Devoirs et obligations des administrateurs : en bref

Les devoirs et obligations des administrateurs sont au cœur d’une bonne gouvernance d’entreprise. Leur application a fait couler beaucoup d’encre au cours des années et leurs principes directeurs ont été établis et résumés dans plusieurs jugements d’importance. Les décisions clés Peoples1 et BCE2 de la Cour suprême du Canada sont, entre autres, de très bons guides quant au devoir de prudence et de diligence (« devoir de diligence ») et du devoir de loyauté des administrateurs, que l’on retrouve notamment dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions3, la Loi sur les sociétés par actions du Québec4 et le Code civil du Québec5. La présente capsule se veut un bref résumé de ces notions et de leur application6. Nous aborderons également quelques exemples d’obligations statutaires que les administrateurs doivent connaître puisque, dans certains cas, leur responsabilité ou culpabilité peut être présumée7

Devoir de diligence 

Le devoir de diligence peut se résumer ainsi : « agir avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente »8. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Peoples, indique entre autres ce qui suit sur l’obligation de diligence : 

« [67] On ne considérera pas que les administrateurs et les dirigeants ont manqué à l’obligation de diligence énoncée à l’article 122 (1) b) de la LCSA s’ils ont agi avec prudence et en s’appuyant sur les renseignements dont ils disposaient. Les décisions prises devaient constituer des décisions d’affaires raisonnables compte tenu de ce qu’ils s’avaient ou auraient dû savoir. »

Ainsi, on ne parle pas ici d’une obligation de résultat, mais bien d’une obligation de moyen. L’administrateur doit être en mesure de démontrer qu’il a pris les précautions nécessaires et a été proactif afin de s’assurer que les décisions prises par le conseil d’administration soient réfléchies et raisonnables. Pour ce faire, l’administrateur doit notamment i) être présent aux réunions du conseil, ii) avoir lu et analysé la documentation transmise au préalable, iii) poser les questions requises, iv) s’être informé sur le sujet traité, v) demander de l’information additionnelle lorsque requis, vi) obtenir l’avis d’experts externes lorsque pertinent, etc. Ainsi, un tribunal n’interviendra pas dans une décision prise par les administrateurs s’il conclut que celle-ci est raisonnable. Le rôle du tribunal n’est pas de déterminer rétroactivement si la meilleure décision possible a été prise mais plutôt si, en regard des circonstances particulières d’une situation donnée, la décision est raisonnable. 

Devoir de loyauté 

Le devoir de loyauté, quant à lui, peut se résumer ainsi : « agir avec intégrité et de bonne foi, au mieux des intérêts de la personne morale ».10 Ici, on regardera donc les trois notions suivantes : 1) l’intégrité, 2) la bonne foi11 et 3) le meilleur intérêt de la personne morale. En effet, dans BCE, la Cour suprême a souligné l’importance de ne pas confondre les intérêts des actionnaires, ou de tout autre groupe particulier de personnes intéressées (stakeholders), avec ceux de la société dans son ensemble. 

« Toutefois, les administrateurs ont une obligation fiduciaire envers la société, et uniquement envers la société. Certes, on parle parfois de l’obligation des administrateurs envers la société et envers les parties intéressées. Cela ne porte habituellement pas à conséquence, puisque les attentes raisonnables d’une partie intéressée quant à un résultat donné coïncident souvent avec les intérêts de la société. Il peut néanmoins arriver (comme en l’espèce) que ce ne soit pas le cas.  Il importe de préciser que l’obligation des administrateurs est alors envers la société et non envers les parties intéressées, et que les parties intéressées ont pour seule attente raisonnable celle que les administrateurs agissent au mieux des intérêts de la société. » 12 

Il n’est pas toujours évident de départager les impacts d’une décision sur la société elle-même et les différentes catégories de personnes intéressées qui la composent. Il appartient alors aux administrateurs de s’assurer que chaque partie intéressée touchée par une décision est « traité[e] de façon juste et équitable ».13 C’est là que les devoirs de diligence et de loyauté se rejoignent : les principes directeurs du devoir de diligence assistent l’administrateur dans le processus décisionnel et le devoir de loyauté le guide dans l’objectif qui doit toujours l’habiter quant au résultat à obtenir, c’est-à-dire un résultat qui sert le meilleur intérêt de la société. 

Obligations légales et statutaires 

En plus des devoirs de diligence et de loyauté, des obligations particulières peuvent également être imposées aux administrateurs. Celles-ci peuvent émaner de la loi constitutive de la personne morale, mais aussi de ses règlements généraux et certaines de ses politiques internes (ex. : code d’éthique). Comme chaque organisation est différente, une lecture attentive de ces documents est d’autant plus nécessaire. S’ajoutent à ceux-ci les nombreuses dispositions statutaires, tant provinciales14 que fédérales15 qui viennent encadrer et régir le travail des administrateurs. Parmi celles-ci, nous retrouvons les obligations qui découlent des lois en matière fiscale, en faillite et insolvabilité, mais aussi celles relatives à l’environnement, la santé et sécurité au travail ou encore aux mesures pour prévenir les comportements anticoncurrentiels.16 

Conclusion 

Les membres d’un conseil d’administration tiennent un rôle de surveillance de la gestion de la société, rôle qu’ils doivent exercer de façon raisonnable, avec diligence et loyauté. Pour ce faire, il est utile, voire nécessaire, que ces membres puissent enrichir le conseil d’administration de compétences et de connaissances complémentaires. De plus, bien que les administrateurs n’aient pas une obligation légale d’apporter une valeur ajoutée, une diversité de pensées pourra permettre au conseil de mieux accompagner la personne morale dans l’élaboration et l’exécution de sa vision stratégique.

  À propos des auteurs

Danielle Ferron, Ad. E.
, est associée chez Langlois Avocats et se spécialise en litige commercial général, domaine dans lequel elle œuvre depuis plus de 25 ans. Me Ferron possède une expertise particulière pour les dossiers de fraude, vol de secrets de commerce, piraterie et cybercriminalité. De plus, son parcours professionnel et ses expériences à titre de membre de divers conseils d’administration et comités de gouvernance, font d’elle une avocate conseil en matière de gouvernance. Entre autres, elle est coprésidente du conseil d’administration de Langlois Avocats et siège au comité exécutif. Elle est également membre du conseil d’administration de La Financière agricole du Québec et de son comité de gouvernance, d’éthique et de ressources humaines et informationnelles. De plus, elle est membre du conseil d’administration de la Fondation Marie-Vincent, où elle occupe également le rôle de secrétaire, et siège au comité de gouvernance. Préalablement, Me Ferron a été membre du conseil d’administration de l’Association des femmes en finance pendant 10 ans, incluant plusieurs années à titre de vice-présidente du comité exécutif. 

Tommy Tremblay est associé chez Langlois Avocats. Me Tremblay exerce dans tous les volets du litige commercial, mais plus particulièrement dans les domaines de la gouvernance d’entreprises (notamment en ce qui a trait à la responsabilité des administrateurs et des dirigeants), du droit de la concurrence, valeurs mobilières et défense de cols blancs, incluant les enquêtes administratives et l’interaction avec les organismes de réglementation en ces matières. Me Tremblay collabore également à l’élaboration de programmes de conformité grâce auxquels les entreprises peuvent vérifier si leurs employés et les membres de la direction respectent les normes statutaires et exercent un contrôle diligent des activités de leur organisation. Il aide régulièrement les clients dans le cadre d’enquêtes menées par des organismes de réglementation et participe à la mise en œuvre de protocoles d’enquête interne. Me Tremblay est formateur depuis plusieurs années au Collège des administrateurs de sociétés dans le cadre du programme de certification universitaire en gouvernance de sociétés. Il siège également au comité exécutif de l’Association du Barreau canadien (ABC) – Division Québec à titre de trésorier et a récemment été élu président du comité de direction nationale de la Section Droit des affaires de l’ABC. Il agit également comme président et administrateur de l’OBNL Avenir Parc La Fontaine.
 

 


1 Magasins à rayons Peoples’ inc. (Syndic de) c. Wise [2004] CSC 68 (« Peoples »).
2 BCE inc. c. Détenteurs de débentures de 1976 [2008] 3 RCS 560, 2008 CSC 69 (CanLII) (« BCE »).

3 Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, c. C-44, art. 122 (« LCSA »).
4 Loi sur les sociétés par actions, L.R.Q., c. S-31.1, art. 119 (« LSA (Québec) »).
5 Code civil du Québec, R.L.R.Q., c. C-1991, art. 321 et suivants (« C.c.Q. »).
6 Voir aussi – la page de notre site Internet sur la Responsabilité des administrateurs et dirigeants
7 Voir aussi – Au-delà des devoirs de diligence et de loyauté… la responsabilité civile des administrateurs
8 Art. 122 (1) b) LCSA et art. 119, 2e alinéa, LSA (Québec).
9 Peoples, supra, paragr. 67.
10 Art. 122 (1) a) LCSA et art. 119, 2e alinéa, LSA (Québec).
11 Art. 7 C.c.Q.
12 BCE, supra, paragr. 66.
13 BCE, supra, paragr. 82.
14 Par ex. art. 115.50 de la Loi sur la qualité de l’environnement.
15 Par ex. art. 52.1(8) Loi sur la concurrence.
16 Comme toute autre entité ayant la personnalité juridique, les administrateurs sont tenus par diverses obligations prévues au Code civil du Québec, dont notamment les obligations de responsabilité civile, celles liées au mandat ou encore celles relatives au contrat de société (art. 1457 et suivants C.c.Q.; art. 2130 et suivants C.c.Q.; art. 2186 et suivants C.c.Q.; etc.).

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