Au nom de la transparence : la modernisation de la Loi électorale du Canada

Au cours de la dernière année, les cybermenaces contre le processus démocratique ont fait couler beaucoup d’encre sur la scène internationale. Dans ce contexte et avec l’élection générale d’octobre 2019 en vue, le gouvernement canadien a accéléré l’adoption par le Parlement de la Loi sur la modernisation des élections1 (ou projet de loi C-76). Cette version remaniée de la Loi électorale du Canada2, entrée pleinement en vigueur le 13 juin 2019, crée une vaste gamme de nouvelles obligations qui ont une incidence autant sur les activités et communications en ligne que traditionnelles. Les plus importants ajouts à la Loi électorale du Canada comprennent:

  • L’élargissement du champ d’application de la réglementation sur le contenu relatif aux élections et l’établissement d’une période préélectorale débutant le 30 juin 2019, au cours de laquelle bon nombre de nouvelles dispositions sont applicables;
  • L’ajout de mesures de transparence relatives à la publication de contenu réglementé relatif aux élections;
  • L’imposition d’obligations applicables aux plates-formes en ligne à fort achalandage;
  • L’ajout d’interdictions portant sur l’ingérence étrangère dans le processus électoral; et
  • L’élargissement des pouvoirs du commissaire aux élections fédérales.

Cet article, le premier d’une courte série décrivant ces changements, définit et explique les modifications apportées à la Loi électorale du Canada qui : i) élargissent la portée et les définitions des messages électoraux réglementés; et ii) créent de nouvelles obligations pour les plates-formes en ligne et les acteurs politiques qui visent à accroître la transparence dans la transmission du contenu réglementé relatif aux élections.

I. Élargissement du champ d’application de la réglementation sur le contenu relatif aux élections

La modification la plus importante à la portée de la réglementation sur le contenu relatif aux élections est la création d’une nouvelle catégorie de contenu (publicité partisane) qui est réglementé pendant la période préélectorale débutant le 30 juin 2019. La publicité partisane est assujettie à des exigences de transparence et à d’autres obligations relatives au financement, à la divulgation et à la tenue de registres. Des changements distincts affectent également la manière dont les sondages électoraux doivent être effectués et publiés.

a) Publicité partisane

En plus des dispositions existantes régissant la publicité électorale pendant la période électorale (c.-à-d., durant la campagne), des dispositions additionnelles réglementent dorénavant la publicité relative aux élections publiée au cours de la période préélectorale. Cette nouvelle catégorie de contenu réglementé, appelée publicité partisane, comprend tout message publicitaire qui favorise ou contrecarre un parti politique, un candidat potentiel, un candidat à l’investiture ou un chef de parti politique.

La publicité partisane, contrairement à la publicité électorale, exclut les messages publicitaires qui prennent position sur un enjeu avec lequel une personnalité politique ou un parti est associé. Certaines autres exclusions s’appliquent, y compris lorsqu’une personne publie ses opinions politiques personnelles sur Internet sur une base non commerciale.

À l’instar de la publicité électorale, la publicité partisane est soumise à des dispositions de transparence et de divulgation, de sorte que le message publicitaire lui-même doit comprendre une mention précisant qui en a approuvé la transmission. Ainsi, certains acteurs politiques doivent préciser que la publicité a été approuvée par leur agent autorisé. Pour toutes les autres personnes qui publient de la publicité partisane, qualifiées de tiers par la loi, la publicité doit mentionner le nom et les coordonnées du tiers qui en a autorisé la transmission. Ces exigences en matière de transparence et de divulgation imposées aux tiers s’appliquent autant aux publicités partisanes qu’électorales qui sont publiées sur des plates-formes en ligne ou autrement.

b) Sondages électoraux

La définition de sondage électoral est modifiée par le projet de loi C-76 et englobe désormais le sondage d’opinion visant à questionner les répondants sur les éléments suivants : i) leur intention de voter ou non lors de l’élection; ii) la personne pour qui ils ont voté ou pour qui ils voteront lors de l’élection; et iii) les enjeux avec lesquels un parti politique ou un candidat est associé. La portée des enjeux couverts par cette définition est vaste et pourrait inclure tout enjeu sur lequel les parties prennent position au cours d’une période électorale. De plus, la loi impose des exigences précises aux demandeurs de sondages électoraux et à la première personne qui transmet les résultats de sondages au public. Ces exigences varient selon les méthodes statistiques ou de diffusion utilisées pour effectuer les sondages et en publier les résultats.

II. Nouvelles exigences de transparence publicitaire applicables aux plates-formes en ligne et aux acteurs politiques

a) Portée des exigences nouvellement imposées

Depuis le 30 juin 2019, le propriétaire ou l’exploitant d’une plate-forme en ligne qui vend, directement ou indirectement, de l’espace publicitaire à des partis politiques, à des associations enregistrées, à des candidats à l’investiture, à des candidats potentiels ou à des candidats, ou à un tiers enregistré (collectivement, les « acteurs politiques ») est tenu de publier sur la plate-forme un registre des messages de publicité partisane et électorale émis par ces acteurs politiques durant les périodes électorale et préélectorale. 

Ce registre doit inclure une version électronique de chaque message de publicité partisane ou électorale publié sur la plate-forme et le nom de la personne qui a approuvé sa publication, à savoir l’agent autorisé des acteurs politiques. La plate-forme en ligne doit ajouter cette information dans le registre dès la première publication de la publicité partisane ou électorale. Le registre doit demeurer sur la plate-forme deux ans suivant la fin de la période électorale. Enfin, les informations contenues au registre doivent être conservées par la plate-forme pendant cinq années supplémentaires.

Afin d’atteindre ce niveau de transparence, tout acteur politique qui demande la publication d’un message de publicité partisane ou électorale sur la plate-forme en ligne doit transmettre à la plate-forme tous les renseignements nécessaires pour que le propriétaire ou l’exploitant puissent se conformer aux exigences relatives au registre.

b) Personnes assujetties aux nouvelles exigences

Maintenant que la portée des exigences relatives au registre est connue vient la question suivante : « À qui ces exigences s’appliquent-elles? » Tout d’abord, sachez que la loi définit « plate-forme en ligne » comme étant tout site Internet ou application Internet qui vend, directement ou indirectement, des espaces publicitaires sur le site ou l’application. Le site ou l’application doit compter un certain nombre de visites pour être assujetti aux exigences relatives au registre. Le seuil dépend de la langue principale dans laquelle le contenu est offert. Plus particulièrement, un site ou une application sera assujetti aux exigences relatives au registre si, dans l’année précédant la période préélectorale ou électorale, il est visité par des utilisateurs du Canada 100 000 fois par mois dans le cas où il est principalement dans une langue autre que l’anglais ou le français, un million de fois dans le cas d’un site principalement en français ou trois millions de fois dans le cas d’un site principalement en anglais.

Avec cette définition à l’esprit, nous pouvons facilement concevoir que les journaux en ligne, les plates-formes de musique en continu, les applications qui vendent de l’espace publicitaire et les opérateurs de recherche en ligne, pour n’en nommer que quelques-uns, pourraient également être soumis à ces nouvelles exigences. L’obligation de publier et de tenir à jour le registre de publicité partisane est déjà en vigueur et le fardeau ne fera qu’augmenter au début de la période électorale, au moment où toutes les publicités relatives à des enjeux politiques devront également être incluses dans le registre de ces plates-formes en ligne.

Pour illustrer les défis associés à ces nouvelles dispositions, Google3 et Twitter4, deux des plus importantes plates-formes en ligne concernées par la Loi, ont communiqué leur intention d’interdire ou de limiter la publication de contenu relatif aux élections sur leur plate-forme en raison de la difficulté à se conformer avec ces obligations. 

III. Conclusion 

Cette portée élargie du contenu réglementé et les nouvelles obligations imposées aux hôtes de contenu relatif aux élections publié en ligne accroît les facteurs de risques non seulement pour les acteurs politiques, mais aussi pour les entreprises qui pourraient autrement penser qu’elles ne participent pas à des activités relatives aux élections. Pour assurer le respect de ces nouvelles dispositions, la loi met en place un régime de sanctions administratives pécuniaires, d’amendes et même d’emprisonnement qui relève des pouvoirs accrus du commissaire aux élections fédérales.

Dans les prochains articles de cette courte série, nous discuterons des nouveaux pouvoirs octroyés au commissaire pour faire appliquer la loi et de l’évolution des interdictions portant sur l’ingérence étrangère dans le processus démocratique canadien.

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