Le travail des enfants au Québec : à l’aube d’une nouvelle ère juridique

Le 28 mars dernier, quelques mois après avoir reçu du Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre (le « CCTM ») son plus récent avis concernant le travail des enfants au Québec, le ministre du Travail, Jean Boulet, a présenté le projet de loi 19, Loi sur l’encadrement du travail des enfants, visant à réformer la législation encadrant présentement le travail des enfants afin de mieux l’adapter aux réalités actuelles du marché du travail ainsi que de lui assurer une meilleure compatibilité avec les autres législations canadiennes et les conventions internationales. Selon le ministre Boulet, les deux objectifs fondamentaux de cette réforme sont d’assurer une meilleure réussite éducative aux enfants et de protéger leur santé et leur sécurité.

N’ayant pas été significativement mis à jour depuis le tournant du millénaire, le cadre juridique régissant le travail des enfants porte effectivement flanc à plusieurs critiques, comme en font foi certaines des statistiques pour le moins inquiétantes présentées par le CCTM, cet organisme tripartite regroupant le ministère du Travail ainsi que des représentants patronaux et syndicaux. La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail a par exemple compilé entre 2012 et 2021 une augmentation de 392 % des accidents de travail chez les jeunes de moins de 14 ans et de 221 % chez les jeunes de moins de 15 ans.

Bien qu’en déclin croissant1, la question du décrochage scolaire chez les jeunes est aussi un problème important auquel souhaite s’attaquer le gouvernement. Au Québec, un garçon mineur consacrant entre une et dix heures par semaine à son travail voit le risque de décrocher de ses études s’établir à 21 %. Plus inquiétant encore, lorsque le nombre d’heures travaillées augmente au-delà du plateau des 21 heures, les risques de décrochage scolaire s’établissent alors à 41 %2!

D’ailleurs, la pénurie de main-d’œuvre à laquelle fait présentement face le Québec, marquée par un creux historique du taux de chômage de 3,9 % en janvier 20233, ne fait qu’exacerber un problème déjà existant. En effet, cette pénurie incite nécessairement certains employeurs à se montrer plus compétitifs lors du recrutement, ce qui peut se traduire par des offres d’emploi à des conditions de travail plus alléchantes offertes notamment à des travailleurs non qualifiés, un phénomène pouvant pousser certains jeunes à décrocher afin de rejoindre plus tôt le marché du travail.

 

Ce que prévoit présentement la loi

D’emblée, il est à noter que l’ensemble des protections juridiques relatives au droit du travail au Québec s’appliquent indépendamment de l’âge du travailleur et protègent donc tant les enfants que les adultes. Plus spécifiquement au travail des mineurs, et contrairement à la majorité des autres provinces canadiennes, la législation québécoise ne prévoit actuellement aucun âge minimal pour le travail, mais édicte néanmoins certaines restrictions afin d’offrir un niveau appréciable de protection aux employés mineurs.

D’abord, avant même de pouvoir faire effectuer une prestation de travail à un enfant de moins de 14 ans, un employeur a l’obligation d’obtenir le consentement écrit de son titulaire de l’autorité parentale ou de son tuteur, généralement un parent4. L’employeur ayant obtenu une telle autorisation a en outre l’obligation d’en conserver une copie au registre de l’employé.

De manière plus générale, la loi interdit à un employeur de faire effectuer par un enfant un travail disproportionné à ses capacités ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique ou moral5. À cet égard, des postes de boucher ou d’opérateur de hachoir dans un abattoir ont, par exemple, été considérés par les tribunaux comme étant trop dangereux pour des enfants6.

Ensuite, la loi prévoit aussi quelques restrictions temporelles afin de permettre aux enfants d’être présents en classe sans que leur emploi ne nuise à leur scolarité. Ainsi, un employeur ne peut pas faire travailler un enfant assujetti à l’obligation de fréquentation scolaire durant les heures de classe et il doit même s’assurer que cet enfant bénéficiera d’une période de temps suffisante, avant ou après son quart de travail, afin de se rendre à l’école durant les heures de classe7. Conformément à la Loi sur l’instruction publique, tout enfant résident du Québec doit fréquenter l’école jusqu’au dernier jour de l’année scolaire au cours de laquelle il atteint l’âge de 16 ans ou qu’il obtient un diplôme décerné par le ministre de l’Éducation.

De surcroît, il est aussi interdit pour un employeur de faire travailler des enfants entre 23 h et 6 h. Cette règle ne s’applique cependant pas aux enfants n’étant plus assujettis à l’obligation de fréquentation scolaire, aux enfants effectuant de la livraison de journaux ou à ceux exerçant un emploi à titre de créateur ou d’interprète dans divers domaines de production artistique tels que la scène, la musique, la danse, le film ou l’enregistrement d’annonces publicitaires. En plus de ne pas pouvoir faire exécuter une prestation de travail pendant ces heures, l’employeur est aussi dans l’obligation de s’assurer que cet enfant puisse être de retour chez lui entre 23 h et 6 h. Cependant, un employeur qui opère un organisme à vocation sociale ou communautaire où logent les enfants travailleurs, un camp de vacances par exemple, n’est pas tenu à cette obligation8.

Finalement, la législation québécoise prévoit aussi plusieurs autres restrictions spécifiques, comme des limites minimales d’âge pour l’exercice de certains emplois dangereux tels que le travail sous-terrain9, l’abattage des arbres à l’aide d’une scie à chaîne10 ou le dynamitage11.

 

Ce que prévoit le projet de loi 19

Se conformant en grande partie à l’avis du CCTM, le projet de loi propose plusieurs modifications importantes à la législation actuelle afin de mieux protéger les travailleurs mineurs du Québec. En plus des protections déjà existantes qui demeurent, certaines d’entre elles sont renforcées et de nouvelles sont aussi mises en place.

Ainsi, à l’instar de la majorité des autres provinces du Canada, le Québec imposera désormais une limite légale à l’âge du travail. Dès lors, il sera interdit aux enfants de moins 14 ans de fournir une prestation de travail, sauf si celle-ci s’inscrit dans une des exceptions suivantes prévues par la loi :

  • la création et l’interprétation dans un domaine artistique;
  • la livraison de journaux;
  • le gardiennage d’enfants;
  • l’aide aux devoirs ou le tutorat;
  • le travail dans une entreprise familiale comptant moins de 10 salariés, pourvu que l’employeur ou, le cas échéant, l’administrateur ou l’associé de l’entreprise, ou le conjoint de ce dernier, soit le parent de l’enfant;
  • le travail dans un organisme à but non lucratif et à vocation sociale ou communautaire, tel qu’une colonie de vacances ou un organisme de loisirs;
  • le travail dans organisme sportif à but non lucratif pour assister une autre personne ou en soutien, tel qu’un aide-moniteur, un assistant-entraîneur ou un marqueur.

Il importe au passage de préciser que dans ces trois derniers cas, le travail des jeunes de moins de 14 ans devra néanmoins obligatoirement s’effectuer sous la supervision d’un adulte.

Par ailleurs, l’obligation déjà existante d’obtenir une autorisation dûment signée par les parents de l’enfant de moins 14 ans est précisée. Dorénavant, cette autorisation se fera via un formulaire prévu à cet effet et où sont détaillées les tâches, les heures de travail et les disponibilités de l’enfant. En outre, toute modification subséquente à l’emploi devra elle aussi faire l’objet d’un nouveau consentement parental.

En plus des autres restrictions relatives aux heures de travail mentionnées ci-haut, une autre mesure phare mise en place par le ministre du Travail et visant à favoriser la réussite scolaire est l’imposition d’un nombre maximal de 17 heures de travail par semaine pour les jeunes de moins de 16 ans, dont un maximum de 10 heures de travail entre le lundi et le vendredi.

Autrement, le projet de loi 19 prévoit aussi diverses autres mesures, telles que la bonification du contenu des programmes de prévention en matière de santé et de sécurité du travail des entreprises pour tenir compte de l’âge des salariés touchés ainsi qu’une certaine augmentation des pouvoirs de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail pour lui permettre d’accorder une aide financière afin de soutenir des initiatives d’information, de sensibilisation ou de formation en matière de normes du travail.

Finalement, pour donner un peu plus de mordant à la législation, le projet de loi 19 prévoit aussi le doublement du montant minimum des amendes par rapport à ce qui est actuellement en vigueur, amendes qui pourront dorénavant aller jusqu’à 12 000 $ en cas de récidive.

À partir du moment où la loi sera sanctionnée, les employeurs du Québec auront 30 jours pour remettre un avis de fin d’emploi aux employés mineurs ne répondant pas aux nouvelles exigences légales ou pour obtenir l’autorisation parentale requise, s’il y a lieu. Dans le cas où l’employeur est tenu de fournir un avis de fin d’emploi, le délai du préavis devant être offert est spécifiquement prévu au projet de loi. Autrement, outre les mesures relatives au nombre d’heures travaillées qui entreront en vigueur le 1er septembre 2023 et celles relatives à la santé et la sécurité du travail qui suivront l’entrée en vigueur de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, les autres dispositions prévues au projet de loi 19 entreront en vigueur lors de sa sanction.

 

Conclusion

Bien que cette réforme du cadre juridique régissant le travail des enfants soit importante et parfaitement louable, cette dernière entraînera nécessairement des modifications au régime existant qui auront des répercussions sur les employeurs du Québec. Cette réalité est d’autant plus vraie lorsque l’on considère les problèmes de recrutement que vivent présentement les employeurs et c’est pourquoi il sera pertinent, au fil des prochains mois, de rester à l’affût des débats tenus dans l’enceinte de l’Assemblée nationale ainsi que lors des consultations publiques afin de mieux cerner les orientations retenues par le ministre du Travail. Les employeurs du Québec devront aussi s’assurer de connaître l’âge de tous leurs employés ainsi que de veiller au respect de toutes les nouvelles exigences appelées à entrer en vigueur prochainement.

Pour en connaître davantage sur l’ampleur des obligations pouvant incomber à votre entreprise ou pour obtenir des conseils quant à leur application, n’hésitez pas à communiquer avec notre groupe de droit du travail et de l’emploi.

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1 « Taux de sorties sans diplôme ni qualification parmi les sortants au secondaire » (14 mars 2023), ministère de l’Éducation et ministère de l’Enseignement supérieur, en ligne : <http://www.education.gouv.qc.ca/references/indicateurs-et-statistiques/indicateurs/taux-de-sorties-sans-diplome-ni-qualification-parmi-les-sortants-au-secondaire>.
2 Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, « Travail des jeunes : agir de manière exemplaire » (19 septembre 2022), en ligne : Carrefour CRHA <https://carrefourrh.org/ressources/dotation/2022/09/travail-jeunes-agir-maniere-exemplaire>.
3 Statistique Canada, « Tableau 14-10-0287-03, Caractéristiques de la population active selon la province, données mensuelles désaisonnalisées » (10 mars 2023), en ligne : <https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1410028703>.
4 Loi sur les normes du travail, RLRQ c N-1.1, art 84.3 [Lnt].
5 Lnt, supra note 4, art 84.2.
6 Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 500 et Aliments Cargill ltée (grief syndical et Alyssa Tremblay), DTE 2011T-823.
7 Lnt, supra note 4, art 84.4 et 84.5.
8 Ibid, art 84.6, 84.7; Règlement sur les normes du travail, c N-1.1, r 3, art 35.1 et 35.2.
9 Règlement sur la santé et la sécurité du travail dans les mines, RLRQ c S-2.1, r 14, art 26§o2a).
10 Règlement sur la santé et la sécurité dans les travaux d’aménagement forestier, RLRQ c S-2.1, r 12.1, art 27(1)§o2.
11 Règlement sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ c S-2.1, r 13, art 294.

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