Une frontière numérique canadienne : la lutte de la Loi électorale du Canada contre l’ingérence étrangère

Le Centre de la sécurité des télécommunications (« CST ») du Canada estime qu’« en 2018, des cybermenaces ont ciblé le processus démocratique de la moitié de toutes démocraties avancées qui tenaient des élections nationales »1. Selon les observations du CST, il est « très probable » que les électeurs canadiens seront visés par une forme d’ingérence étrangère en ligne d’ici la tenue des élections fédérales de 2019.

Dans ce contexte, le gouvernement canadien a adopté la Loi sur la modernisation des élections (ou projet de loi C-76) pour répondre aux préoccupations croissantes concernant l’ingérence étrangère dans le processus démocratique canadien.

Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi le 13 juin 2019, les entités et particuliers étrangers sont presque totalement exclus de toute forme de participation aux élections canadiennes. La loi cible cet enjeu sous plusieurs angles : i) en renforçant et rajoutant des restrictions quant à la source des fonds utilisés par les tiers et quant aux catégories de dépenses que les tiers étrangers peuvent engager relativement à un large éventail d’activités politiques; ii) en interdisant toute forme d’influence indue sur les électeurs exercée par des entités ou des particuliers étrangers et; iii) en adoptant une interdiction applicable à tous les vendeurs d’espaces publicitaires.

a) Interdiction de financer des activités politiques avec des fonds étrangers

La version précédente de la loi interdisait aux citoyens non canadiens et aux résidents non permanents de verser des contributions à des acteurs politiques2. La nouvelle version de la loi, sans changer cette disposition, la renforce en interdisant l’utilisation de fonds étrangers à des fins politiques.

Les acteurs politiques ne sont pas les seuls à ne pas pouvoir utiliser des fonds étrangers pour financer leurs activités politiques. Les tiers (entités ou particuliers) tels que les associations commerciales, les groupes d’intérêts et les entreprises qui prennent part à des activités politiques sont également limités quant à la provenance des fonds pour de telles activités.

En effet, aucun tiers ne peut utiliser de fonds d’une entité étrangère pour l’une des activités suivantes :

  • une activité partisane (par exemple, appeler des électeurs ou organiser des rassemblements afin de favoriser ou contrecarrer un acteur politique, comme un candidat ou un parti politique);
  • une publicité qui favorise ou contrecarre un acteur politique (comme un candidat ou un parti politique) en tout temps, pas uniquement durant les périodes préélectorales et électorales;
  • une publicité électorale, c’est-à-dire une publicité diffusée pendant une période électorale qui favorise ou contrecarre un parti enregistré ou un candidat, notamment par une prise de position sur une question à laquelle est associé un parti enregistré ou un candidat (« publicité idéologique »);
  • un sondage électoral (c’est-à-dire un sondage mené pour évaluer si des personnes ont l’intention de voter, pour qui elles vont voter ou pour qui elles ont voté à une élection ou portant sur une question à laquelle un parti enregistré ou un candidat est associé).

Aux fins de cette interdiction, une « entité étrangère » en vertu de la loi est : (i) un particulier qui n’est ni un citoyen canadien ni un résident permanent; (ii) une personne morale ou une entité constituée, formée ou autrement organisée ailleurs qu’au Canada, qui n’exerce pas d’activités commerciales au Canada ou dont les seules activités au Canada consistent à exercer une influence sur le vote d’un électeur; (iii) un syndicat qui n’est pas titulaire d’un droit de négocier collectivement au Canada; (iv) un parti politique étranger; ou (v) un État étranger ou l’un de ses mandataires.

Contrairement à d’autres définitions du terme « étranger » en vertu de la loi, aucune exception ne s’applique pour les particuliers résidant au Canada qui ne sont ni des citoyens canadiens ni des résidents permanents. Par exemple, un étudiant étranger qui fréquente une université canadienne sera considéré comme une entité étrangère au sens de cette interdiction et, par conséquent, ne pourra pas verser de fonds à un tiers aux fins susmentionnées. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, ce même étudiant pourra participer directement à une activité politique pendant une période électorale.

b) Interdiction de « dépenser » applicable aux tiers étrangers

En plus d’interdire aux tiers d’utiliser des fonds provenant de sources étrangères, la loi limite les dépenses des tiers étrangers pendant les périodes préélectorales et électorales. Il est interdit aux tiers étrangers d’engager des dépenses à des fins d’activités partisanes, de publicité électorale, de sondage électoral et de publicité3 partisane pendant une période préélectorale ou électorale. 

c) Interdiction d’exercer une influence indue sur les électeurs

Il est interdit aux étrangers d’exercer une influence indue sur un électeur, pendant une période électorale, afin qu’il vote ou s’abstienne de voter ou vote ou s’abstienne de voter pour un candidat donné ou un parti enregistré donné à une élection. Pour les fins de cette interdiction, la définition du terme « étranger » est la même que celle d’« entité étrangère », sauf en ce qui concerne les résidents canadiens qui ne sont pas résidents permanents. En vertu de la loi, un étranger « influence indûment » un électeur lorsqu‘il engage sciemment des dépenses pour favoriser ou contrecarrer directement un candidat, un parti politique ou le chef d’un tel parti ou, lorsque l’une de ses actions pour influencer l’électeur est une infraction au sens d’une loi ou d’un règlement fédéral ou provincial.

La loi prévoit certaines exceptions à cette interdiction générale et exclut notamment les activités suivantes de la définition du terme « influence indue » d’un électeur :

  • une expression de son opinion quant au résultat (potentiel ou souhaité) de l’élection;
  • une déclaration encourageant l’électeur à voter de façon générale;
  • la diffusion au public par radiodiffusion ou par l’intermédiaire de médias électroniques ou imprimés, d’éditoriaux, de débats, de discours, de nouvelles, d’entrevues, de chroniques, de commentaires ou de lettres.

d) Interdiction de vendre des espaces publicitaires aux étrangers

La nouvelle loi vise également à encourager d’autres intervenants à lutter contre l’ingérence étrangère dans le processus démocratique canadien. À cette fin, la loi prévoit une interdiction visant non pas les étrangers, mais les personnes donnant à un étranger les moyens de publier une publicité électorale. Ainsi, il est interdit à toute personne ou entité de vendre un espace publicitaire à un étranger afin de lui permettre de diffuser un message de publicité électorale. Les messages de publicité électorale visés par cette interdiction incluent autant les messages qui favorisent ou contrecarrent un candidat ou un parti que les publicités dites « idéologiques », lesquelles sont plus difficiles à identifier pour ceux dont la seule implication est la vente d’espaces publicitaires. Les vendeurs d’espaces publicitaires qui contreviennent sciemment à la loi commettent une infraction et sont passibles d’une amende maximale de 50 000 $ et d’un emprisonnement maximal de cinq ans, ou de ces deux peines combinées.

Conclusion

Avec l’adoption de ces nouvelles interdictions renforcées, on peut s’attendre à une surveillance accrue d’un large éventail d’activités politiques de la part du commissaire aux élections fédérales. Les étrangers et les Canadiens qui traitent avec des étrangers devront être prêts à répondre à toutes questions relatives à une quelconque forme de participation étrangère dans le cadre des élections fédérales.

Le prochain et dernier article de notre courte série portant sur les modifications récentes apportées à la Loi électorale du Canada se concentrera sur les nouveaux pouvoirs du commissaire pour appliquer la loi et pour mener des enquêtes sur des infractions soupçonnées à la loi.

* Pour obtenir de plus amples renseignements concernant la portée et le type de contenu électoral qui est réglementé par la loi, nous vous recommandons le premier article de notre courte série intitulé : « Au nom de la transparence : la modernisation de la Loi électorale du Canada ».



1 La mise à jour du Rapport du CST : Le point sur les cybermenaces contre le processus démocratique du Canada en 2019.
Aux fins de cette interdiction, l’expression « acteurs politiques » signifie les partis politiques enregistrés, les associations enregistrées, les candidats à l’investiture, les candidats potentiels ou les candidats à la direction.
Une publicité partisane est une annonce publiée pendant une période préélectorale qui favorise ou contrecarre un acteur politique comme un parti politique ou un candidat potentiel, à l’exception de la publicité idéologique.