Tendez l’oreille, s’agit-il d’une marque de commerce non traditionnelle?

Si les marques mots comme les slogans, les noms de produits ou les noms commerciaux de même que les marques dessins comme les logos sont considérés comme des marques traditionnelles, alors en quoi consistent exactement les marques non traditionnelles? En juillet 2021, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu deux décisions intéressantes concernant ces marques non traditionnelles. La première décision, Ardagh Metal Beverages Holdings GmbH & Co. KG c. EUIPO, a examiné le caractère enregistrable d’un son, tandis que la seconde, Guerlain c. EUIPO, a examiné si la forme tridimensionnelle d’un produit pouvait être enregistrée en tant que marque de commerce.

 

Le son d’une canette lorsqu’on l’ouvre

Dans l’affaire Ardagh, la CJUE a confirmé la décision de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) de rejeter une demande d’enregistrement d’une marque de commerce correspondant au son émis par une canette lorsqu’on l’ouvre, suivi d’un court silence puis d’un son de pétillement. Le Tribunal a confirmé que le son en question est avant tout un élément fonctionnel des produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé. Ainsi, le consommateur moyen du produit ne percevrait le son que comme une solution technique liée à la manipulation des contenants de boissons, qu’ils soient gazeux ou non. Une telle marque purement fonctionnelle ne saurait répondre aux critères requis de caractère distinctif, et le Tribunal a conclu que la demande d’enregistrement du signe sonore était à juste titre rejetée sur cette base.

 

La forme tridimensionnelle d’un rouge à lèvres

Cette affaire fournit un exemple de ce que la CJUE peut accepter comme marque distinctive non traditionnelle. Guerlain, une société française de cosmétiques bien connue, a demandé l’enregistrement du signe tridimensionnel ci-dessous en association avec des rouges à lèvres.

L’EUIPO a rejeté la demande au motif que la marque demandée ne répondait pas au critère du caractère distinctif et n’était donc pas enregistrable. Guerlain a fait appel de la décision et, le 14 juillet 2021, la CJUE a annulé la décision de l’EUIPO.

La CJUE a déclaré que, selon la jurisprudence européenne, une forme tridimensionnelle sera dépourvue de caractère distinctif si elle est proche de la forme la plus probable que prendra le produit en question. En outre, le seul fait que la marque demandée soit une variante d’une des formes habituelles du produit en cause ne suffit pas à établir le caractère distinctif de la marque. Le facteur décisif est de savoir si la marque tridimensionnelle permet au consommateur moyen du produit en question d’identifier sa source et de distinguer le produit d’un certain fabricant de ceux d’autres entreprises.

En l’espèce, la CJUE a estimé que la forme du rouge à lèvres de Guerlain diffère sensiblement de la forme habituelle de tels produits. La CJUE a reconnu l’existence d’une grande variété de formes sur le marché du rouge à lèvres, mais a constaté que les éléments de preuve en l’espèce démontraient que la forme habituelle du produit était généralement cylindrique. La CJUE n’est pas d’accord avec l’argument de l’EUIPO selon lequel la forme en question est semi-cylindrique, estimant plutôt qu’elle rappelle une coque de bateau. Le Tribunal a en outre déclaré que le rouge à lèvres typique aura une surface plane permettant au produit de se tenir debout, alors que le rouge à lèvres de Guerlain n’a pas de surface plane et ne peut donc pas être placé à la verticale. Enfin, le Tribunal a constaté que la présence de la petite forme ovale en relief sur le rouge à lèvres en cause, comme une charnière, contribuait aussi à son aspect inhabituel et le différenciait de la forme cylindrique de base d’autres produits sur le marché.

La législation canadienne diffère de la législation européenne, bien que le caractère distinctif joue un rôle important dans les deux cas. Au Canada, les marques de commerce non traditionnelles peuvent également être enregistrées sous certaines conditions, notamment lorsqu’un requérant peut démontrer que la marque de commerce est distinctive à la date de dépôt de la demande.

Le registraire canadien a historiquement autorisé l’enregistrement de marques de commerce constituées uniquement de sons. Les formes des produits ou de leurs contenants pouvaient également être enregistrées si les marques demandées satisfont aux exigences d’un signe distinctif.

Le 17 juin 2019, des modifications à la Loi sur les marques de commerce du Canada sont entrées en vigueur et les dispositions relatives aux signes distinctifs ont été abrogées. Désormais, toutes les marques non traditionnelles, à savoir les formes tridimensionnelles, les hologrammes, les images en mouvement, les façons d’emballer les produits, les sons, les odeurs, les goûts et les textures, suivent les mêmes règles. En vertu de la nouvelle législation, si la marque demandée consiste exclusivement en un tel signe, le registraire demandera la preuve qu’il est distinctif à la date de dépôt de la demande. De plus, la marque de commerce ne sera pas enregistrable si « ses caractéristiques résultent principalement d’une fonction utilitaire »1 en relation avec les produits ou les services en association avec lesquels elle est utilisée ou proposée d’être utilisée.

Pour plus de détails ou pour toute question quant à la protection ou au processus d’enregistrement de marques de commerce, n’hésitez pas à communiquer avec un membre de notre équipe.

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1 Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, art 12(2).

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