The roof is on fire! – La portée du plafond de responsabilité en droit québécois de la construction

Les documents contractuels employés pour des projets majeurs de construction contiennent habituellement des clauses de limitation1 (« Clauses de limitation ») de la valeur des réclamations potentielles du maître de l’ouvrage (« Maître de l’ouvrage ») contre les professionnels, l’entrepreneur, le design-constructeur, le gérant de construction ou, selon le mode de réalisation, de l’équipe de réalisation de projet intégrée (collectivement identifiés ci-après comme le « Débiteur »).

L’application de ces clauses en droit québécois est-elle aussi efficace qu’on pourrait le présumer?

D’emblée, mentionnons qu’en vertu de l’article 1474 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »), une partie ne peut exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice matériel causé à autrui par une faute intentionnelle ou une faute lourde2. Cette prohibition générale étant d’ordre public, une partie ne peut donc y renoncer par contrat.

En plus de cette prohibition générale, plusieurs scénarios applicables au milieu de la construction méritent d’être examinés plus attentivement.

 

Les réclamations contre le Débiteur architecte ou ingénieur 

D’abord, les architectes ne peuvent exclure ou limiter leur responsabilité pour les dommages causés par les actes qui leur sont réservés3.

S’agissant d’une disposition d’ordre public, le Maître de l’ouvrage ne peut y renoncer, du moins pas avant que son droit d’action ne soit né (et alors, il n’aurait aucune raison de le faire).

Il n’existe pas d’équivalent à cette disposition dans le Code de déontologie des ingénieurs.

Il pourrait être permis de plaider le caractère inopérant d’une exclusion de responsabilité de l’ingénieur liée à l’essence même de son contrat4, mais un récent arrêt de la Cour suprême du Canada5 diminue grandement les chances de succès d’un tel argument, sous réserve de distinctions.

 

Les réclamations contre le Débiteur architecte, ingénieur, entrepreneur et sous-traitant pour la perte de l’ouvrage

L’article 2118 C.c.Q. offre au Maître de l’ouvrage un régime de responsabilité solidaire des Débiteurs pour la perte de l’ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, que cette perte résulte d’un vice de conception, de construction, de réalisation de l’ouvrage ou d’un vice du sol.

Étant également d’ordre public (doublement dans le cas de l’architecte, tel qu’expliqué ci-dessus), le Maître de l’ouvrage ne peut y renoncer, du moins pas avant que son droit d’action ne soit né (et alors, il n’aurait aucune raison de le faire).

Les tribunaux ont déjà établi qu’une limitation temporelle à cette garantie (c’est-à-dire d’en réduire la portée de 5 ans) était contraire à l’ordre public. Il est donc permis d’inférer qu’une limitation monétaire serait également considérée comme telle.

 

Les réclamations contre le Débiteur architecte, ingénieur, entrepreneur et sous-traitant pour les malfaçons

L’article 2120 C.c.Q., qui n’est pas d’ordre public, offre au Maître de l’ouvrage un régime de responsabilité du Débiteur pour les malfaçons découvertes dans l’année qui suit la réception de l’ouvrage.

Sous réserve que celles-ci ne soient dirigées contre le Débiteur architecte (renvoi à la section Les réclamations contre l’architecte ou l’ingénieur), les réclamations y afférentes pourront être assujetties à la Clause de limitation.

Cela dit, ces réclamations sont moins susceptibles d’excéder la valeur établie à la Clause de limitation (qui généralement est égale ou supérieure à la valeur de l’ouvrage), par opposition à celles pour la perte de l’ouvrage (à laquelle sont assimilés les vices graves selon une interprétation libérale).

 

Les réclamations contre le Débiteur vendeur, fabricant et distributeur 

Dans plusieurs situations de réclamation par le Maître de l’ouvrage envers le Débiteur, ce dernier peut être assimilé à un vendeur, entraînant l’application de la garantie de qualité du bien vendu. En effet, l’article 2103 (2) C.c.Q. prévoit que l’entrepreneur est tenu aux mêmes garanties que celles du vendeur pour tous les biens qu’il fournit dans le cadre de l’exécution de son contrat.

L’article 1733 C.c.Q. prohibe alors pour le Débiteur, qui serait qualifié de vendeur professionnel au sens de cet article, la possibilité d’exclure sa responsabilité à cet égard, sauf certains cas particuliers.

Cette garantie, de même que la prohibition d’exclusion de responsabilité, s’appliquent également au distributeur et au fabricant de la chaîne, tous solidairement responsables envers le Maître de l’ouvrage.

 

Les réclamations contre le Débiteur pour les pénalités

Les risques que i) le montant prévu dans une clause de type « pénalité » dépasse la valeur du contrat ou ii) que dans l’affirmative un tribunal n’en conclue pas qu’elles sont excessives, paraissent faibles, d’autant plus en présence d’un cautionnement d’exécution qui aurait pu permettre au Maître de l’ouvrage de minimiser son préjudice.

 

Les réclamations contre l’assureur ou la caution du Débiteur

En principe, l’assureur et la caution soulèveront les moyens de défense propres au Débiteur, incluant la Clause de limitation, même si son seuil est inférieur à celui de l’assurance ou du cautionnement concerné, provoquant un effet non désiré par le Maître de l’ouvrage.

En effet, même en excluant l’assureur ou la caution du libellé de la Clause de limitation, ces derniers pourraient vraisemblablement faire valoir qu’ils ne peuvent bénéficier de droits différents de ceux du Débiteur principal puisque leur responsabilité n’est engagée que dans la mesure de la responsabilité de celui-ci.

Dans tous les cas, la caution (par opposition à l’assureur) pourrait s’adresser au Débiteur et à ses garants pour être tenue indemne des sommes versées au Maître de l’ouvrage, sans opposabilité de la Clause de limitation. Le Débiteur doit donc tenir compte de ce risque.

 

Conclusion 

À la lumière de ce qui précède, la portée d’une Clause de limitation peut être grandement limitée par certains principes applicables en droit québécois.

Il en découle que l’établissement, l’application et l’encadrement d’une Clause de limitation nécessitent au Québec un niveau de rédaction et de précision plus élaboré qu’il ne pourrait l’être dans d’autres juridictions, les clauses actuelles ne tenant habituellement pas compte des enjeux ici discutés.

Le Débiteur serait également bien avisé de prendre en compte ces exceptions dans l’établissement de ses réserves de risques et de contingences, ainsi que dans la négociation des clauses du contrat et du règlement des différends, le cas échéant.

__________

1 L’objectif du présent article vise à susciter une première réflexion sur les enjeux et les limites d’une Clause de limitation dans un contrat. Le libellé d’une telle clause à lui seul pourrait être susceptible d’impacter les éléments mentionnés dans cet article.

2 Il n’est d’ailleurs jamais permis d’exclure ou de limiter sa responsabilité pour le préjudice corporel ou moral causé à autrui, en vertu de ce même article.

3 Code de déontologie des architectes, RLRQ c A-21, r 5.1, art. 17 :

17. L’architecte doit, dans l’exercice de sa profession, engager pleinement sa responsabilité civile. Il ne doit pas l’éluder ou tenter de l’éluder, ni requérir d’un client ou d’une autre personne une renonciation à ses recours en cas de faute professionnelle de sa part. Il lui est interdit de prévoir, dans un contrat de services professionnels, une clause excluant, directement ou indirectement, en totalité ou en partie, cette responsabilité. Il ne peut non plus invoquer la responsabilité de la société au sein de laquelle il exerce ses activités professionnelles ni celle d’une autre personne qui y exerce aussi ses activités pour exclure ou limiter sa responsabilité personnelle.

4 Voir notamment Axa Assurances inc. c. Assurances générales des Caisses Desjardins inc., 2009 QCCS 862, par. 266 et ss. (Appel rejeté, 2011 QCCA 584).

5 6362222 Canada inc. c. Prelco inc., 2021 CSC 39.

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