L’éclairage nécessaire de la Cour d’appel sur la question de la protection quasi-constitutionnelle de la situation parentale au Québec

Introduction

Dans cette affaire, le Syndicat canadien de la fonction publique (le « Syndicat »), qui représente des chauffeurs d’autobus et du personnel des services connexes à l’emploi du Réseau de transport de Longueuil (l’« Employeur »), alléguait par le biais d’un grief collectif qu’une disposition de la convention collective portant sur l’octroi d’un congé d’assiduité était discriminatoire à l’égard des employés s’étant prévalus d’un congé de maternité, de paternité ou d’un congé parental. Cette clause prévoyait comme conditions d’obtention de ce congé d’assiduité un cumul maximal de trois (3) occurrences et de dix (10) jours d’absence durant l’année de référence et énumérait certains types d’absences qui, en guise d’exceptions, ne devaient pas être pris en compte dans ce calcul, notamment les congés sociaux et les libérations syndicales. Ces exceptions n’incluaient toutefois pas les congés parentaux.

Le recours du Syndicat, entrepris en vertu des articles 10 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne1 (la « Charte »), alléguait une discrimination fondée sur le sexe, la grossesse ainsi que l’état civil, soutenant ainsi que ce dernier motif devait être interprété comme incluant la « parentalité » ou la « situation familiale ». Pour sa part, l’Employeur soutenait que l’exclusion de ces trois (3) congés des exceptions prévues à la clause résultaient des négociations entre les parties et s’expliquaient par leur longue durée, contrairement aux congés sociaux, et par l’objectif du congé d’assiduité qui visait à reconnaître la régularité de la prestation de travail des salariés.

L’arbitre a rejeté le grief et a conclu que la clause n’était pas discriminatoire2. La Cour supérieure a confirmé la sentence arbitrale en rejetant le pourvoi en contrôle judiciaire du Syndicat3. Tout récemment, la Cour d’appel a rejeté l’appel du Syndicat et a ainsi confirmé le caractère raisonnable de la sentence arbitrale4.

 

Analyse

Discrimination fondée sur l’« état civil »

D’abord, la Cour d’appel a réitéré sa conclusion précédemment rendue en 2010 dans l’arrêt SIISNEQ5 et réaffirmée quelques années plus tard dans l’arrêt Beauchesne6, à l’effet que l’état parental n’était pas un motif de discrimination inclus dans l’état civil, et qu’il s’agissait d’une « erreur de base » que de faire une « adéquation de nécessité qui n’existe pas entre congé parental, condition parentale et condition d’état civil7 ».

À cet égard, la Cour d’appel reproche notamment au Syndicat de prétendre qu’il existe une jurisprudence contradictoire en référant à des décisions rendues par le Tribunal des droits de la personne (le « Tribunal »)8, faisant ainsi fi, de façon injustifiée, du principe du stare decisis vertical. La Cour d’appel indique ainsi que le Tribunal aurait plutôt « mis en veilleuse » l’enseignement de la Cour d’appel sur cette question dans certaines de ses décisions9. La Cour d’appel rappelle du même souffle l’importance fondamentale de l’ordonnancement judiciaire au Québec pour le maintien d’une saine stabilité sociojuridique10.

La Cour d’appel renforce cet argument en indiquant notamment que même si la Charte commande une interprétation large et libérale, il importe de prendre en compte que, contrairement au paragraphe 15 (1) de la Charte canadienne11, l’énumération des motifs de discrimination protégés à l’article 10 de la Charte est exhaustive12. La Cour d’appel précise par ailleurs que l’opportunité d’un tel ajout relève du législateur et qu’il est « révélateur » que celui-ci se soit abstenu d’aller de l’avant jusqu’à présent malgré des propositions faites en ce sens par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse en 201813.

Discrimination fondée sur la « grossesse » ou le « sexe »

En outre, la Cour d’appel a analysé si l’exclusion du congé de maternité des congés qui ne sont pas pris en compte aux fins de l’octroi du congé d’assiduité constituait une forme de discrimination fondée sur la grossesse ou le sexe; l’application de ces motifs en l’espèce n’ayant, sans surprise, pas fait l’objet d’une contestation. Sur cette question, le Syndicat alléguait que l’arbitre avait recouru à un groupe de salariés inapproprié avec lequel comparer la situation des salariés en congé de maternité en écrivant: « [r]econnaître à la salariée qui a bénéficié d’un congé de maternité un droit à un congé d’assiduité reviendrait à lui accorder un avantage dont seraient privés tous les autres salariés qui se sont absentés plus de dix jours au cours de cette année »14.

La Cour d’appel a toutefois confirmé la raisonnabilité de ce groupe de comparaison indiquant qu’en l’espèce, la comparaison de la salariée en congé de maternité avec les personnes en congé de paternité ou en congé parental, ou même en congé à traitement différé15, dont l’exclusion n’était pas fondée sur un motif protégé, menait à la conclusion que la salariée en congé de maternité n’avait pas été exclue en raison de sa grossesse, mais plutôt comme les autres comparables, en raison de la durée du congé et de l’objectif du congé d’assiduité. La Cour d’appel a donc conclu qu’il y avait en l’espèce absence de traitement discriminatoire16.

Enfin, bien que cela n’était pas requis, la Cour d’appel a tout de même abordé le troisième élément constitutif de discrimination au sens de l’article 10 de la Charte et a conclu qu’une analyse contextuelle ne mettait pas en évidence que la salariée, qui s’absentait pour un congé de maternité, subissait un préjudice réel du fait qu’elle ne pouvait se prévaloir du congé d’assiduité. Parmi les éléments analysés, la Cour d’appel a tenu compte de la durée du congé de maternité, soit 18 semaines, ainsi que des divers avantages et indemnités prévus à la convention collective qui équivalaient ou surpassaient ceux prévus dans la Loi sur les normes du travail17 et le Régime québécois d’assurance parentale18, d’une part, et ceux dont bénéficiaient les salariés du groupe de comparaison, d’autre part19.

 

Conclusions

Cet arrêt récent de la Cour d’appel vient ainsi clarifier l’état du droit et dissiper toute ambiguïté sur le fait que la situation familiale ou parentale n’est pas protégée par l’article 10 de la Charte et par le fait même, rectifier un certain glissement qui se faisait sentir dans la jurisprudence de certains tribunaux inférieurs20.

Cet arrêt vient également, à notre avis, apporter un éclairage intéressant sur le choix du groupe de comparaison approprié dans l’analyse de l’aspect discriminatoire ou non d’une clause de convention collective qui prévoit un avantage pour les salariés en lien avec la prestation de travail effectivement et régulièrement accomplie, telle que la clause d’assiduité en l’espèce, alors que l’inclusion de ce type de clause n’est pas rare et amène souvent son lot de questionnements quant au droit à l’égalité de certains salariés.

__________

1 RLRQ, c. C -12.
2 Syndicat canadien de la fonction publique, Section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, 2020 QCTA 295.
3 Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Martin, 2021 QCCS 4894.
4 Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, 2024 QCCA 204.
5 Syndicat des intervenantes et intervenants de la santé nord-est québécois (SIISNEQ) (CSQ) c. Centre de santé et de services sociaux de la Basse-Côte-Nord, 2010 QCCA 497 « SIISNEQ »].
6 Beauchesne c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301), 2013 QCCA 2069, [« Beauchesne »], paragr. 102.
7 SIISNEQ, paragr. 25.
8 Par exemple : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Boismenu et autres) c. 9233-6502 Québec (Le Balthazar Centropolis), 2019 QCTDP 30.
9 Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, supra, note 4, paragr.63.
10 Id., paragr. 66.
11 Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
12 Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, supra, note 4, paragr. 71.
13 Id., paragr. 73 à 76.
14 Id., paragr. 80 et 81.
15 Il s’agissait d’un congé d’une durée minimale de trois mois et qui, lui aussi, ne faisait pas partie des types de congés non comptabilisés aux fins de l’octroi du congé d’assiduité.
16 Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, supra, note 4, paragr. 85.
17 RLRQ, c. N-1.1.
18 Instauré par la Loi sur l’assurance parentale, RLRQ c. A-29.011, art. 1.
19 Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, supra, note 4, paragr. 91 à 98.
20 Voir aussi par exemple : l’Université de Montréal (SERUM) Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) et Université de Montréal, 2020 CanLII 9630 (QC SAT), paragr. 51 à 55 (Syndicat des employés de la recherche de l’Université de Montréal [SERUM] Alliance de la fonction publique du Canada [AFPC] et Université de Montréal, 2021 QCTA 584 – décision sur fixation de l’indemnité)

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