Projet de loi 28 : son effet sur les transactions dans l’industrie de la pharmacie

L’adoption, le 20 avril dernier, du projet de loi 28 qui s’inscrit dans le cadre des diverses compressions budgétaires mises en œuvre par le gouvernement du Québec, a déjà fait couler beaucoup d’encre, notamment en ce qui concerne son impact sur nos pharmaciens. 

Ce projet de loi, qui doit entrer en vigueur le 20 juin 2015 malgré une forte opposition de l’ensemble des pharmaciens du Québec, revoit, entre autres, la liste des actes professionnels facturables, ainsi que les honoraires versés aux pharmaciens. S’il leur sera permis de facturer trois nouveaux actes, ces derniers devront, en revanche, laisser sur la table environ 177 millions $ en honoraires : dorénavant, le régime public ne paiera plus certaines procédures, notamment la préparation des piluliers. 

L’Association québécoise des pharmaciens propriétaires, qui continue de s’opposer aux compressions proposées par le gouvernement, estime que ces dernières pourraient se traduire par une diminution des services offerts et des heures d’ouverture des pharmacies et que le revenu annuel d’une pharmacie québécoise type serait ainsi réduit de 100 000 $. 

Il n’est donc pas surprenant de constater, depuis l’annonce du projet de loi 28, une diminution importante de la fréquence des transactions impliquant des entreprises de pharmacie de détail : la majorité des acteurs sont « assis sur la clôture » en attendant un dénouement. Alors que les vendeurs voient la valeur autrefois acquise de leur achalandage s’effriter, les acheteurs potentiels négocient bec et ongles pour réduire le prix d’acquisition. Les prêteurs, quant à eux, peinent à justifier l’octroi de nouveaux financements selon les habitudes « précompressions » et devront peut-être prendre position à l’égard de plusieurs clients dont les performances annuelles risquent de ne plus satisfaire aux exigences négociées. 

Le défi sera donc de s’entendre sur la valeur attribuée à l’entreprise pour le futur alors que l’effet des compressions annoncées reste encore à déterminer. Or, lorsque les attentes des parties divergent au point où l’acheteur prudent ou le prêteur qui finance la transaction ne peuvent atteindre le prix plancher du vendeur, souvent un enjeu chargé d’émotion dans le présent contexte, on se doit de structurer la transaction de manière à rapprocher autant que possible les intérêts de tous les intervenants. 

L’incertitude quant à la performance future d’une entreprise n’est pas un élément nouveau dans le cadre de transactions commerciales et certaines solutions peuvent être envisagées pour y pallier. Nous en proposons quelques-unes ci-après. 

1. Solde du prix de vente avec mécanisme d’ajustement négatif 

Il est usuel pour un acheteur prudent d’exiger de conserver un solde du prix de vente pendant une certaine période afin de s’assurer, entre autres, de la véracité des représentations et garanties fournies par le vendeur sur les affaires de l’entreprise. Dans les circonstances, ce solde pourra alors servir à l’acheteur pour opérer compensation, advenant une réclamation à l’égard du vendeur pour une fausse déclaration, par exemple. Cependant, la convention d’achat/vente pourrait être structurée de manière à prévoir un « prix de vente estimé » (basé sur la perception actuelle du vendeur de la valeur de son entreprise) payable en partie à la clôture de la transaction, et de lier le solde à un mécanisme d’ajustement négatif (basé sur les résultats futurs de l’entreprise au cours d’une période déterminée) en vertu duquel toute réduction effective de la valeur de l’entreprise engendrerait une réduction du solde payable au vendeur. 

2. Clause d’indexation sur les bénéfices futurs ou « earn-out » 

Une autre variante, suivant la même logique de paiement du prix de vente en multiples tranches, est de prévoir à la convention d’achat une clause d’indexation positive du prix de vente estimé (lequel serait, cette fois-ci, plus près de la position de l’acheteur) en fonction de la performance future de l’entreprise, de l’atteinte de certains objectifs, etc., en vertu de laquelle des montants additionnels seraient payables à certaines échéances prédéterminées si les conditions sont remplies. Il n’y pas de formule type à adopter pour conclure une « bonne » clause d’earn-out. Il appartient aux parties de décider des modalités de mise en œuvre de la clause. Le plus important est de trouver un point d’accord sur les éléments financiers auxquels on se référera et sur la méthode de calcul. Dans de tels cas, le pharmacien vendeur demeurerait habituellement à l’emploi de l’entreprise (et de l’acheteur!) pour quelque temps après la transaction afin de contribuer à la performance de l’entreprise et favoriser l’atteinte des objectifs en question. Ce qui est primordial est que le tout soit rédigé de manière objective, claire et précise afin d’éviter toute mésentente. 

3. Contrat d’emploi du pharmacien vendeur 

Il est habituel, dans le cadre du transfert d’une pharmacie, qu’un pharmacien vendeur demeure à l’emploi de l’entreprise vendue pendant une certaine période après la vente, que ce soit dans le but d’assurer une bonne transition auprès de la clientèle, dans le cadre d’une structure d’earn-out, ou pour toute autre raison. La rémunération du vendeur ou, le cas échéant, toute bonification de performance ou tout autre avantage, pourrait également servir comme complément et ainsi rapprocher les positions divergentes des parties. 

L’adoption du projet de loi 28 a bouleversé le climat transactionnel dans l’industrie de la pharmacie de détail, mais chose certaine, les gens d’affaires raisonnables, bien conseillés et désireux de prospérer peuvent toujours trouver un terrain d’entente en évaluant diverses options permettant de faire face à ces modifications législatives.

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