Une décision récente du Tribunal administratif des marchés financiers (le « TMF ») pourrait tempérer la manière dont les autorités canadiennes en valeurs mobilières abordent les cryptoactifs.
Dans l’affaire AMF c. Gagnon, l’Autorité des marchés financiers (l’« AMF ») demande diverses ordonnances conservatoires alors qu’elle enquête sur des allégations de manipulation des prix de cryptojetons. Or, pour justifier l’intervention du TMF, l’AMF doit démontrer que les jetons en question constituent des contrats d’investissement assujettis à la Loi sur les valeurs mobilières.
Dans sa décision, le TMF détermine plutôt qu’il s’agit de simples opérations spéculatives sur le marché secondaire. Faute d’apport à une entreprise « ayant une véritable réalité économique », le TMF conclut que les opérations ne s’inscrivent pas dans le cadre de contrats d’investissement. Ce faisant, le TMF s’inspire expressément de la décision Ripple Labs, où le Southern District of New York distingue :
- d’une part, les situations où des investisseurs versent un apport au promoteur d’un cryptoactif pour financer le développement d’une entreprise, ce qui peut constituer un contrat d’investissement; et
- d’autre part, les achats-ventes de cryptoactifs sur les marchés secondaires à des fins spéculatives, ce qui ne relève généralement pas du contrat d’investissement.
En faisant sienne cette distinction, le TMF souligne que la qualification juridique d’un cryptoactif doit s’apprécier au cas par cas, à la lumière de la réalité économique propre à chaque transaction.
Le TMF souligne par ailleurs que le législateur québécois « a choisi, pour l’instant, de ne pas explicitement assujettir les cryptoactifs à la Loi ». Il appelle également l’AMF à faire preuve de prudence avant de freiner l’innovation, alors qu’il incombe au législateur « de prendre les décisions qu’il jugera appropriées pour favoriser le maintien de la compétitivité et de l’intégrité de la Place financière tout en protégeant comme il se doit le public investisseur ».
Cette décision pourrait marquer une étape vers une certaine harmonisation de l’approche des tribunaux de part et d’autre de la frontière. Reste à savoir si les législateurs canadiens jugeront opportun d’intervenir pour préciser le cadre réglementaire des cryptoactifs. D’ici là, l’affaire Gagnon peut être perçue comme une mise en garde contre toute tentative de « réglementer par la répression » (regulation by enforcement) afin de combler le vide législatif. Comme quoi tout ce qui brille sur les DEX n’est pas une valeur mobilière.
La décision a été portée en appel.