Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact : la majorité de la Cour suprême estime que la présomption de constitutionnalité ne peut sauvegarder la constitutionnalité d’une partie de la loi

Introduction

Au terme d’un appel logé à l’encontre d’une décision de la Cour d’appel de l’Alberta rendue dans le cadre d’un renvoi, la Cour suprême du Canada (la « Cour ») a récemment conclu que le régime fédéral d’évaluation d’impact composé de la Loi sur l’évaluation d’impact1 (la « LÉI ») et du Règlement sur les activités concrètes2 est en partie inconstitutionnel3.

La majorité de la Cour, sous la plume du juge en chef Wagner, a réaffirmé son rôle primordial de veiller au respect du cadre constitutionnel du partage des compétences législatives, tout en reconnaissant la protection de l’environnement comme une valeur fondamentale de la société canadienne4. Elle a souligné que le fédéralisme coopératif veut que les deux ordres de gouvernement puissent, dans le respect du partage des pouvoirs législatifs, faire preuve de leadership dans la protection de l’environnement5.

 

Le régime fédéral d’évaluation d’impact des projets désignés

L’essentiel des motifs des juges majoritaires porte sur la portion du régime fédéral qui concerne les projets désignés, la constitutionnalité des dispositions relatives aux activités sur territoire domanial ou à l’étranger n’étant pas réellement contestée6. Les projets désignés sont énumérés dans une « Liste de projets » dressée par le gouverneur en conseil7. Ces projets sont ceux qui sont jugés « les plus susceptibles d’avoir des effets négatifs dans les champs de compétence fédérale liés à l’environnement »8. Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique peut également désigner des projets ne figurant pas sur cette liste s’il estime qu’ils peuvent entraîner des effets relevant d’un domaine de compétence fédérale qui sont négatifs ou des effets directs ou accessoires négatifs, ou que les préoccupations du public concernant ces effets le justifient9.

Le processus d’évaluation d’impact des projets désignés se déploie en trois étapes10 : 1) l’étape préparatoire, qui porte principalement sur la collecte initiale de données11, 2) l’étape d’évaluation d’impact, au terme de laquelle un rapport est produit afin d’identifier les effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale ainsi que les effets directs ou accessoires négatifs que le projet est susceptible d’entraîner12, et 3) l’étape de prise de décisions, par laquelle le décideur doit déterminer si ces effets négatifs sont dans l’intérêt public13. Si tous les projets désignés doivent passer par l’étape préparatoire, ils ne feront cependant pas tous l’objet d’une évaluation d’impact, car il revient plutôt à l’Agence d’évaluation d’impact (l’« Agence »), après l’examen préalable, de décider si une évaluation d’impact s’impose14.

 

La présomption de constitutionnalité au cœur du désaccord entre la majorité et la dissidence

Pour la majorité, le caractère véritable du régime applicable aux projets désignés est d’évaluer et de réglementer ceux-ci afin d’en atténuer ou d’en prévenir les impacts négatifs en matière environnementale, sanitaire, sociale et économique15. Il outrepasse ainsi les limites de la compétence législative fédérale16, notamment parce que les effets fédéraux « ne dictent pas les fonctions décisionnelles prévues par le régime »17.

Par exemple, l’article 16 de la LÉI octroie un pouvoir discrétionnaire inconstitutionnel à l’Agence, car la décision qu’elle peut rendre « n’est pas dictée par les effets éventuels liés aux compétences fédérales »18. De la même façon, à l’étape de la décision sur l’intérêt public, le régime ne met pas l’accent sur les impacts fédéraux comme il le devrait19. Dans sa forme actuelle, il oblige plutôt le décideur à prendre en compte une panoplie d’éléments sans toutefois en préciser la pondération, de sorte que la prise de décisions n’est plus axée sur la réglementation des impacts fédéraux, mais bien sur le projet en son entier20.

Selon les juges en partie dissidents Karakatsanis et Jamal, le caractère véritable du régime des projets désignés vise plutôt :

à instaurer un processus d’évaluation environnementale dans le but (1) d’évaluer les effets des activités concrètes ou des projets majeurs sur le territoire domanial, les peuples autochtones, les pêches, les oiseaux migrateurs, ainsi que leurs effets sur le sol, l’air ou l’eau à l’étranger ou dans des provinces autres que celle où le projet est réalisé, et (2) de déterminer s’il y a lieu d’imposer des restrictions à ces projets afin d’assurer une protection contre les effets fédéraux négatifs importants, sauf s’il est dans l’intérêt public de permettre de tels effets. […]21

Contrairement à la majorité, ils sont d’avis que l’article 16 de la LÉI est intra vires, dans la mesure où « la présomption de constitutionnalité exige que le tribunal interprète le pouvoir discrétionnaire conféré par la loi comme ayant été exercé de bonne foi et à l’intérieur des limites fixées par la Constitution »22. Autrement dit, les juges Karakatsanis et Jamal considèrent qu’il est prématuré de se prononcer sur le pouvoir discrétionnaire de l’Agence avant qu’il n’ait été exercé23. Dans la même veine, ils concluent que le processus de prise de décisions est constitutionnel pour autant qu’il se fonde sur les effets fédéraux négatifs24. Si tel n’était pas le cas, dans un contexte donné, la décision pourrait alors faire l’objet d’un contrôle judiciaire, car elle serait contraire à l’objet et au but de la LÉI25.

En somme, pour les juges dissidents en partie, le fédéralisme coopératif commande que les cours présument de la bonne foi du législateur et interprètent les lois de manière à ce qu’elles respectent le partage des compétences afin de favoriser, dans la mesure du possible, l’application des lois adoptées par les deux paliers gouvernementaux26.

Les juges majoritaires estiment plutôt que les tribunaux ne peuvent « se servir de la présomption de constitutionnalité pour réécrire un texte législatif comme bon leur semble afin de le rendre conforme à la Constitution »27. En ce qui concerne par exemple l’article 16 de la LÉI, ils indiquent qu’ils ne peuvent recourir à la présomption de constitutionnalité, car elle ne s’applique que lorsque la cour peut raisonnablement adopter deux interprétations opposées, ce que le texte, le contexte et l’objet de l’article 16 ne permettent pas en l’espèce28. Enfin, selon la majorité, suggérer qu’un contrôle judiciaire est disponible si un décideur administratif applique la loi de façon inconstitutionnelle ne saurait permettre aux cours de contourner leur obligation de contrôler la constitutionnalité de la loi en question29.

 

Conclusion

Les avis donnés dans le cadre d’un renvoi ne sont pas formellement contraignants à l’égard des gouvernements30. Dans une déclaration faite par l’entremise de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique ainsi que le ministre de la Justice et procureur général du Canada ont notamment affirmé :

Le gouvernement du Canada a élaboré la Loi sur l’évaluation d’impact afin de créer un meilleur ensemble de règles qui respectent l’environnement et les droits des peuples autochtones et qui assurent que les projets sont évalués en temps opportun. Nous restons attachés à ces principes. Nous sommes heureux que la Cour suprême du Canada ait confirmé notre rôle en ce qui concerne ces principes fondamentaux. Nous allons maintenant reprendre ce dossier et travailler rapidement à l’amélioration de la législation au Parlement.

La déclaration rappelle également que 23 projets font présentement l’objet d’une évaluation d’impact fédérale. Elle ne précise toutefois pas ce qu’il adviendra de ces projets, à la lumière du renvoi.

Les auteurs tiennent à remercier Inès Bagaoui-Fradette, étudiante en droit, pour sa précieuse contribution à cet article.

__________

1 L.C. 2019, c. 28.
2 DORS/2019-285.
3 Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23.
4 Id., par. 1.
5 Id., par. 216.
6 Id., par. 208.
7 Id., par. 35.
8 Ibid.
9 Id., par. 36.
10 Id., par. 37.
11 Id., par. 38.
12 Id., par. 43.
13 Id., par. 46.
14 Id., par. 148.
15 Id., par. 204.
16 Id., par. 134.
17 Id., par. 135.
18 Id., par. 150.
19 Id., par. 178.
20 Ibid. Voir également les par. 166-174.
21 Id., par. 257. Voir également le par. 298.
22 Id., par. 314.
23 Id., par. 315.
24 Id., par. 336.
25 Id., par. 335.
26 Id., par. 234.
27 Id., par. 73.
28 Id., par. 154. Voir également le par. 73.
29 Id., par. 74.
30 Renvoi relatif au Code de procédure civile (Qc), art. 35, 2021 CSC 27, par. 151-152.

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