Les « partys de Noël de bureau » et les médias sociaux : quand les amis de mes amis… ne sont pas mes amis!

Les premiers flocons de neige sont déjà tombés. Les décorations ont rempli les magasins et les stations de radio font tourner des chansons de Noël… Tous les signes sont présents : le « party de Noël » du bureau approche à grands pas!

Malgré le caractère convivial et informel du « party de Noël », les employeurs doivent demeurer vigilants, car plusieurs situations problématiques peuvent naître lors de cet événement.

Et puisque vous organiserez la plus formidable des soirées, plusieurs de vos employés voudront sans doute commenter les moments forts du party sur les médias sociaux… photos à l’appui! Ce geste bien intentionné peut toutefois mener à des conséquences négatives auxquelles les employeurs devront réagir efficacement.

Voici donc quelques explications sur les conséquences juridiques d’un tel dérapage et des conseils pour l’éviter.

Les conséquences juridiques des dérapages sur les médias sociaux

Tout propos ou image inapproprié diffusé sur les médias sociaux par un de vos employés peut aisément causer préjudice à autrui. Et quand cet autrui est l’entreprise elle-même, un cadre ou un autre salarié, l’employeur peut avoir le droit – ou même l’obligation – d’intervenir.

Peu importe le média social utilisé, que ce soit Facebook, Twitter, Instagram ou un autre, le résultat demeure essentiellement le même : la diffusion de propos ou d’images peut entrer en conflit avec différents droits ou devoirs. Dans le contexte des relations de travail, pensons notamment au droit à la réputation, au droit à la vie privée, à l’obligation de loyauté du salarié et au droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.

Certes, le salarié bénéficie d’une liberté d’expression, protégée par la Charte des droits et libertés de la personne, mais cette liberté n’est pas absolue : elle doit s’exercer dans le respect des autres droits fondamentaux susmentionnés.

Diffamation

Il est largement reconnu que la liberté d’expression ne permet pas la diffamation et donc l’atteinte au droit à la réputation. Ce principe est tout aussi applicable dans le contexte des relations de travail. Un salarié ne pourra diffuser des photos diffamatoires à l’encontre de son employeur, des cadres ou d’autres salariés de l’entreprise, y compris sur les médias sociaux.

Dans un ancien arrêt de la Cour d’appel – mais toujours d’actualité – la Cour d’appel définissait la diffamation comme étant, notamment, une :

« communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables (…). Elle implique une atteinte injuste à la réputation d’une personne, par le mal que l’on dit d’elle ou la haine, le mépris ou le ridicule auxquels on l’expose (…) ».1

Évidemment, la diffamation peut résulter de la communication d’informations erronées, mais également d’informations exactes « diffusées sans intérêt public ».2 Si un cadre a consommé trop d’alcool lors du party de bureau et a fait un fou de lui-même sur le plancher de danse, cette information, même véridique, ne peut être diffusée à tout vent sur le Web. Si toute vérité n’est pas bonne à savoir, toute vérité n’est pas bonne à diffuser!

Il est important de noter qu’il n’est pas nécessaire d’être en présence d’une intention malveillante pour conclure à diffamation. Une conduite négligente suffit. Ainsi, même si un employé diffuse sur Internet une photo peu flatteuse de son collègue, ce geste peut constituer une faute même si l’employé en question, au départ, n’était pas mal intentionné.

De plus, le fait que des propos ou images n’étaient destinés qu’à un groupe plus restreint sur les médias sociaux n’empêchera pas de qualifier ces gestes de diffamatoires et d’entraîner un préjudice pour la personne ciblée. La diffusion de propos ou images diffamatoires à un seul tiers peut être suffisante.3 De plus, le fait que le salarié avait une mauvaise compréhension des personnes pouvant avoir accès à ces propos ou images sur le média social en cause n’empêchera pas de conclure à diffamation et d’entraîner la responsabilité du salarié.4

Vie privée

La diffusion de propos ou d’images inappropriés peut également porter atteinte à la vie privée de la personne visée, que ce soit un cadre ou un autre salarié. Ce droit à la vie privée, protégé par la Charte et le Code civil du Québec, est composé de plusieurs facettes, dont notamment le droit à l’anonymat, à l’intimité et à l’image.

Telle diffusion peut également porter atteinte à l’image et à la réputation de l’employeur. Aucun employeur ne voudra être associé à des images publiées sur le Web démontrant des dérapages survenus lors d’un party de Noël de l’entreprise. Voir des salariés tout sourire avec un petit verre à la main, c’est une chose, mais voir ces mêmes personnes dans des situations peu élogieuses en est une autre.

Tout comme pour la diffamation, on pourra conclure à une atteinte à la vie privée, y compris le droit à l’image, même si l’auteur de la diffusion sur le Web n’était pas mal intentionné.

Par ailleurs, même si votre « party de Noël » est célébré à l’extérieur des lieux de travail et en dehors des heures habituelles de travail, il n’en demeure pas moins que tout salarié doit, même en de telles circonstances, respecter son obligation de loyauté envers l’employeur. Et cette obligation de loyauté demeure toujours présente lorsque, rendu chez lui et visionnant les photos de la fête prises sur son cellulaire, il décidera ou non de diffuser ces photos sur les médias sociaux.

Ainsi, en plus de constituer une atteinte à la réputation de l’employeur, la diffusion de propos ou d’images inappropriés pourra également être assujettie à une mesure disciplinaire.

Harcèlement

Enfin, l’employeur devra également être vigilant afin de préserver un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. La diffusion de certains propos ou images liés à une soirée de Noël est susceptible de dégénérer et de prendre la forme de harcèlement envers un collègue ou un cadre. Dans un tel contexte, l’employeur pourrait avoir l’obligation d’intervenir auprès du salarié « diffuseur » afin de faire cesser toute forme de harcèlement.

Quelques conseils pour éviter ces dérapages

1) Mieux vaut prévenir que guérir

  • En 2014, tous les employeurs devraient adopter et diffuser une politique encadrant spécifiquement l’utilisation des technologies de l’information. Si tel n’est pas le cas dans votre entreprise, songez sérieusement à mettre l’adoption d’une telle politique dans la liste prioritaire de vos résolutions pour l’année 2015.
  • Cette politique devrait être assez large pour cibler non seulement l’utilisation des technologies de l’information dans le milieu de travail, mais également à l’extérieur, lorsque telle utilisation est notamment en lien avec l’employeur, les cadres ou encore les autres salariés de l’entreprise.
  • Si tel n’est pas le cas, l’entreprise pourra adopter une politique connexe visant l’utilisation de médias sociaux.
  • Toute politique doit être connue de l’ensemble des salariés et cadres de l’entreprise. Un rappel périodique de son existence et son contenu ne peut qu’être bénéfique pour tous.
  • Ce rappel peut prendre différentes formes telles que l’envoi de courriels aux salariés, la remise d’une note ou encore un rappel verbal lors d’une réunion d’équipe (avec prise des présences, bien sûr).
  • Un tel rappel peut certes être fait dans les jours précédant le « party de Noël » de l’employeur. Profitez-en pour rappeler, du même coup, votre politique sur le harcèlement.
  • Informez vos cadres et votre personnel de supervision de l’importance du respect de telles politiques.
  • Si ce n’est déjà fait, établissez une procédure simple et efficace permettant que toute violation à la politique sur l’utilisation des technologies de l’information soit rapportée à un responsable dans l’entreprise qui veillera à faire les vérifications qui s’imposent et prendre les actions nécessaires.

2) Agir rapidement

Une fois que des propos ou des photos inappropriés ont été transmis sur le Web, il sera, par la suite, difficile d’en garder un certain contrôle. En effet, les réseaux sociaux font souvent en sorte que des propos, photos ou vidéos peuvent être partagés avec des centaines, voire des milliers d’utilisateurs, que ce soit de façon intentionnelle ou non! Sans oublier que plusieurs voudront y ajouter des commentaires…

L’employeur bien avisé voudra ainsi agir rapidement.

  • Dès qu’il est informé de la survenance d’une situation pouvant constituer une violation d’un droit, d’une liberté ou d’une obligation tels que ceux mentionnés ci‑dessus, l’employeur devra faire enquête.
  • N’oubliez pas de documenter votre démarche et de conserver tout élément de preuve qui pourrait s’avérer pertinent.
  • Prenez les mesures nécessaires pour que la violation prenne fin. Exigez que le salarié fautif accomplisse toutes les démarches requises pour que les propos ou les photos soient retirés, si cela est possible.
  • Évaluez si d’autres actions devront être prises (poursuite, mesure disciplinaire, lettre d’excuses, etc.).

Évidemment, ces quelques conseils ne viennent pas à échéance au « Boxing Day » et devraient être suivis tout au long de l’année.


1 Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc., J.E. 94-1286 (C.A.), p. 14.
2 Id., p. 15.
3 Crookes c. Newton [2011] 3 R.C.S. 269, par. 16.
4 Par exemple, consulter Canada Post Corp. v. Canadian Union of Postal Workers, [2012] C.L.A.D. no 85, par. 108.

Flèche vers le haut Montez