Action collective : statu quo pour la Cour suprême du Canada quant aux critères d’autorisation au Québec

Le 30 octobre dernier, la Cour suprême du Canada a rendu un arrêt fort attendu dans l’affaire Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin1 (l’« Arrêt Asselin ») ayant tenu praticiens et justiciables en haleine depuis l’octroi de l’autorisation de pourvoi en juin 20192, en regard d’une potentielle réforme du cadre analytique des critères d’autorisation d’une action collective au Québec.  

Loin d’avoir libéralisé ou restreint l’interprétation et l’application des critères d’autorisation prévus à l’article 575 du Code de procédure civile (« Cpc »), l’Arrêt Asselin emporte le statu quo en regard du cadre juridique afférent à l’autorisation d’exercer une action collective et réitère le positionnement de la Cour et les principes développés dans les arrêts Infineon3Vivendi4 et Oratoire Saint-Joseph5 qui forment l’assise jurisprudentielle concernant cette étape procédurale critique, sans modifier le droit y applicable.

 

I. Mise en contexte

Au cours de l’année 2011, le demandeur a institué une action collective proposée à l’encontre des défenderesses en regard de véhicules de placements à capital garanti qui, en raison de la crise financière de 2008 et de la débandade des papiers commerciaux adossés à des actifs (« PCAA ») ayant secoué l’économie mondiale, n’auront à terme produit aucun rendement bien que les investisseurs aient pu récupérer l’intégralité du capital investi.

Alléguant que les véhicules de placements ont été offerts au public et présentés aux investisseurs comme présentant un potentiel de rendement intéressant, le recours entrepris par le demandeur recherche la responsabilité contractuelle de l’une des défenderesses pour avoir effectué de fausses représentations en omettant de divulguer le « risque » associé au placement, ainsi que la responsabilité extracontractuelle de l’autre défenderesse pour avoir conçu les véhicules de placements de façon fautive et géré l’argent de manière incompétente.

En 2016, la Cour supérieure rejetait l’action collective du demandeur, essentiellement en raison de l’absence de lien contractuel avec l’une des défenderesses et l’insuffisance des allégations pour justifier l’existence d’une cause d’action contre elle, ainsi que l’invraisemblance du syllogisme proposé à la lumière des allégations de la demande et de la preuve pour engager la responsabilité extracontractuelle de l’autre6. Par ailleurs, le recours proposé reposant sur les représentations effectuées lors de la mise en marché des véhicules de placements en litige, l’évaluation d’une telle cause d’action ne se prête pas à une adjudication collective.

La Cour d’appel7, dans un arrêt ayant depuis fait couler beaucoup d’encre, infirmait le jugement de la Cour supérieure et autorisait l’exercice de l’action collective contre les défenderesses.

Notamment, la Cour d’appel réaffirmait l’approche souple, libérale et généreuse des conditions en question pour faciliter l’exercice des recours collectifs comme moyen d’atteindre le double objectif de la dissuasion et de l’indemnisation des victimes, invitait les juges d’autorisation à considérer avec circonspection la preuve au stade de l’autorisation et indiquait qu’il faut savoir « lire entre les lignes » lorsqu’en présence d’allégations imparfaites, mais dont le sens véritable ressort.

La Cour d’appel concluait que la demande, lorsque bien cernée et comprise, reproche des manquements généralisés au devoir d’information dans la vente des véhicules de placements de façon systématique envers tous, donnant ouverture à la responsabilité contractuelle contre une défenderesse, ainsi que la responsabilité extracontractuelle de l’autre défenderesse recherchée en regard de la conception et de la gestion des produits financiers en litige. Partant, la responsabilité des défenderesses peut être débattue, dont la résultante relèvera du fond du litige.

 

II. L’arrêt de la Cour suprême du Canada

L’arrêt de la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Kasirer, et marqué par une dissidence partielle, a confirmé l’autorisation d’exercer l’action collective contre les défenderesses essentiellement pour les mêmes motifs que ceux de la Cour d’appel.

L’Arrêt Asselin réaffirme l’approche souple, libérale et généreuse des conditions d’autorisation en vue de faciliter l’exercice des actions collectives comme moyen d’atteindre le double objectif de la dissuasion et de l’indemnisation des victimes, alors que l’autorisation d’exercer une action collective au Québec nécessite l’atteinte d’un seuil peu élevé.

 

A. Les rappels de l’Arrêt Asselin

S’inscrivant dans la continuité de la jurisprudence de la Cour et sans avoir modulé l’interprétation et l’application des critères d’autorisation de l’article 575 Cpc, l’Arrêt Asselin contient certains rappels utiles.

1. La norme d’intervention en appel

D’entrée de jeu, l’opinion majoritaire rappelle que le jugement qui rejette une action collective mérite déférence en appel, notamment en raison de la nature discrétionnaire des décisions des juges d’autorisation.

Toutefois, une méprise analytique des critères d’autorisation par le juge de première instance, la considération erronée du syllogisme juridique proposé ou encore la prise de posture de décideur des faits pourront constituer des erreurs révisables justifiant l’intervention d’une cour d’appel.

2. Ce que signifie « lire entre les lignes »

L’emploi de cette expression par la Cour d’appel dans cette affaire a créé moult remous. Refusant d’y voir une modification de l’état du droit ou une nouvelle forme de libéralisation des critères d’autorisation, l’opinion majoritaire indique que cette expression imagée ou métaphorique se voulait une mise en garde contre les excès du littéralisme dans l’analyse d’une demande pour autorisation d’exercer une action collective, et non pas une invitation à chercher dans le néant des allégations qui ne se trouve pas à la demande.

Sans relever la partie demanderesse de son fardeau de présentation et sans pouvoir inventer du texte qui ne se trouve pas à la demande, la considération de cette dernière permet les mesures suivantes :

a) Le juge d’autorisation peut tirer des inférences ou des présomptions de fait à partir des allégations de la demande pour établir l’existence d’une cause défendable; 

b) Inversement, aucune inférence ne peut être faite ou tirée en l’absence totale d’allégations, alors que le juge d’autorisation ne peut ajouter au texte ou lire dans la demande ce qui n’y est pas écrit;

c) La partie demanderesse doit alléguer des faits suffisamment précis pour que le syllogisme juridique puisse être examiné, sans qu’il soit nécessaire de détailler toute l’argumentation juridique dans le menu détail, aspect qui relève de la plaidoirie.

Ainsi, la démarche analytique au stade de l’autorisation permet de faire abstraction de certains défauts rédactionnels pour comprendre le « plein message » des allégations de la demande en fonction du texte qui s’y trouve.

3. La démonstration d’une cause défendable (article 575(2) Cpc)

Nous le savons, le fardeau qui incombe à la partie demanderesse au stade de l’autorisation consiste simplement à établir l’existence d’une « cause défendable » eu égard aux faits et au droit applicable.

Au stade l’autorisation, les questions de droit peuvent être résolues par le tribunal lorsque le sort de l’action projetée en dépend.

Autrement, lorsque la cause d’action est tributaire de l’appréciation de faits, le juge d’autorisation ne peut se prononcer sur le bien-fondé en droit des conclusions en regard des faits allégués, la fonction de filtrage imposant d’écarter les demandes frivoles ou insoutenables afin que les parties ne soient pas inutilement assujetties à des litiges.

Le corollaire de cette approche souple emporte que la partie demanderesse n’a pas le fardeau de prouver chacun des éléments du syllogisme selon la norme habituelle en matière civile et une action collective pourra être autorisée même en l’absence d’une preuve prépondérante, dans la mesure où elle est appuyée d’une « certaine preuve ». Dans chaque cas, pour apprécier la suffisance de la preuve et des allégations soumises, il faudra tenir compte des particularités du contexte et de ce qui devra ultimement être prouvé.

4. L’existence de questions de droit ou de fait identique, similaire ou connexe (article 575(1) Cpc)

La jurisprudence commande une conception souple de l’intérêt commun qui doit lier les membres du groupe. Il en découle que le fait que tous les membres du groupe ne soient pas dans des situations parfaitement identiques ne prive pas celui-ci de son existence ou de sa cohérence et qu’une action collective pourra être autorisée si certaines questions sont communes aux membres.

L’opinion majoritaire rappelle notamment que :

a) Le seuil nécessaire pour établir l’existence des questions communes à l’étape de l’autorisation est peu élevé;

b) Contrairement à d’autres provinces, le Cpc ne requiert pas que les questions communes soient prédominantes. Une seule question commune suffit dans la mesure où elle fait progresser le litige de manière non négligeable;

c) La question doit être commune aux membres du groupe, sans nécessairement appeler une réponse commune;

Ainsi, le fait que plusieurs questions individuelles demeurent et doivent éventuellement être analysées au terme de l’action collective n’est pas un obstacle à la satisfaction de ce critère d’autorisation.

 

B. Le sort de la Demande d’autorisation en l’espèce

En fonction du principe voulant que l’autorisation d’exercer une action collective doit être accordée une fois les quatre critères de l’article 575 Cpc satisfaits, le tribunal ne bénéficiant d’aucune discrétion résiduelle permettant de refuser l’autorisation au prétexte que le recours ne serait pas le véhicule procédural le plus adéquat, et tout doute devant jouer en faveur de la continuation des procédures, la Cour suprême du Canada a donné son aval à l’exercice de l’action collective en l’instance.

Malgré les reproches formulés envers la rédaction de la demande reconnue comme n’étant pas des plus élégantes, et refusant d’y voir une cause d’action fondée sur les représentations faites individuellement à chacun des membres lors de leur investissement dans les véhicules financiers en litige, la Cour fut satisfaite que la demande puisse justifier une cause défendable envers les défenderesses pouvant faire l’objet d’une adjudication collective en regard d’omissions quant aux caractéristiques des placements et leur gestion fautive, tenant compte du cadre juridique afférent à ses causes d’actions et la teneur des allégations.

Ainsi les moyens de défense des défenderesses quant à la suffisance de l’information communiquée aux investisseurs, l’impact de la crise financière de 2008 quant aux rendements, la portée d’une quittance judiciaire intervenue dans le cadre de la restructuration des PCAA et autres devront faire l’objet d’un débat et d’un examen au procès.

 

C. La dissidence partielle

Pour sa part, la juge Côté, dont les motifs sont supportés par les juges Moldaver et Rowe, aurait rejeté l’autorisation d’exercer l’action collective quant au manquement allégué à l’égard du devoir d’information d’une des défenderesses, et aurait autorisé l’action collective contre l’autre défenderesse quant aux manquements allégués dans la conception et la gestion des placements, mais uniquement à l’égard de la réclamation pour des dommages compensatoires et non pour des dommages punitifs.

Bien qu’en certaines circonstances une action collective reprochant des manquements au devoir d’information de conseillers financiers peut être possible, les allégations de la demande étaient insuffisantes en l’espèce. L’analyse du devoir d’information nécessitant normalement un examen individuel des circonstances particulières de chaque membre, une allégation établissant la présence d’un manquement qui revêt un caractère systématique aurait été requise pour satisfaire les exigences de l’article 575(1) Cpc.

Quant à la faute alléguée dans la conception et la gestion des placements à l’encontre de l’autre défenderesse, la juge Côté confirme également la décision de la Cour d’appel que les quatre critères de l’article 575 Cpc sont satisfaits, en ce qui concerne la réclamation pour des dommages compensatoires seulement.

Concernant la réclamation pour des dommages punitifs, la juge Côté rappelle qu’un juge d’autorisation peut interpréter une pure question de droit à ce stade, et ce, si cet examen ne nécessite pas l’analyse d’une preuve. Dans une perspective d’économie judiciaire et de proportionnalité, si la question peut être tranchée dès ce moment, il n’est pas souhaitable de repousser la question au mérite du dossier. En l’espèce, le plan d’arrangement concernant la restructuration du marché des PCAA et homologué par la Cour prévoyait une quittance en faveur de plusieurs institutions financières, dont les défenderesses. Contrairement aux conclusions de la majorité, la juge Côté conclut que la quittance relative aux PCAA pouvait être interprétée sans qu’une preuve ne soit administrée à ce stade, et donc aurait dû faire obstacle à toute réclamation pour des dommages punitifs dans le cadre de la présente action collective.

 

III. Conclusion

Comme le rappelle à juste titre la Cour suprême du Canada, l’autorisation d’exercer une action collective ne constitue qu’une décision préliminaire susceptible d’être modifiée au cours du procès et qui ne préjuge en rien du sort du litige, ni ne préjudicie les droits de la partie défenderesse.

Ainsi va l’Arrêt Asselin, s’agissant d’un arrêt rendu au stade de l’autorisation d’exercer une action collective et dont la contenance et les commentaires sont fonction d’un seuil de démonstration très bas et d’allégations considérées généreusement, sans considération d’une preuve complète par l’entremise du fardeau applicable pour la détermination réelle de droits.


1 2020 CSC 30.
2 Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2019 CanLII 58133 (CSC, 37898).
3 Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59.
4 Vivendi Canada inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1.
5 L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c. J.J., 2019 CSC 35.
6  Asselin c. Fiducie Desjardins inc., 2016 QCCS 839.
7 Asselin c. Desjardins Cabinet de services financiers inc., 2017 QCCA 1673.

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