Langue du commerce et des affaires : vos obligations à la suite de l’adoption du projet de loi 96 modifiant la Charte de la langue française

Le 24 mai dernier, le gouvernement du Québec a adopté la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (la « Loi »). La Loi a reçu la sanction royale le 1er juin 2022 et elle se retrouve désormais au chapitre 14 du Recueil annuel des lois du Québec de 2022 (LQ 2022, c. 14). 

La Loi introduit une large réforme de la Charte de la langue française (la « Charte ») et elle aura de nombreux impacts sur les entreprises et le commerce au Québec, notamment en ce qui concerne :

  • Les communications avec la clientèle;
  • Les contrats et les autres documents commerciaux entre parties privées;
  • Les inscriptions sur les produits et l’étiquetage;
  • L’affichage public et de la publicité commerciale.

Les entreprises devront s’adapter à de nouvelles exigences et pourraient faire face à des sanctions relativement sévères en cas de non-conformité.

L’intention du législateur, telle qu’elle se dégage notamment des amendements intervenus en cours d’étude du projet de loi et des déclarations du ministre de la Justice, est que la Charte s’applique désormais à toutes les entreprises exerçant des activités au Québec, incluant les entreprises de compétence fédérale. Cela dit, l’application de la Charte à ces dernières pourrait faire l’objet d’une contestation constitutionnelle.

 

Les communications avec la clientèle

La Charte prévoit déjà un droit pour le consommateur de biens ou de services d’être informé et servi en français1. Elle contient désormais une obligation expresse pour les entreprises offrant des biens et des services de respecter ce droit et d’informer et de servir en français tout public autre que des consommateurs2. Le manquement à cette obligation pourra donner lieu à une ordonnance de l’Office québécois de la langue française (l’« OQLF »)3 et, potentiellement, à une amende4. De plus, tout consommateur pourra obtenir la cessation de l’atteinte à son droit d’être informé et servi en français, sauf si l’atteinte est commise par une entreprise employant moins de cinq (5) personnes5.

Ces modifications sont entrées en vigueur à la date de la sanction, le 1er juin 2022. 

 

La langue des contrats et des autres documents commerciaux entre parties privées

La réforme de la Charte modifie les règles applicables aux contrats d’adhésion, aux contrats contenant des clauses types, aux contrats de consommation et à plusieurs autres documents utilisés dans le cadre des échanges commerciaux entre parties privées.

Contrats d’adhésion

La Charte stipule déjà que les contrats d’adhésion doivent être rédigés en français. La Loi viendra toutefois modifier les règles applicables à ces types de contrats. La Charte précisera en effet que s’ils sont rédigés dans une autre langue que le français, les parties n’y seront liées que si elles y consentent expressément, après que la version française aura été remise à l’adhérent6.

Le législateur a toutefois prévu une série d’exceptions à cette règle. En plus des contrats de travail, certains contrats d’adhésion énumérés par la Charte en seront exemptés (les « contrats d’adhésion exemptés »). Il s’agira essentiellement de contrats conclus dans le domaine financier ou qui présentent des éléments d’extranéité. Ces contrats pourront être rédigés exclusivement dans une autre langue que le français si les parties y consentent expressément. Il en ira de même des contrats qui contiennent des clauses types, mais qui ne sont pas des contrats d’adhésion.

Une partie ne pourra exiger de l’autre quelque frais que ce soit en lien avec la rédaction d’une version française d’un contrat d’adhésion ou d’un document s’y rattachant, dans la mesure où cette autre partie a droit à la version française de ce contrat ou document.

Contrats de consommation

La Loi sur la protection du consommateur (« L.p.c. ») sera modifiée afin de prévoir que les parties ne pourront pas valablement consentir à ce que le contrat de consommation soit rédigé dans une autre langue que le français avant qu’une version française du contrat n’ait été préalablement remise au consommateur7. Aucuns frais ne pourront être exigés du consommateur pour la rédaction de la version française du contrat de consommation. 

Bons de commande et autres documents utilisés dans les échanges commerciaux

En ce qui concerne les autres documents pouvant être utilisés dans le cadre d’échanges commerciaux, la Charte prévoyait déjà que les catalogues, les brochures, les dépliants et les annuaires commerciaux devaient être rédigés en français. Sont ajoutés à cette liste les bons de commande et tout autre document de même nature disponible au public8. La Charte précise aussi qu’il est interdit de rendre un tel document disponible au public dans une autre langue que le français lorsque sa version française n’est pas accessible dans des conditions au moins aussi favorables.

Auparavant, la Charte prévoyait que les factures, les reçus et les quittances devaient être rédigés en français. Désormais, cette liste est non exhaustive puisque la Loi précise que l’énumération vise aussi tous les autres documents de même nature9. De plus, il est désormais interdit de transmettre de tels documents dans une autre langue que le français si leur version française n’est pas accessible au destinataire dans des conditions au moins aussi favorables. 

Sommaire des exigences applicables aux contrats et aux documents commerciaux

Voici un tableau qui résume les modifications qui ont été, ou qui seront apportées, selon le cas, aux règles portant sur la langue des contrats et autres documents commerciaux entre parties privées, aux sanctions en cas de manquement à ces règles et la date de leur entrée en vigueur respective.

 

Les inscriptions sur les produits

La Charte prévoyait jusqu’à présent que les inscriptions sur les produits, leurs contenants ou emballages ainsi que les documents ou les objets les accompagnant (par ex., mode d’emploi, certificat de garantie, etc.) devaient être rédigées en français, mais qu’elles pouvaient être assorties d’une ou de plusieurs traductions. Le législateur est venu préciser que l’inscription rédigée dans une autre langue que le français ne doit pas être accessible dans des conditions plus favorables que celle qui est rédigée en français10.

Une nouvelle disposition sera également ajoutée à la Charte, afin de réglementer l’usage des marques de commerce dans les inscriptions sur les produits. Deux conditions devront être remplies pour qu’une marque de commerce rédigée dans une autre langue que le français puisse être inscrite sur un produit, son contenant, son emballage ou sur les documents qui l’accompagnent :

  • La marque devra être déposée au sens de la Loi sur les marques de commerce; et
  • Aucune version correspondante en français de la marque ne se trouvera au registre des marques de commerce11.

De plus, si un générique ou un descriptif du produit est contenu dans cette marque, celui-ci devra figurer en français sur le produit ou sur un support qui y est rattaché de manière permanente.

La portée exacte de cette nouvelle disposition demeure ambiguë, notamment en raison de l’absence de précision quant à la portée de l’expression un générique ou un descriptif du produit. 

Le manquement à ces nouvelles exigences de la Charte pourra donner lieu à une ordonnance de l’OQLF12 et, potentiellement, à une amende13. L’OQLF pourrait ordonner à l’entreprise de se conformer à la Charte ou d’arrêter d’y contrevenir, notamment au moyen d’une ordonnance enjoignant à l’entreprise de cesser de vendre ou de distribuer le produit.

L’ordonnance de l’OQLF pourra être rendue à l’égard de quiconque vend, distribue, loue, offre ou détient le produit faisant l’objet du manquement. Le pouvoir d’ordonnance de l’OQLF pourra aussi viser les entreprises permettant la conclusion en ligne de contrats visant l’obtention de produits non conformes à la Charte, et dont le distributeur, le vendeur, le locateur, l’offrant ou le détenteur n’aurait pas d’établissement au Québec14.

Un avis écrit pourrait devoir être envoyé par l’OQLF avant qu’il ne rende une ordonnance15. 

La modification visant à préciser que l’inscription dans une autre langue que le français ne pourra être accessible dans des conditions plus favorables est entrée en vigueur à la date de la sanction royale, le 1er juin 2022. Quant à la disposition concernant l’emploi des marques de commerce dans les inscriptions sur les produits, elle entrera en vigueur le 1er juin 2025.

 

La publicité commerciale et l’affichage public

La règle antérieure voulant que l’affichage public et la publicité commerciale doivent se faire en français, mais qu’ils peuvent se faire à la fois en français et dans une autre langue dans la mesure où le français y figure de façon nettement prédominante16 demeure inchangée avec la réforme de la Charte. Toutefois, la Loi viendra réglementer, au moyen de nouvelles dispositions, l’affichage public visible depuis l’extérieur d’un local ainsi que l’emploi des marques de commerce dans l’affichage public et la publicité commerciale17

Une marque de commerce rédigée uniquement dans une autre langue que le français ne pourra dorénavant être utilisée dans l’affichage public et la publicité commerciale qu’à deux conditions :

  • La marque de commerce aura été déposée au sens de la Loi sur les marques de commerce; et
  • Aucune version française correspondante ne se trouvera au registre des marques de commerce.

Quant à l’affichage public visible depuis l’extérieur d’un local, le français devra y figurer de façon nettement prédominante dans deux circonstances :

  • Lorsqu’y figure le nom d’une entreprise qui comporte une expression tirée d’une autre langue que le français; ou
  • Lorsqu’y figure une marque de commerce rédigée dans une autre langue que le français.

Ces deux ajouts à la Charte entreront en vigueur le 1er juin 2025. Pour en apprendre davantage à ce sujet, consultez notre autre billet. Pour de plus amples informations sur les autres modifications qui seront apportées en général par la Loi, consultez nos publications suivantes :

__________

1 Art. 5 de la Charte.
2 Art. 50.2 de la Charte (ajouté par l’art. 41 de la Loi).
3 Art. 177 de la Charte (ajouté par l’art. 113 de la Loi).
4 Art. 205 de la Charte (ajouté par l’art. 114 de la Loi).
5 Art. 204.16 de la Charte (ajouté par l’art. 114 de la Loi).
6 Art. 55 de la Charte (modifié par l’art. 44 de la Loi).
7 Art. 26 de la L.p.c. (modifié par l’art. 151 de la Loi).
8 Art. 52 de la Charte (modifié par l’art. 43 de la Loi).
9 Art. 57 de la Charte (modifié par l’art. 46 de la Loi).
10 Art. 51 de la Charte (modifié par l’art. 42 de la Loi).
11 Art. 51.1 de la Charte (ajouté par l’art. 42.1 de la Loi).
12 Art. 177 de la Charte (ajouté par l’art. 113 de la Loi).
13 Art. 205 de la Charte (ajouté par l’art. 114 de la Loi).
14 Art. 177 de la Charte (ajouté par l’art. 113 de la Loi).
15 Art. 177 de la Charte (ajouté par l’art. 113 de la Loi).
16 Art. 58 de la Charte.
17 Art. 58.1 et 68.1 de la Charte (ajoutés respectivement par l’art. 47 et l’art. 48 de la Loi).

 

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