Obligation d’information continue : recours des investisseurs sur le marché secondaire

Le 9 novembre 2007 sont entrées en vigueur des dispositions de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec (ci-après la « LVM ») visant la création d’un régime de responsabilité civile permettant aux investisseurs de marché secondaire de poursuivre les émetteurs en cas de contravention aux exigences réglementaires en matière d’information continue. En avril dernier, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Theratechnologies inc. c. 121851 Canada inc.1, concernant le fardeau applicable à l’autorisation d’intenter un recours collectif en dommages-intérêts en vertu de l’article 225.4 de la LVM.

Les faits de l’affaire

Theratechnologies inc. (ci-après « Thera ») est une société pharmaceutique inscrite à la Bourse de Toronto. En 2010, elle attendait que l’un de ses médicaments soit approuvé par la Food and Drug Administration (ci-après « FDA ») aux États-Unis. Au cours du processus d’approbation, Thera informait régulièrement ses actionnaires et l’Autorité des marchés financiers des résultats de ses essais cliniques, et notamment du fait que les effets secondaires du médicament n’étaient pas significatifs.

Comme à son habitude, la FDA a soumis plusieurs questions à un comité consultatif d’experts concernant ledit médicament. Ces questions ont été rendues publiques sur le site Internet de la FDA.

Une société de cotation boursière a publié des communiqués de presse mentionnant notamment que le médicament pouvait avoir pour effet secondaire d’accroître le risque de diabète. Thera n’a pas réagi publiquement aux communiqués de presse, jugeant que les documents fournis à la FDA ainsi que ses résultats cliniques déjà divulgués permettaient de répondre aux questions soulevées par cette dernière. En l’absence de réponse de Thera, la valeur de ses actions a chuté de 58 % en quelques jours.

121851 Canada inc. (ci-après la « Société »), qui a subi une perte lors de la vente d’actions de Thera, a alors demandé à la Cour supérieure du Québec l’autorisation, conformément à l’article 225.4 de la LVM, d’intenter un recours collectif en dommages-intérêts contre Thera, alléguant que celle-ci avait manqué à son obligation d’informer les investisseurs de changements importants. Selon la Société, les renseignements selon lesquels le diabète constituait un des effets secondaires possibles du médicament, ainsi que les questions de la FDA, équivalaient à un changement important dans l’activité, l’exploitation ou le capital de Thera. La Société prétendait alors que Thera aurait dû publier un communiqué de presse rassurant afin de stabiliser la valeur de ses actions.

La décision de la Cour suprême du Canada

Dans une décision unanime, la Cour suprême du Canada a infirmé les décisions des tribunaux inférieurs, tout en confirmant que le critère d’autorisation d’un recours collectif en vertu de la LVM est plus sévère que celui d’un recours en droit commun.

La Cour suprême du Canada énonce tout d’abord que l’article 225.4 de la LVM stipule deux conditions de fond afin d’obtenir l’autorisation d’intenter un recours collectif en vertu de cette loi: (i) l’action doit être intentée de bonne foi, et (ii) il doit exister une possibilité raisonnable que le demandeur ait gain de cause. En l’espèce, personne ne mettait en doute la bonne foi de la Société. La Cour se penchait donc sur l’interprétation de la deuxième condition, soit la possibilité raisonnable d’avoir gain de cause.

La Cour conclut alors que le terme « possibilité raisonnable » que le demandeur ait gain de cause prévu à l’article 225.4 de la LVM, établit effectivement un critère plus exigeant que le critère de « simple possibilité » que l’on retrouve à l’article 1003 du Code de procédure civil, en matière d’autorisation d’intenter un recours collectif. Dans le cadre d’un recours fondé sur la LVM, le tribunal ne se limite pas à déterminer si les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées, comme serait le cas en application des règles de droit commun, mais doit plutôt procéder à un examen préliminaire de la preuve afin de déterminer si le fardeau de « possibilité raisonnable » d’avoir gain de cause est rencontré.

Analysant ensuite les éléments de preuve avancés par la Société dans le cadre de sa demande d’autorisation, la Cour suprême du Canada conclut que la Société n’a pas établi qu’il y avait eu un changement important nécessitant une communication de Thera. En effet, l’obligation d’information occasionnelle sur laquelle le recours est fondé nécessite le concours de deux éléments, soient (i) un changement dans l’activité, l’exploitation ou le capital de l’émetteur, et que (ii) le changement soit important, « c’est-à-dire qu’il doit être raisonnable de s’attendre à ce qu’il ait un effet appréciable sur le cours ou la valeur des titres de l’émetteur ». L’information concernant les effets secondaires du médicament avait déjà été communiquée aux actionnaires, et ce, avant que la FDA ne publie ses questions. Il n’y avait donc aucun nouveau renseignement sur les effets secondaires devant faire l’objet d’une communication de la part de Thera. De plus, la Société n’a apporté aucun élément de preuve à l’effet que les questions posées par la FDA, ou que le contenu de ses documents d’information s’écartait du processus normal d’approbation des médicaments. D’autant plus, la preuve présentée n’a aucunement soulevé que les questions de la FDA portaient sur des données nouvelles et non communiquées par Thera au sujet du médicament. Ainsi, le fait pour la FDA de suivre son processus habituel ne constitue pas une forme de changement important pour Thera. Celle-ci n’avait donc aucune obligation de réagir publiquement de façon rassurante. Par conséquent, l’autorisation d’intenter le recours collectif a été rejetée.

La Cour souligne au passage que la publication d’information excessive présente des risques, dont celui « d’inonder les actionnaires de renseignements futiles, ce qui ne contribue pas à la prise de décisions éclairées »2. Ceci étant dit, il est important de bien qualifier ce qui constitue ou non un changement important ou un fait important, selon le cas, et de divulguer l’information nécessaire.

Les autres juridictions canadiennes

Depuis 2005, des dispositions similaires à celles relatées ci-dessus ont été adoptées dans l’ensemble des provinces et territoires canadiens. Ces dispositions ont été adoptées suivant l’élaboration de recommandations par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières, visant la création d’un régime de responsabilité civile plus accessible aux investisseurs du marché secondaire quant aux violations des sociétés publiques à leurs obligations de divulgation continue ou occasionnelle. Ces dispositions allègent le fardeau qui s’appliquait antérieurement à ce type de recours tout en créant un mécanisme de filtrage afin d’éviter la multiplication de recours non fondés.


1 2015 CSC 18
2 Idem, para 55

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