Modification du Règlement sur la langue du commerce et des affaires : ce que doivent retenir les entreprises faisant affaire au Québec

11 juillet 2024

Le 26 juin 2024, le gouvernement du Québec a publié dans sa forme finale le Règlement modifiant principalement le Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le « Règlement »). Certaines dispositions du Règlement entrent en vigueur le 11 juillet 2024; le reste du Règlement entrera en vigueur le 1er juin 2025.

La version finale du Règlement comporte certains changements par rapport au projet de règlement (le « Projet de règlement »), qui avait été publié le 10 janvier 2024 et suivi d’une période de consultation. Notamment, le Règlement abandonne certains amendements proposés au Projet de règlement en matière d’inscriptions sur les produits et de logiciels embarqués, lesquels avaient suscité plusieurs questionnements dans le milieu juridique et des affaires. Il est permis de penser que ces sujets pourraient faire l’objet d’un règlement ultérieur.

Voici les principaux éléments à retenir du Règlement :

  • Marques de commerce dans les inscriptions sur les produits, l’affichage public et la publicité commerciale. Le Règlement permettra l’utilisation de marques de commerce reconnues dans une autre langue que le français (c’est‑à‑dire autant les marques enregistrées que les marques en cours d’enregistrement et les marques de common law) dans les inscriptions sur les produits, l’affichage public et la publicité commerciale. Le gouvernement réintroduit donc la règle qui prévalait auparavant, plutôt que de limiter l’exception aux marques enregistrées ou en cours d’enregistrement, comme proposé initialement.
  • Génériques et descriptifs compris dans une marque de commerce dans une autre langue. Le Règlement introduit de nouvelles exigences de traduction lorsqu’un générique (un ou plusieurs mots décrivant la nature du produit) ou un descriptif (un ou plusieurs mots décrivant les caractéristiques du produit) est compris dans une marque de commerce dans une autre langue que le français figurant sur un produit, son emballage ou un document ou un objet qui l’accompagne.
  • Période de grâce jusqu’au 1er juin 2027. Jusqu’au 1er juin 2027, les entreprises pourront continuer à vendre, distribuer, louer ou offrir les produits non conformes aux nouvelles règles et fabriqués avant le 1er juin 2025.
  • Nette prédominance du français en matière d’affichage public et de publicité commerciale. Le Règlement prévoit de nouvelles règles encadrant la notion de « nette prédominance » du français dans l’affichage public et la publicité commerciale, en précisant notamment que l’espace consacré au texte en français devra être au moins deux fois plus grand que celui consacré au texte dans une autre langue.
  • Contrats d’adhésion. Le Règlement précise la notion de « documents se rattachant » à un contrat d’adhésion et introduit de nouvelles règles particulières en ce qui concerne les contrats d’adhésion conclus par téléphone ou par l’entremise d’un moyen technologique.
  • Inscriptions gravées, cuites, incrustées, rivetées, soudées ou embossées sur les produits et logiciels embarqués. Le Règlement n’exige finalement pas la traduction de ces inscriptions lorsqu’elles sont nécessaires à l’utilisation du produit (par exemple les termes « On », « Off », etc.), tel qu’initialement proposé. Le Règlement abandonne également les amendements proposés dans le Projet de règlement visant à étendre la portée des règles relatives aux inscriptions sur les produits aux inscriptions s’affichant au moyen d’un logiciel embarqué. Il est toutefois permis de penser que ces sujets pourraient faire l’objet d’un règlement ultérieur.

Pour en savoir plus sur les répercussions de ces changements sur les marques de commerce, consultez notre article publié le 8 juillet « Propriétaires de marques de commerce : liste de ce qu’il vous faut pour être prêt aux changements à la Charte de la langue française – mise à jour de juin 2024 ».

Nous vous présentons ci-dessous une analyse plus détaillée des changements apportés par le Règlement.

1. Inscriptions sur les produits

Selon la Charte, toute inscription sur un produit, son emballage ou les documents qui l’accompagnent doit être rédigée en français1. Il est possible d’y ajouter des inscriptions dans une autre langue, mais celles-ci ne peuvent l’emporter sur celles en français.

Le RLCA prévoit qu’une inscription sur un produit peut être rédigée uniquement dans une autre langue dans certains cas d’exception. Cela vise notamment les inscriptions permanentes – comme celles qui sont gravées, cuites, en relief, soudées ou rivetées – sur les produits provenant de l’extérieur du Québec, à l’exception de celles concernant la sécurité, lesquelles doivent être en français et apparaître sur le produit ou l’accompagner de façon permanente2.

Cette règle demeure inchangée. En effet, le gouvernement a décidé d’abandonner l’amendement qui était proposé au Projet de règlement afin de restreindre la portée de cette exception en y soustrayant non seulement les inscriptions relatives à la sécurité, mais aussi celles qui sont nécessaires à l’utilisation du produit (par exemple les termes « On », « Off », « Hot », « Cold », etc.)3.

A. Exception pour les marques de commerce

La Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (la « Loi 96 ») avait introduit une nouvelle règle dans la Charte en vue de réglementer l’emploi de marques de commerce dans une autre langue que le français dans les inscriptions sur les produits4.

Cette règle, qui entre en vigueur le 1er juin 2025, limite l’usage de marques de commerce dans une autre langue aux marques enregistrées pour lesquelles aucune version française n’apparaît au registre des marques de commerce.

Afin d’apaiser les préoccupations relatives aux délais particulièrement longs d’enregistrement des marques de commerce, le Projet de règlement proposait de modifier le RLCA afin de prévoir qu’une marque de commerce en cours d’enregistrement serait assimilée à une marque enregistrée pour les inscriptions sur les produits, et ce, à compter de la date où la demande d’enregistrement a été produite5.

Le Règlement ne conserve pas cet amendement. Il vient plutôt préciser qu’une marque de commerce autre qu’une marque enregistrée pourra être rédigée sur un produit uniquement dans une autre langue que le français si cette marque est reconnue et qu’il n’en existe aucune version correspondante en français au registre des marques de commerce6.

On revient donc essentiellement à la situation qui prévalait auparavant, à savoir que les marques reconnues faisaient partie des exceptions aux inscriptions sur les produits uniquement dans une autre langue que le français. Le gouvernement abandonne ainsi le critère plus restrictif de la marque enregistrée ou en cours d’enregistrement proposé par le Projet de règlement, puisque la marque « reconnue » englobe aussi les marques qui sont simplement utilisées.

Toutefois, et tel qu’il était mis de l’avant dans le Projet de règlement, le Règlement prévoit que, si la marque de commerce dans une autre langue contient un « générique » ou un « descriptif » du produit, celui-ci devra figurer en français sur le produit ou un support qui s’y rattache de manière permanente. Les termes « générique » et « descriptif » désignent ce qui suit :

  • Générique : un ou plusieurs mots décrivant la nature d’un produit, à l’exclusion du nom de l’entreprise ou du nom du produit tel que commercialisé.
  • Descriptif : un ou plusieurs mots décrivant les caractéristiques d’un produit, à l’exclusion du nom de l’entreprise ou du nom du produit tel que commercialisé7.

Ne seront pas considérés comme un descriptif ou un générique une appellation d’origine ou un nom distinctif à caractère culturel8.

Entrée en vigueur : 1er juin 2025.

B. Logiciels embarqués

Il convient de souligner que le Règlement ne conserve pas les amendements qu’avait proposés le Projet de règlement afin d’étendre la portée des dispositions relatives aux inscriptions sur les produits aux inscriptions s’affichant à l’utilisateur au moyen d’un « logiciel embarqué »9.

Avec ces modifications, les systèmes informatiques intégrés à un dispositif, à une machine ou à un autre système et qui pilotent ce dispositif, cette machine ou ce système10 auraient également été visés par les règles applicables aux inscriptions sur les produits. On peut penser, notamment, à une application mobile qui permet de contrôler certaines fonctionnalités d’un appareil ménager, d’un véhicule ou d’un appareil médical.

Les incertitudes soulevées par cette proposition d’amendement peuvent donc désormais être mises de côté.

C. Mesures transitoires

Le gouvernement du Québec accorde une marge de manœuvre relative aux entreprises qui doivent se conformer à ces nouvelles exigences d’ici le 1er juin 2025, en leur octroyant jusqu’au 1er juin 2027 pour écouler leurs produits non conformes. Ce délai de grâce ne vise toutefois que la conformité à l’exception relative aux marques de commerce11.

Ainsi, jusqu’au 1er juin 2027, les entreprises concernées pourront continuer à vendre, distribuer, louer ou offrir les produits non conformes aux nouvelles règles et fabriqués avant le 1er juin 2025.

Notons que le Règlement précise également que ce délai de grâce s’applique aussi au produit fabriqué entre le 1er juin 2025 et le 31 décembre 2025 et qui est visé par les nouvelles normes relatives à l’étiquetage prévues par le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues (symboles nutritionnels, autres dispositions d’étiquetage, vitamine D et graisses ou huiles hydrogénées) ou par le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur le cannabis (aliments supplémentés)12.

2. Affichage public et publicité commerciale

A. Exception pour les marques de commerce

La Charte prévoit que l’affichage public et la publicité commerciale doivent en principe se faire en français. Ils peuvent être faits à la fois et en français dans une autre langue, à la condition que le français y figure de façon « nettement prédominante »13.

La Loi 96 avait introduit une exception similaire à celle applicable aux inscriptions sur les produits pour les marques de commerce dans une autre langue que le français, afin de permettre l’emploi d’une marque déposée uniquement dans une autre langue que le français dans l’affichage public et la publicité commerciale14.

De façon similaire aux règles pour les inscriptions sur les produits, le Règlement précise qu’une marque de commerce autre qu’une marque enregistrée pourra être rédigée dans l’affichage public et la publicité commerciale uniquement dans une autre langue que le français, si cette marque est reconnue et qu’il n’en existe aucune version correspondante en français au registre des marques de commerce15.

Il convient de noter que le français doit toujours figurer de façon nettement prédominante dans l’affichage public visible depuis l’extérieur d’un local, et ce, même si cette exception s’applique et qu’une marque de commerce dans une autre langue y apparaît16.

Entrée en vigueur : 1er juin 2025.

B. Nette prédominance et affichage public visible depuis l’extérieur d’un local

À partir du 1er juin 2025, de nouvelles dispositions encadreront la notion de « nette prédominance ». Le règlement qui définit présentement cette notion sera quant à lui abrogé17.

Dans l’affichage public et la publicité commerciale, le français sera considéré comme figurant de façon nettement prédominante lorsque le texte en français aura un « impact visuel beaucoup plus important » que le texte dans une autre langue18. Pour que le texte en français ait un impact visuel beaucoup plus important, il faut, pour un même champ visuel, que les conditions suivantes soient réunies :

  • l’espace consacré au texte rédigé en français soit au moins deux fois plus grand que celui dans une autre langue;
  • sa lisibilité et sa visibilité permanente soient au moins équivalentes à celles du texte dans une autre langue19.

Dans l’affichage dynamique qui comporte des textes rédigés en français et dans une autre langue s’affichant en alternance, le texte en français aura un impact visuel beaucoup plus important lorsqu’il sera visible au moins deux fois plus longtemps que celui rédigé dans une autre langue20.

Pour assurer la nette prédominance du français dans l’affichage public visible depuis l’extérieur d’un local même lorsqu’une marque de commerce dans une autre langue y apparaît, la marque de commerce devra être accompagnée de termes en français, comme un générique ou un descriptif des produits, ou encore un slogan21. L’affichage est considéré comme visible depuis l’extérieur d’un local lorsqu’il peut être vu :

  • de l’extérieur d’un espace, fermé ou non, y compris sur un immeuble, un ensemble d’immeubles, ou à l’intérieur d’un centre commercial;
  • sur une borne ou une autre structure indépendante22.

Entrée en vigueur : 1er juin 2025.

3. Documentation commerciale

En matière de documentation commerciale, la Charte prévoit que les catalogues, les brochures, les dépliants, les annuaires commerciaux, les bons de commande et les documents similaires qui sont disponibles au public doivent être en français23. Ces documents peuvent seulement être rendus disponibles au public dans une autre langue si la version française est accessible dans des conditions au moins aussi favorables.

Le Règlement ne reprend pas l’amendement proposé par le Projet de règlement qui visait à stipuler expressément que ces documents incluent l’information publiée sur les sites Internet et les médias sociaux24. Cela dit, cet amendement n’aurait fait que confirmer l’interprétation privilégiée par l’OQLF, qui appliquait déjà ces exigences de la Charte aux sites Internet et aux médias sociaux.

Le Règlement ne vient pas non plus modifier les dispositions du RLCA permettant d’utiliser une marque de commerce reconnue uniquement dans une autre langue que le français dans les documents commerciaux lorsqu’aucune version française de la marque n’apparaît au registre des marques de commerce25.

4. Contrats d’adhésion

Les exigences de la Charte applicables aux contrats d’adhésion avaient été renforcées de façon importante par la Loi 96, qui fait désormais en sorte que tout contrat d’adhésion doit être traduit en français, sauf exception.

En effet, depuis le 1er juin 2023, un contrat d’adhésion dans une autre langue que le français ne peut lier les parties que si telle est leur volonté expresse, après qu’une version française du contrat a été remise à l’adhérent. Lorsque cela est le cas, les documents se rattachant au contrat, qui doivent en principe être traduits en français, peuvent être rédigés exclusivement dans l’autre langue.

Le Règlement vient préciser qu’un document se rattachant à un contrat d’adhésion vise notamment un document :

  • attestant l’existence du contrat (par exemple un certificat d’assurance ou une attestation d’assurance);
  • dont l’annexion au contrat est requise par la loi (par exemple un formulaire de résiliation ou de résolution);
  • qui en constitue autrement l’accessoire26.

Des règles particulières sont aussi introduites en ce qui concerne les contrats d’adhésion conclus par téléphone ou par l’entremise d’un moyen technologique27.

Pour le contrat conclu par téléphone, l’obligation de remettre une version française du contrat sera satisfaite si l’adhérent exprime sa volonté expresse de conclure le contrat dans une autre langue dans les cas suivants :

  • Il a préalablement été invité expressément à consulter par moyen technologique les clauses types applicables rédigées en français. Il sera donc possible de transmettre les clauses types en français par courriel ou par l’envoi d’un hyperlien par messagerie texte, plutôt que de lire l’ensemble des clauses au téléphone.
  • Le contrat doit prendre effet immédiatement et l’adhérent ne dispose pas d’outils technologiques lui permettant de consulter les clauses types applicables.

Quant au contrat conclu par moyen technologique, l’obligation de remettre une version française sera remplie dès lors que la version française des clauses types aura été remise à l’adhérent, sans autre exigence particulière.

Entrée en vigueur : 11 juillet 2024.

***

Le Règlement apporte certes des précisions utiles à l’interprétation et à l’application des exigences de la Charte, mais il soulève aussi son lot de questionnements.

Pour de plus amples renseignements sur la façon dont le Règlement peut s’appliquer à vos activités au Québec, nous vous invitons à communiquer avec un membre de notre équipe.

Les auteurs tiennent à remercier Gabrielle Poulin, étudiante en droit, pour sa précieuse contribution à cet article.


1 Charte, art. 51.
2 RLCA, art. 3.
3 Projet de règlement, art. 2.
4 Charte, art. 51.1.
5 Projet de règlement, art. 9.
6 Règlement, art. 2, insérant dans le RLCA l’art. 7.1.
7 Règlement, art. 6, insérant dans le RLCA l’art. 27.2.
8 Id.
9 Projet de règlement, art. 9.

10 Système embarqué | GDT (gouv.qc.ca).
11 Règlement, art. 7.
12 Id.
13 Charte, art. 58.

14 Charte, art. 58.1.
15 Règlement, art. 4, remplaçant l’art. 25.1 du RLCA.
16 Charte, art. 58.1.
17 Règlement, art. 8.
18 Règlement, art. 6, insérant dans le RLCA l’art. 27.4.
19 Règlement, art. 6, insérant dans le RLCA l’art. 27.6.
20 Id.
21 Règlement, art. 6, insérant dans le RLCA l’art. 27.7.

22 Règlement, art. 6, insérant dans le RLCA l’art. 27.5.
23 Charte, art. 52.
24 Projet de règlement, art. 9.
25 RLCA, art. 13.
26 Règlement, art. 6, insérant dans le RLCA l’art. 27.3.
27 Id.