Les conséquences d’un manquement aux exigences contractuelles sur une réclamation pour travaux supplémentaires

Des désordres sont constatés dans un immeuble de la Corporation d’hébergement du Québec (« CHQ ») (maintenant connue sous le nom de Société québécoise des infrastructures) à Trois-Rivières, nécessitant la réhabilitation du bâtiment au moyen d’enfoncement de pieux et de rehaussement. La CHQ lance un appel d’offres public et octroie le contrat de travaux de construction à forfait à Aecon, entrepreneur général. Ce dernier conclut avec le Consortium Bisson-Prétech (« CBP ») un contrat de sous-traitance à forfait pour les travaux de pose de pieux et de rehaussement du bâtiment. Les ingénieurs retenus par le maître de l’ouvrage sont CIMA+, qui préparent les plans et devis faisant partie des documents d’appel d’offres. 

Au début des travaux, CBP identifie certaines problématiques qui empêchent de réaliser le redressement et le pieutage de la cage d’escalier tel que prévu par CIMA+. 

Une solution permettant de pallier aux difficultés est élaborée par les ingénieurs de CBP, qui préparent de nouveaux plans en conséquence. Ces derniers sont acheminés à CIMA+, qui autorise les travaux. Étant donné l’urgence des travaux, ce n’est qu’une fois l’opération de soulèvement réalisée qu’une explication détaillée de la modification apportée et des coûts de réalisation supplémentaires est transmise à Aecon, qui la transmet à son tour au propriétaire du bâtiment, la CHQ. Cette dernière refuse de verser quelconque somme en regard de ces travaux. 

Le 14 juillet 20151, le tribunal se prononce sur la validité de la réclamation pour le coût des travaux supplémentaires considérant le contrat à forfait qui lie le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur général. 

D’entrée de jeu, la Cour supérieure est d’avis que Aecon lui a démontré que les travaux de pieutage tels que présentés aux plans de CIMA+ n’étaient pas réalisables. Bien que le prix d’un contrat à forfait soit en principe immuable, les documents d’appel d’offres ne doivent pas contenir d’erreur déterminante aux fins de la fixation du prix du soumissionnaire. L’énoncé du « risque assumé par l’entrepreneur » ainsi que l’obligation de renseignement qui lui incombe se tempèrent par les représentations du donneur d’ouvrage, notamment par son obligation de ne pas contribuer à dénaturer le risque assumé par l’entrepreneur. Ainsi, le tribunal reconnaît qu’un manque d’exactitude dans les plans et devis puisse induire en erreur le soumissionnaire et lui permettre de réclamer un surplus. L’entrepreneur pouvait s’attendre à ce que les plans et devis soient conformes et les travaux réalisables. Il y a donc ouverture à une réclamation de Aecon pour travaux supplémentaires. 

Encore faut-il que le processus contractuel entre les parties ait été respecté. En effet, comme le reconnaît la jurisprudence, lorsqu’un processus établi contractuellement dicte une marche à suivre, il importe qu’il soit respecté. Toutefois, la Cour cite des auteurs qui rappellent que certaines circonstances exceptionnelles laissent ouverture à l’application de la théorie de la renonciation tacite ou expresse à se prévaloir de la procédure contractuelle. Cette théorie est appliquée en l’espèce, alors que le comportement des parties se traduit en une adaptation des exigences contractuelles. Bien que les clauses du contrat n’aient pas été respectées à la lettre, il ressort de la preuve que les parties ont voulu être plus « pratiques » en s’adaptant aux particularités propres au chantier. Quoi qu’il en soit, il appert que le donneur d’ouvrage a été informé, tant verbalement que par écrit, que le travail ne pourrait être réalisé conformément aux plans. Le tribunal note qu’au surplus, les documents d’appels d’offre ne prévoyaient aucune procédure formelle quant à la façon de dénoncer une telle situation lorsque constatée par l’entrepreneur. 

Sur cet aspect, la décision de la Cour supérieure se distingue nettement de l’arrêt récent Consortium MR Canada ltée c. Commission scolaire de Laval2, dans lequel la Cour d’appel a statué sur des modifications apportées à un contrat à forfait conclu entre un entrepreneur et un donneur d’ouvrage, engageant des coûts indirects reliés aux frais généraux de chantier. Dans cette décision, la Cour d’appel a rejeté la réclamation de l’entrepreneur pour son défaut de s’être formalisé aux procédures contractuelles. Se fondant sur l’affaire Développement Tanaka inc. c. Corporation d’hébergement du Québec3, la Cour d’appel a rappelé que « La règle cardinale en matière de contrat à forfait est donc celle de l’immuabilité des obligations respectives des parties, sous réserve de l’application stricte des clauses permettant les modifications aux travaux et au prix.4 ». 

La question de modifications et de travaux supplémentaires fait couler beaucoup d’encre en droit de la construction. Pour éviter tout litige, il est primordial de respecter les modalités du contrat. Bien que la procédure contractuelle puisse sembler encombrante, son formalisme pourrait devenir votre meilleur ami en cas de conflit.


1 Groupe Aecon Québec ltée c. Société québécoise des infrastructures, 2015 QCCS 3478
2 2015 QCCA 598
3 2011 QCCA 1278
4 Préc., note 1, parag. 33.

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