L’assurance au temps du réchauffement climatique

À partir des années 2000, un accroissement de l’indice actuariel climatique est constaté au Canada. Cela témoigne de la probabilité grandissante des événements météorologiques extrêmes1. Dans les dernières années, les assureurs ont versé des indemnités majeures découlant d’un même événement. Les incendies de 2016 à Fort McMurray ont occasionné des dommages de près de 10 G$, dont le tiers était assuré, ce qui en fait le sinistre le plus important survenu au pays à ce jour2.

Pour les années 1983 à 2008, exception faite de deux années, les pertes assurables annuelles attribuables aux catastrophes naturelles en assurance habitation n’ont jamais dépassé 500 M$. Depuis 2010, les assureurs canadiens ont généralement versé annuellement plus de 1 G$3. Cette importante hausse des versements indemnitaires est essentiellement causée par l’eau. En effet, les pluies abondantes et le rehaussement du niveau de la mer occasionnent des dégâts d’eau et mettent en péril plusieurs immeubles à risque. Le vieillissement des infrastructures est également responsable, en partie, de cette hausse marquée des dommages4.

Qu’adviendrait-il en cas de sinistre majeur? Dans un rapport de 2016, l’Institut C.D. Howe a conclu qu’un événement extraordinaire causant plus de 30 G$ de pertes assurables excéderait la capacité de payer des assureurs canadiens et de la Société d’indemnisation en matière d’assurances (SIMA)5. Ainsi, les gouvernements contribuent également à éponger une partie des dommages subis par les citoyens lors de sinistres causés par des événements naturels. Le Bureau d’assurance du Canada souligne le rôle des gouvernements dans la gestion des risques, dont celui d’inondation : « L’assurabilité du risque d’inondation est limitée au Canada et cela place le fardeau de la reconstruction et du rétablissement post-catastrophe sur les propriétaires de maison et les contribuables qui financent les dépenses d’aide en cas de catastrophe du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux et des administrations municipales6 ».

Différentes initiatives sont ainsi instaurées par les gouvernements. À titre d’exemple, le gouvernement québécois a établi en 2019 le Programme général d’indemnisation et d’aide financière, géré par le ministère de la Sécurité publique. Cependant, ce programme est assujetti à un cadre spécifique d’admissibilité et demeure un soutien de dernier recours, avec des indemnités plafonnées. Le système français présente aussi un schéma intéressant, alors que le gouvernement rembourse certains dommages causés par des catastrophes naturelles, en échange d’une prime appliquée pour tous les citoyens qui souscrivent à une assurance automobile, habitation ou entreprise7.

Au Québec, différents régimes ont été développés pour tenter d’éponger les conséquences néfastes des inondations, qui sont de plus en plus fréquentes. En ce sens, le régime transitoire de gestion des zones inondables, des rives et du littoral vient modifier l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement8 dans les milieux hydriques, afin d’encadrer certains types de travaux pour une personne vivant ou effectuant certaines activités en zone inondable, en rive ou en littoral. Une autorisation municipale ou ministérielle est, selon le cas, demandée9. Le nouvel encadrement vise également à réduire graduellement les effets de l’agriculture, afin de permettre le rétablissement des fonctions écologiques du littoral10. L’objectif gouvernemental est d’éviter d’accentuer les risques liés aux inondations en construisant et/ou rénovant des bâtiments dans des zones à haut risque de dommages par l’eau.

Le gouvernement canadien et celui du Québec ont aussi mis en place des plans plus globaux pour atténuer les bouleversements climatiques. Au fédéral, le gouvernement du Canada a lancé le Plan de réduction des émissions du Canada pour 2030, qui vise à permettre à l’économie canadienne de réduire ses émissions de 40 % à 45 % sous les niveaux de 2005 d’ici 203011. Au provincial, le Plan pour une économie verte 2030 vise une réduction des émissions de gaz à effet de serre québécoises de 37,5 % par rapport au niveau de 1990 et l’atteinte de la carboneutralité d’ici 205012.

Au cours des prochaines années, d’autres mesures ciblées sont susceptibles d’être développées :

  • Les investissements publics et privés dans des projets favorisant la lutte aux changements climatiques (énergies renouvelables, entreprises ayant une faible empreinte environnementale, agriculture, espaces verts, préservation des espaces naturels, etc.).
  • La prise en considération des changements climatiques dans la construction d’infrastructures et d’immeubles neufs. En effet, la résistance des constructions aux forces naturelles peut contribuer à minimiser les dommages. Notons que les deux tiers des résidences privées canadiennes ont été bâties il y a plus de 35 ans13.
  • Le regroupement de différents assureurs régionaux pour mettre en commun les risques liés aux sinistres majeurs. Certains régimes d’assurance régionaux existent déjà, comme l’African Risk Capacity et le Caribbean Catastrophe Risk Insurance Facility14. Cela permet de répartir les risques climatiques dans le temps, car toutes les régions ne sont pas frappées simultanément.
  • La révision des produits d’assurance et de la conception de la souscription de l’assurance de biens. Des avenants sont désormais offerts pour couvrir les sinistres découlant de certaines catastrophes naturelles. Par ailleurs, l’auteur Edward P. Richards a évoqué la possibilité de fixer une prime évolutive pour les propriétaires de résidences côtières, selon la durée de vie utile de leur immeuble et les projections de hausse du niveau de l’eau, s’inspirant ainsi du modèle applicable en assurance-vie15.

Le réchauffement climatique, dont les conséquences ont commencé à se faire sentir, entraîne des effets majeurs pour les assureurs canadiens. Au fil des années, davantage de données seront recueillies pour permettre d’anticiper l’ampleur de ces effets et pour mettre en place les mesures requises. Il faut s’attendre à ce que le domaine de l’assurance évolue, lui aussi, au rythme des bouleversements environnementaux.  

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1 Voir le site de l’Indice actuariel climatique : https://actuariesclimateindex.org/explorez/graphiques-selon-les-composantes/.
2 Hubert ROY, Feux de forêts : les leçons de Fort McMurray, Portail de l’assurance, 2 juillet 2020, en ligne : https://portail-assurance.ca/article/feux-de-forets-les-lecons-de-fort-mcmurray/#:~:text=L%27assureur%20rappelle%20qu%27il,G%24%20%C3%A9taient%20des%20pertes%20assur%C3%A9es.
3 Marc TISON, « Bouleversement du climat… et des assurances », La Presse, 30 juin 2019, en ligne : https://www.lapresse.ca/affaires/economie/2019-06-30/bouleversement-du-climat-et-des-assurances.
4 Paul KOVACS, Les risques climatiques : Conséquences pour l’industrie de l’assurance au Canada, Rapport de L’Institut d’assurance du Canada, 2020, p. ii.
5 Nicholas LE PAN, Les lignes de faille : Tremblements de terre, assurance, et risque financier systémique, Toronto, Institut C.D. Howe, 2016, p. 5, en ligne :  https://www.cdhowe.org/sites/default/files/2022-04/Commentary%20454_French.pdf.
6 Bureau d’assurance du Canada, La gestion financière du risque d’inondation, Montréal, Bureau d’assurance du Canada, 2015, p. 11, en ligne : http://assets.ibc.ca/Documents/Natural%20Disasters/The_Financial_Management_of_Flood_Risk_FR.pdf.
7 Flora GUILLIER, « French Insurance and Flood Risk: Assessing the Impact of Prevention Through the Rating of Action Programs for Flood Prevention », International Journal of Disaster Risk Science, New York, Springer Publishing, 18 septembre 2017, p. 284-285, en ligne : https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/s13753-017-0140-y.pdf.
8 RLRQ c Q-2.
9 Gouvernement du Québec : https://www.quebec.ca/gouvernement/politiques-orientations/plan-de-protection-du-territoire-face-aux-inondations/gestion-rives-littoral-zones-inondables/regime-transitoire/a-propos.
10 Voir le Document explicatif : Modifications apportées par le Règlement concernant la mise en œuvre provisoire des modifications apportées par le chapitre 7 des lois de 2021 en matière de gestion des risques liés aux inondations, Gouvernement du Québec, en ligne : https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/environnement/gestion-rives-littoral-zones-inondables/doc-explicatif-regime-transitoire.pdf.
11 Gouvernement du Canada : https://www.canada.ca/fr/services/environnement/meteo/changementsclimatiques/plan-climatique/survol-plan-climatique.html.
12 Gouvernement du Québec : https://www.quebec.ca/gouvernement/politiques-orientations/plan-economie-verte.
13 Blair FELTMATE et Jason THISTLETHWAITE, Climate Change Adaptation: A Priorities Plan for Canada, Toronto, Intact Assurance (Climate change Adaptation Project), 2011, p. 93, en ligne : https://contensis.uwaterloo.ca/sites/courses-archive/1191/GEMCC-652-PLAN-674-topic48/media/documents/climate-change-adaptation-priorities-plan-for-canada.pdf.
14 Partha DASGUPTA, The Economics of Biodiversity: The Dasgupta Review, London, 2021, p. 152, en ligne : https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/962785/The_Economics_of_Biodiversity_The_Dasgupta_Review_Full_Report.pdf.
15 Edward P. RICHARDS, Applying Life Insurance Principles to Coastal Property Insurance to Incentivize Adaptation to Climate Change, Boston, Boston College Environmental Affairs Law Review, 2016, p. 427-462, en ligne : https://digitalcommons.law.lsu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1414&context=faculty_scholarship.

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