Nouveaux tarifs américains : considérations juridiques et commerciales pour les entreprises québécoises

6 mars 2025

Cet article peut être mis à jour pour refléter la situation actuelle.

Le 4 mars 2025, le gouvernement américain a réitéré l’application des tarifs douaniers sur les exportations canadiennes, avec certaines exceptions temporaires. La situation évolue chaque jour.

Rappelons que le 1er février 2025, le président américain Donald Trump a officiellement signé un décret présidentiel imposant de nouveaux tarifs douaniers au Canada, au Mexique et à la Chine. Ces mesures protectionnistes prévoient un tarif de 25 % sur la plupart des biens canadiens et un tarif de 10 % sur les importations d’énergie canadienne. Initialement prévue pour le 4 février 2025, l'entrée en vigueur de ces tarifs a été reportée d'un mois. En réponse, le gouvernement canadien a prévu la mise en place de tarifs de représailles sur plusieurs produits américains.

Pour bon nombre d’entreprises québécoises, l'incertitude entourant ces tarifs constitue un défi majeur, sachant que 75 % des exportations internationales du Québec sont destinées aux États-Unis. Les entreprises ayant des contrats commerciaux en cours ou négociant de nouveaux accords avec des partenaires américains doivent agir rapidement pour espérer atténuer les risques. De plus, les entreprises engagées dans des opérations de fusion-acquisition ou de financement devraient réévaluer leur exposition financière et contractuelle.

Cet article présente les principales répercussions juridiques et commerciales découlant de ces nouveaux tarifs et propose des stratégies concrètes pour mieux faire face à cette nouvelle situation.

Réviser les contrats existants : identifier les risques

L’augmentation soudaine des tarifs perturbera les chaînes d’approvisionnement et les ententes tarifaires, ce qui pourrait mettre à mal les relations avec les acheteurs ou clients américains. Voici quelques-uns des risques qui pourraient être parmi les plus courants :

  • Les clients américains pourraient négocier ou imposer une baisse des prix pour compenser l’augmentation des coûts.
  • Les clients cherchant à éviter la hausse des coûts seraient susceptibles d’annuler ou de retarder des commandes.
  • Les distributeurs américains seraient plus enclins à suspendre temporairement la distribution ou à privilégier d’autres fournisseurs.

Mesures à prendre

  • Examiner en détail les contrats pour identifier les risques potentiels.
  • Porter une attention particulière aux engagements d’achat minimum, aux clauses d’ajustement des prix et aux conditions de résiliation. Par exemple, l’absence d’un engagement d’achat minimum permet à un client américain de réduire légalement ses commandes sans conséquence. Même lorsqu’un tel engagement existe, son application dépend du droit applicable et des mécanismes de règlement des différends, qui doivent être analysés avec soin avant toute action légale.

Renégocier de nouveaux contrats plus solides : réduire l’exposition au risque

Les entreprises québécoises ont toujours bénéficié d’une relation commerciale stable et prévisible avec les États-Unis. Cette réalité est maintenant remise en question. Il devient donc essentiel pour une entreprise de rédiger et de négocier des contrats solides et plus précis afin de réduire les incertitudes et protéger la prévisibilité des revenus.

Points clés à inclure dans les nouveaux contrats

  • Clauses d’ajustement des prix : garantir une révision automatique des prix en cas de modification des politiques commerciales ou une allocation des risques appropriée.
  • Engagements d’achat minimum : sécuriser des volumes d’achat pour assurer une stabilité des revenus.
  • Conditions de paiement : favoriser des délais de paiement plus courts ou le versement d’acomptes pour améliorer la disponibilité de trésorerie.
  • Incoterms et responsabilités douanières : déplacer la responsabilité des droits de douane vers l’acheteur américain lorsque possible.
  • Flexibilité des livraisons : en cas de perturbation, permettre des ajustements en ce qui concerne les itinéraires ou les fournisseurs.
  • Conformité réglementaire : protéger l’entreprise contre les risques liés à des erreurs de classification douanière ou des litiges avec les douanes américaines.

Les entreprises qui réussiront à négocier ces clauses seront mieux préparées aux incertitudes du commerce transfrontalier.

Conséquences sur les opérations de fusion-acquisition : valorisation et répartition des risques

Les entreprises prenant part à des opérations de fusion-acquisition seront appelées à réévaluer leurs modèles de valorisation et leur exposition aux risques liés aux ventes aux États-Unis.

Points à surveiller pour les acheteurs et vendeurs

  • Révision de la valorisation : les acheteurs examineront de près comment les tarifs affectent la rentabilité et la fidélisation des clients, ce qui pourrait engendrer des répercussions importantes sur le prix d’achat.
  • Clauses de réajustement du prix et earnouts : les vendeurs pourraient devoir accepter des paiements conditionnels liés aux revenus post-acquisition.
  • Vérification diligente rigoureuse : les acheteurs doivent mener une analyse approfondie des contrats américains, de la flexibilité tarifaire et des stratégies d’atténuation des tarifs.
  • Risques réglementaires : une mauvaise classification douanière ou un non-respect des lois américaines pourrait entraîner des sanctions post-acquisition.

Une préparation rigoureuse permet de préserver la valeur des transactions et d’éviter des litiges après la clôture.

Financement et engagements bancaires : facilités de crédit et clauses restrictives

Les tarifs peuvent réduire la rentabilité et affecter la capacité d’emprunt des entreprises. Les sociétés ayant des financements en cours ou cherchant à obtenir du crédit doivent :

  • Surveiller leurs ratios financiers (par exemple, le ratio dette-BAIIA) pour éviter de se trouver en défaut de paiement.
  • Négocier avec leurs prêteurs pour obtenir des ajustements en cas d’incidence importante sur la rentabilité.
  • Revoir les clauses de changement défavorable important (Material Adverse Effect, ou MAE) afin d’éviter qu’un prêteur ne puisse invoquer une défaillance en raison d’un ralentissement causé par les tarifs.
  • S’assurer de la flexibilité des flux de trésorerie transfrontaliers, notamment pour les entreprises exploitant une filiale américaine.

Une approche proactive dans la renégociation des conditions de financement aidera les entreprises à maintenir leur liquidité et à éviter des restrictions imprévues imposées par les prêteurs

Diversification des marchés et des fournisseurs : réduire sa dépendance au marché américain

Pour limiter leur dépendance aux États-Unis, les entreprises québécoises pourront songer à diversifier leurs marchés et stratégies d’approvisionnement :

  • Explorer de nouveaux marchés (comme l’Europe ou l’Asie) régis par des accords commerciaux plus favorables.
  • Établir des partenariats avec des entreprises bénéficiant d’un accès préférentiel à certaines zones franches.
  • Diversifier leurs fournisseurs afin de limiter leur dépendance aux importations américaines et minimiser l’exposition aux tarifs.

Conclusion

Sans contredit, les nouveaux tarifs américains imposés par l’administration Trump représentent un défi majeur pour les entreprises québécoises, perturbant les coûts, la chaîne d’approvisionnement et la compétitivité de façon importante. Cependant, en adoptant une approche proactive, les entreprises ont la possibilité de s’adapter et de protéger leur position sur le marché.

Si ces tarifs risquent d’affecter votre entreprise, vous devriez solliciter des conseils juridiques dès maintenant. Les membres de notre groupe multidisciplinaire de droit des affaires peuvent vous offrir un accompagnement personnalisé.

Les auteurs tiennent à remercier Emmanuelle Atongfor, étudiante en droit, pour sa précieuse contribution à cet article.