La Cour d’appel vient préciser les règles du transfert d’imputation

Le 24 janvier dernier, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision fort attendue portant sur l’interprétation de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après, la « LATMP » ou la « Loi »). Il s’agit de l’arrêt Commission de la santé et de la sécurité du travail c. 9069-4654 Québec inc., 2018 QCCA 95. Cette décision était d’autant plus souhaitée que dans l’attente de balises claires quant aux règles de transfert d’imputation, un moratoire avait été décrété par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, la « CNESST ») depuis 2015.

Les faits

Les faits à l’origine de cette affaire sont relativement simples. En août 2011, un travailleur fait l’objet d’une lésion professionnelle. En février 2012, le médecin traitant autorise un retour au travail progressif durant lequel le travailleur adopte un comportement inacceptable à l’égard de son employeur qui prend la décision de mettre fin à l’emploi de celui-ci. La lésion du travailleur n’étant toujours pas consolidée lors du congédiement, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, la « CSST », maintenant remplacée par la CNESST) reprend le versement des indemnités de remplacement de revenu (ci-après, les « IRR »). L’employeur demande alors un transfert des coûts afférents aux IRR, alléguant être obéré injustement par l’imputation de ces prestations. Cette demande est refusée par la CSST, laquelle décision est contestée par l’employeur à la Commission des lésions professionnelles (ci-après, la « CLP », maintenant remplacée par le Tribunal administratif du travail).

Les décisions antérieures

Dans le cadre de l’audience tenue devant la CLP, l’employeur invoque qu’il ne devrait pas être imputé des sommes versées après le congédiement puisque celles-ci ne découlent pas de la lésion professionnelle (art. 326, al. 1 LATMP), mais également qu’il est obéré injustement par l’imputation des IRR à son dossier (art. 326 al. 2 LATMP).

La juge administrative conclut que l’article 326, al. 2 LATMP ne peut trouver application en l’espèce puisque celui-ci ne s’applique que dans le cas d’un transfert total du coût des prestations. Toutefois, elle détermine que la demande de l’employeur doit être accueillie en vertu du 1er alinéa de l’article 326 de la Loi.

La CSST porte cette décision en révision judiciaire devant la Cour supérieure, laquelle rejette la requête.

La CSST se pourvoit ensuite en appel.

La décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel, sous la plume de l’honorable juge Vézina, accueille l’appel de la CNESST et retourne le dossier au Tribunal administratif du travail afin qu’une nouvelle décision soit rendue.

D’une part, le juge écarte l’interprétation restrictive de l’article 326, al. 2 faite par la CLP. En effet, de l’avis de la Cour, rien ne permet de conclure que cette disposition n’est applicable que dans le cas d’un transfert total d’imputation.

D’autre part, le juge souligne que la Loi prévoyant que toute indemnité ou prestation versée doit l’être « en raison d’un accident du travail », la conclusion selon laquelle le libellé de l’article 326 al. 1 LATMP exclurait certaines indemnités n’est pas une interprétation raisonnable.

Par ailleurs, la Cour met fin au débat jurisprudentiel et confirme que le délai d’un an pour loger une demande de transfert d’imputation court à compter du jour où le droit à l’exception naît. En l’espèce, c’est à compter du congédiement et non pas de la date de la lésion.

En raison de ce qui précède, la Cour d’appel détermine qu’il y a lieu de retourner le dossier au Tribunal administratif du travail pour qu’un juge examine si l’employeur était effectivement obéré injustement par l’imputation des IRR versées au travailleur après son congédiement. En d’autres mots, bien que le congédiement n’ait pas été contesté, la justesse de celui-ci devra tout de même être démontrée si l’employeur désire prétendre qu’il est obéré « injustement ».

Après plusieurs années d’attente, maintenant que cette décision est rendue, il y a tout lieu de croire que le moratoire de la CNESST sera levé et que des milliers de demandes de transfert d’imputation seront traitées au cours des prochains mois.

Recommandations

Lorsqu’une assignation temporaire ou un retour au travail progressif sont interrompus en raison de circonstances indépendantes de la lésion professionnelle et de l’employeur (ex. : maladie intercurrente, congédiement, démission, retraite, etc.), nous vous recommandons d’effectuer les quelques démarches suivantes, lesquelles pourraient avoir un impact majeur sur votre dossier de financement.

Dans un premier temps, nous croyons qu’il serait prudent de contester la légitimité du versement des IRR lorsqu’elles sont versées pour d’autres raisons que la lésion professionnelle.

Dans un deuxième temps, lorsque survient une circonstance indépendante de la lésion et ayant pour effet d’interrompre l’assignation temporaire ou le retour au travail progressif, nous vous recommandons de demander, dans l’année suivant cette interruption, un transfert de l’imputation des coûts selon les dispositions des 1er et 2e alinéas de l’article 326 LATMP.

Finalement, au soutien de la demande dont il est précédemment fait mention, nous vous recommandons de justifier auprès de la CNESST ou du Tribunal administratif du travail l’origine de l’injustice alléguée.

Ainsi, vous devrez démontrer, à l’aide d’une preuve claire et objective, que l’interruption de l’assignation temporaire de travail ou du retour au travail progressif est bel et bien secondaire à une autre cause que la lésion et que n’eût été de cette circonstance, l’assignation temporaire de travail ou le retour au travail progressif aurait non seulement été offert au travailleur, mais également exécuté par celui-ci.

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