Modifications à la Loi sur la concurrence sur la légalité des accords de non-débauchage et de fixation des salaires

Introduction

Dans un précédent article, nous avons fait état des modifications apportées par la Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d’autres mesures (la « LEB »)1 à la Loi sur la concurrence (la « Loi »)2. Celles-ci témoignaient d’une volonté du gouvernement canadien de moderniser le régime de concurrence canadien et de favoriser un marché concurrentiel, en offrant de meilleures perspectives de mobilité et de prospérité aux travailleurs3.

Au cœur de ce vaste projet de réforme entrepris à l’hiver 2022, le gouvernement s’est attaqué, entre autres, aux accords de non-débauchage et de fixation des salaires entre employeurs non affiliés4.

 

Comportements interdits sous le nouvel article 45 (1.1) de la Loi

Entré en vigueur le 23 juin 2023, l’article 45 (1.1) de la Loi interdit désormais la conclusion de tels accords entre employeurs non affiliés5 et est susceptible d’entraîner de lourdes sanctions pour les employeurs qui y contreviennent6. Désormais, la Loi prévoit la criminalisation de tels accords, et l’employeur peut donc être reconnu coupable hors de tout doute raisonnable d’avoir conclu ou comploté en vue de conclure un tel accord7.

A contrario, les accords de non-débauchage et de fixation des salaires conclus entre employeurs affiliés, par exemple, deux sociétés contrôlées par une société mère, ne sont pas visés par l’interdiction8.

Il est à noter que l’existence du complot, de l’accord ou de l’arrangement entre deux employeurs peut se déduire d’une preuve circonstancielle, sans preuve directe de communication entre ceux-ci9. À titre d’exemple, le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») indique que dans certaines circonstances, le partage de renseignements commerciaux sensibles entre employeurs non affiliés pourrait amener à déduire qu’il existe un accord entre eux10.

Parmi les sanctions applicables au contrevenant, la Loi prévoit l’imposition d’une peine d’emprisonnement maximale de 14 ans et/ou des amendes dont le plafond maximal n’est pas fixé11. Au surplus, l’employeur s’expose à des poursuites au civil ou encore à des actions collectives des personnes ayant subi un préjudice en raison de la conclusion de tels accords12.

 

Exceptions et moyens de défense

Toutefois, il sera possible pour l’employeur d’opposer certaines exceptions ou défenses prévues à la Loi à l’encontre de l’infraction qui lui est reprochée. Parmi celles-ci, nous retrouvons :

1. Accords de non-débauchage et de fixation des salaires entre employeurs affiliés

Comme indiqué plus haut, ces accords ne sont pas visés par les modifications apportées à la Loi.

2. Défense fondée sur les restrictions accessoires

La Loi vise uniquement les « restrictions pures et simples » à la concurrence qui « ne sont pas mises en œuvre pour permettre une collaboration légitime, une alliance stratégique ou une coentreprise »13. Ainsi, la défense prévue à l’article 45 (4) de la Loi « peut être invoquée lorsque certaines transactions ou collaborations commerciales désirables nécessitent des restrictions à la concurrence pour les rendre efficaces, voire possibles »14.

L’employeur devra établir, selon la prépondérance des probabilités, que :

i) Les clauses relatives au non-débauchage et à la fixation des salaires sont accessoires ou découlent d’un accord plus large ou distinct entre les mêmes parties, tels un contrat de service ou un contrat d’entreprise;

ii) Ces clauses sont directement liées à l’objectif de cet accord et sont raisonnablement nécessaires à sa réalisation15;

iii) Cet accord ne contrevient pas à l’article 45(1.1) de la Loi lorsqu’il est considéré indépendamment de la restriction accessoire.

3. Défense de conduite réglementée

 Ce moyen de défense permet d’écarter la responsabilité des parties dans la mesure où la conduite est réglementée par une loi fédérale ou provinciale[16].

4. Activités relatives aux négociations collectives

L’article 4 (1) c) de la Loi prévoit une exemption pour les accords conclus entre deux employeurs ou plus de certains secteurs au sujet des négociations collectives avec leurs employés et portant sur leurs traitements et conditions d’emploi.

 

Les accords qui ne sont pas visés par les nouvelles infractions prévues à la Loi

Certains accords de non-débauchage et de fixation des salaires ne sont pas visés par la Loi, ce sera le cas :

  • Des accords unilatéraux tels ceux couramment conclus par des agences de placement de personnel avec un client, c’est-à-dire lorsqu’un seul employeur convient de ne pas débaucher les employés de l’autre employeur puisque le Bureau considérera une telle restriction comme unidirectionnelle;
  • Des accords conclus avant le 23 juin 2023, pourvu qu’il n’y ait pas présence de comportements postérieurs à cette date qui confirment ou mettent en œuvre ces accords.

 

Bonnes pratiques à adopter

Afin de diminuer les risques en lien avec ces modifications à la Loi et de s’assurer d’être conformes à celle-ci, les entreprises peuvent mettre en place quelques bonnes pratiques  :

  • Former les administrateurs, dirigeants, de même que les employés clés sur les nouvelles infractions prévues à la Loi;
  • Mettre à jour tout document ou politique internes ayant un lien avec les pratiques visées par les nouvelles infractions prévues à la Loi;
  • Revoir les processus de partage d’informations commercialement sensibles dans le cadre d’activités de collaboration avec d’autres entreprises17;
  • Revoir les processus en lien avec la réception d’informations commercialement sensibles d’autres employeurs18;
  • Examiner attentivement les clauses relatives au non-débauchage et à la fixation des salaires prévues aux contrats conclus avant le 23 juin 2023 afin de s’assurer que celles-ci sont susceptibles de tomber sous le couvert d’un moyen de défense ou d’une exception prévus à la Loi, ou sinon émettre des directives à l’interne en lien avec la mise en œuvre de ces accords.

__________

1 Loi no 1 d’exécution du budget de 2022, L.C. 2022, ch. 10.
2 Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34.
3 Innovation, Sciences et Développement économique du Canada, L’avenir de la politique de la concurrence au Canada, 2022, en ligne : <The-Future-of-Competition-Policy-fra.pdf (canada.ca)>.
4 Article 45 de la Loi.
5 À noter que le Bureau de la concurrence précise dans ses lignes directrices que la notion d’« employeur » comprend non seulement les administrateurs et les dirigeants de l’entreprise, mais également ses employés ou agents, tels que les professionnels en ressources humaines. Voir l’article 1.2.3 des Lignes directrices sur l’application de la loi concernant les accords de fixation des salaires et de non-débauchage publiées par le Bureau de la concurrence, en ligne : <Lignes directrices sur l’application de la loi concernant les accords de fixation des salaires et de non-débauchage (canada.ca)> (les « Lignes directrices »).
6 Article 45 (2) de la Loi.
7 Ce sera à la Couronne d’établir hors de tout doute raisonnable qu’il y a eu accord illégal de non-débauchage ou de fixation des salaires.
8 Voir l’article 2(2) de la Loi qui définit la notion d’affiliation.
9 Article 45 (3) de la Loi.
10 Article 1.2.5 des Lignes directrices.
11 Auparavant, le plafond était fixé à 25 millions de dollars canadiens (Article 45 (2) de la Loi).
12 Article 36 de la Loi.
13 Article 1.1 des Lignes directrices.
14 Article 3.1 des Lignes directrices.
15 Le Bureau de la concurrence indique qu’il pourra, ce faisant, examiner la durée, l’objet et la portée géographique de tels accords.
16 Article 45 (7) de la Loi.
17 Article 1.2.5 des Lignes directrices.
18 Article 1.2.5 des Lignes directrices.

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