. 2.
17 Art. 15, al. 3.
18 Art. 25.
19 Art. 27.
20 Art. 29.
21 Art. 28.
22 Art. 34.
23 Art. 35.
24 Art. 36.

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