C’est la saison des réjouissances – La période des fêtes de bureau est à nos portes!

Les fêtes de bureau de fin d’année sont sans aucun doute une belle occasion pour les employeurs de souligner les bons coups des employés, les remercier pour leur contribution à l’entreprise et offrir à l’ensemble du personnel l’occasion de se rassembler dans un cadre moins formel qu’à l’habitude.

Pour s’assurer du succès de l’événement et éviter la survenance de situations malheureuses, quelques rappels sont de mise.  

Tout d’abord, bien que la traditionnelle soirée des fêtes se déroule généralement en dehors des heures et des lieux de travail, il n’en reste pas moins que les employés et les employeurs sont tenus de respecter certaines obligations et peuvent engager leur responsabilité en cas de manquement à celles-ci. Rappelons brièvement les principes généraux auxquels sont assujettis en tout temps les employeurs et les employés.

En ce qui a trait aux obligations de l’employeur, soulignons que celui-ci doit en tout temps s’acquitter de son obligation de protéger la santé, la sécurité, la dignité et l’intégrité de ses employés1. Ces derniers demeurent assujettis aux différentes politiques en vigueur dans l’entreprise. Mentionnons également qu’à tout moment, un employé est susceptible d’engager sa responsabilité civile et criminelle, notamment en cas de conduite avec facultés affaiblies.

Nous aborderons maintenant certains cas de figure qui, selon la jurisprudence, sont malheureusement susceptibles de se produire lors de la soirée des fêtes du bureau, soit des accidents du travail, du harcèlement et de la violence.

 

Accident du travail

Une première question se pose : une blessure subie par un employé lors de la soirée des fêtes organisée par l’employeur peut-elle être considérée comme résultant d’un accident du travail susceptible d’engendrer une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST)? 

Une réponse nuancée s’impose, car la jurisprudence a tranché cette question dans un sens comme dans l’autre, selon les circonstances propres à chaque affaire2. En effet, des décideurs ont conclu dans certains cas qu’une blessure survenue dans ce contexte avait eu lieu « à l’occasion du travail3 », alors que dans d’autres cas, il a plutôt été décidé qu’elle était survenue dans le cadre d’une activité relevant de la sphère personnelle.

Selon la jurisprudence, pour déterminer si un accident qui survient lors de la fête de fin d’année l’a été « à l’occasion du travail », il importe d’étudier le lien de connexité qui existe entre l’activité exercée au moment de l’accident et le travail. Certains éléments sont habituellement considérés dans le cadre de cette analyse, notamment le lieu et le moment de l’événement, s’il y avait rémunération, l’existence et le niveau d’autorité ou de subordination de l’employeur (lorsque l’événement survient hors des lieux et heures de travail), la finalité de l’activité exercée au moment de l’accident par rapport aux conditions de travail et l’utilité de cette activité à l’accomplissement du travail4.

Par exemple, dans la décision récente Murphy et Ville de Léry, le Tribunal administratif du travail (le « Tribunal ») a conclu que la blessure au genou droit subie par une employée aux travaux publics, alors qu’elle participait au jeu de « lancer du sapin » lors d’un événement des fêtes organisé par l’employeur pour les citoyens, n’était pas survenue à l’occasion du travail. Le Tribunal a retenu notamment que la participation à ce jeu était volontaire et en dehors des heures de travail de l’employée, que cela ne faisait pas partie de ses tâches et que cette activité n’était d’aucune utilité pour l’employeur, de sorte qu’elle relevait plutôt de la sphère personnelle de l’employée.

La même conclusion est tirée par le Tribunal dans une autre affaire récente, Roy-Bélanger et Ressources Globales Aéro inc., où une employée des ressources humaines s’était blessée en chutant dans un escalier mécanisé à la réception des fêtes organisée par l’employeur, alors qu’elle tentait de reconduire un collègue en état d’ébriété à sa chambre.

Cependant, dans l’affaire Fafard et Commission scolaire des Trois-Lacs, il a plutôt été décidé que la blessure subie par une enseignante alors qu’elle participait à un jeu lors de la soirée des fêtes organisée par le personnel et ayant lieu dans le gymnase de l’employeur, mais en dehors des heures de travail, constituait bien un accident de travail. Un élément qui semblait décisif dans cette décision était que le climat de travail avait été jugé malsain au point qu’une firme externe avait été mandatée peu de temps avant pour y remédier et que l’événement des fêtes de fin d’année en question servait l’objectif de l’employeur d’améliorer le climat de travail.

Enfin, dans une autre décision, Boivin et Centre communautaire juridique de l’Estrie, la réclamation pour accident de travail d’une technicienne en droit a également été accueillie, alors que celle-ci s’était blessée en dansant avec un collègue lors de la soirée des fêtes de l’organisation. Cette employée faisait partie du comité organisateur de cette fête depuis plusieurs années, et ce, à la demande de l’employeur et la Commission des lésions professionnelles du Québec (la « QCCLP ») a pris en compte le fait qu’elle s’estimait tenue de participer à l’événement. De plus, la QCCLP a aussi retenu que la majorité des avocats travaillant pour l’employeur étaient présents à la fête, alors qu’il s’agissait en quelque sorte de personnes en autorité par rapport au personnel de bureau, faisant en sorte qu’il était possible d’inférer que cette fête était utile à l’accomplissement du travail et qu’elle n’échappait donc pas entièrement à la sphère du travail.

À la lumière de ce qui précède, les employeurs ont grandement intérêt à prendre les mesures nécessaires pour prévenir la survenance d’accidents et offrir un espace approprié où les employés peuvent festoyer en toute sécurité lors de leur soirée de fin d’année.

 

Harcèlement

Par ailleurs, les célébrations de fin d’année entre collègues sont malheureusement propices à des écarts de conduite et des gestes ou paroles déplacés et non désirés pouvant constituer du harcèlement5. Les exemples jurisprudentiels traitant de plaintes ou de mesures disciplinaires en lien avec des événements de cette nature survenus lors de fêtes de bureau sont d’ailleurs nombreux.

Par exemple, dans l’affaire récente, Teamsters Québec, section locale 1999 et Univar Canada ltée (Jean-Martin Gobeil)6, un employé a écopé d’une suspension de trois jours pour avoir commis un geste à caractère sexuel à l’égard d’une serveuse qui travaillait à la salle de réception où la soirée des fêtes, organisée et payée par l’employeur, avait lieu. Cet employé, en guise de « blague » de très mauvais goût, avait exhibé son index à travers l’ouverture de la fermeture éclair de son pantalon à plusieurs reprises au cours de la soirée. La serveuse s’était sentie harcelée par ce comportement qui avait rendu son milieu de travail néfaste. La sanction avait été confirmée par l’arbitre.

Puisque l’employeur est tenu de prendre les moyens raisonnables pour prévenir et faire cesser tout harcèlement porté à sa connaissance7, ses obligations trouvent application avant, pendant et après la fête. En amont, l’employeur devrait rappeler à son personnel l’importance de respecter sa politique en matière de prévention du harcèlement lors de cet événement et d’agir en tout temps de manière civile et respectueuse. Un appel à la modération en matière de consommation d’alcool peut aussi être avisé. À cet égard, offrir quelques coupons de boissons gratuites aux employés lors de la soirée plutôt que de mettre à leur disposition un bar ouvert pourrait être plus prudent. Bien que ce soit soir de fête, une vigilance de la part de l’employeur demeure requise pour identifier toute situation à risque et afin d’intervenir, au besoin, pour faire cesser aussitôt tout comportement indésirable. Enfin, advenant qu’une situation problématique soit signalée à l’employeur, ce dernier peut être tenu de démarrer une enquête afin de faire la lumière sur les événements survenus.

Par exemple, dans l’affaire récente Syndicat des salariés(es) de l’agroalimentaire de Ste-Claire c Kerry Canada Inc., l’arbitre Dominique-Anne Roy a confirmé que l’employeur avait le droit, voire l’obligation, de mettre en branle une enquête pour des événements de nature privée qui s’étaient déroulés dans une chambre d’hôtel dans les heures qui avaient suivi la soirée des fêtes de l’employeur. Des rumeurs inquiétantes de harcèlement sexuel, voire d’agression sexuelle collective, et de consommation de drogues illicites avaient circulé au sein du milieu de travail dès le lendemain. L’arbitre avait considéré la preuve qui lui était présentée dans cette affaire et avait conclu que l’employeur avait démontré un lien suffisant entre les activités personnelles des employés impliqués et son entreprise pour justifier son intervention.

 

Violence

Enfin, ajoutons que les paroles et gestes violents ne sont malheureusement pas, non plus, étrangers aux fêtes de bureau bien arrosées. Les employeurs peuvent donc être appelés à intervenir pour faire cesser tout geste de violence et assurer la protection de leurs employés.

À cet égard, soulignons qu’en vertu de l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail8, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique et psychique des employés, ce qui inclut, depuis octobre 20219, de prendre les mesures appropriées pour assurer la protection d’un employé exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psychologique, notamment la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel10.

Ainsi, dans l’affaire Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 500 (TUAC – FTQ) et Royal Vézina inc.11, un employé s’était présenté tard à la soirée des fêtes organisée par l’employeur et déjà sous l’effet de l’alcool et avait frappé une collègue de travail qui était aussi son ex-conjointe au visage à plusieurs reprises avant de s’enfuir. Il a par la suite été congédié puis éventuellement jugé coupable de voies de fait et de harcèlement. Le congédiement a, sans surprise, été maintenu. L’arbitre n’a pas jugé que l’intoxication de l’employé était un facteur atténuant sa responsabilité pour ses gestes, incluant le fait d’avoir mélangé médicaments et alcool.

Enfin, dans l’affaire Servisair et Association internationale des machinistes et des travailleuses et travailleurs de l’aérospatiale, district 140, section locale 230912, une suspension de trois jours imposée à un employé, en état d’ébriété, qui s’était fâché lors de la soirée des fêtes organisée par l’employeur dans un restaurant avait été confirmée par l’arbitre. Cet employé s’était énervé, avait crié puis avait poussé une chaise en plus d’avoir proféré des menaces à l’égard des personnes présentes voulant qu’il leur casse les jambes. L’arbitre avait reconnu que ce comportement était un manque de civilité flagrant susceptible de nuire à la réputation de l’employeur. L’arbitre avait aussi reconnu le droit de l’employeur de sévir pour ces gestes considérant qu’ils étaient survenus durant une activité organisée par l’employeur où le salarié demeurait sous son autorité.

 

Conclusion

En somme, les employeurs et les employés ne doivent pas perdre de vue qu’ils demeurent tenus de respecter certaines obligations lors des fêtes de fin d’année malgré le contexte festif et le fait que l’événement puisse avoir lieu en dehors des heures et lieux de travail. La prévention et la prudence sont donc toujours de mise!

__________

1 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 2087; Loi sur les normes du travail, RLRQ c N-1.1, art. 81.18 et 81.19; Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ c S-2.1, art.51; Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, art. 10, 10.1, 46.
2 Pour un tour d’horizon récent de la jurisprudence sur le sujet, voir : Roy-Bélanger et Ressources globales Aéro inc., 2021 QCTAT 1739, par. 16 à 19.
3 Voir la définition d’« accident du travail » à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (RLRQ c A-3.001).
4 Plomberie & Chauffage Plombec inc. et Deslongchamps, C.A.L.P. 51232-64-9305, 17 janvier 1995, B. Lemay; Minier et Commission scolaire de Montréal, 2019 QCTAT 1837.
5 Voir notamment les articles 81.18, 81.19 de la Loi sur les normes du travail (RLRQ c N-1.1) et les articles 10,10 .1 et 46 de la Charte des droits et libertés de la personne (RLRQ c C-12).
6 Teamsters Québec, section locale 1999 et Univar Canada ltée (Jean-Martin Gobeil), 2020 QCTA 344.
7 Article 81.19, Loi sur les normes du travail, RLRQ c N-1.1.
8 Précitée, RLRQ c S-2.1.
9 Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, LQ 2021, c 27.
10 Article 51, al.1, par. 16, Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ c A-3.001.
11 Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 500 (TUAC – FTQ) et Royal Vézina inc., 2017EXPT-971, EYB 2017-281127 (F. Lamy).
12 Servisair et Association internationale des machinistes et des travailleuses et travailleurs de l’aérospatiale, district 140, section locale 2309, D.T.E. 2009T-448, EYB 2008-161179 (N. Faucher). 

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