Forcer un sous-traitant à compléter ses travaux

Récemment1, la Cour supérieure a émis une ordonnance provisoire2 visant à contraindre un sous-traitant ayant résilié son contrat à se remobiliser sur le chantier afin d’y poursuivre l’exécution amorcée de l’ouvrage en sous-traitance, celui-ci figurant dans le cheminement critique d’un important projet multi résidentiel. 

Vous aurez certainement deviné que les relations entre les parties s’étaient envenimées au cours de l’exécution des travaux. 

Les faits 

Essentiellement, ayant déjà reçu 300 000 $ sur un contrat de 800 000 $, le sous-traitant exigeait de recevoir paiement d’une somme de l’ordre de 40 000 $. 

L’entrepreneur général l’invitait à lui remettre préalablement les documents usuels conditionnels au paiement (quittances, déclarations solennelles, attestations, etc.), soulignant au passage l’inexigibilité d’une partie des sommes réclamées selon les termes du contrat (sans doute la retenue contractuelle, bien que le jugement n’en fasse pas mention). 

Le sous-traitant inscrit alors deux avis d’hypothèques, selon un montant à « ajuster », et transmet deux avis de résiliation conformément aux clauses 7.2.3 et 7.2.4 du contrat de sous-traitance à forfait ACC1-2008. 

Le lendemain, il suspend ses travaux et se démobilise du chantier quelques jours plus tard. 

Le droit 

Les critères que le tribunal doit examiner aux fins d’émettre une ordonnance d’injonction en cours d’instance sont bien établis : le demandeur doit prouver qu’il y a apparence de droit ou, du moins, une question sérieuse à trancher, qu’il est exposé à un préjudice sérieux ou irréparable ou qu’il sera créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement final inefficace et que, si son droit est douteux, la balance des inconvénients joue en sa faveur. L’injonction provisoire a une caractéristique additionnelle : elle ne peut être émise qu’en cas d’urgence.

L’application du droit aux faits 

Le tribunal conclut ce qui suit : 

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L’apparence de droit : Le droit du sous-traitant de résilier est douteux puisque du montant réclamé, une partie n’est toujours pas exigible conformément au contrat de sous-traitance. Le tribunal s’interroge également sur la résiliation d’un contrat de 800 000 $, garanti par cautionnement, pour un prétendu défaut de 27 000 $ alors que l’entrepreneur général a déjà versé plus de 300 000 $ au sous-traitant, et qui menace un projet de plusieurs millions de dollars. Enfin, le droit de résilier est encadré par le Code civil qui exige, en plus de la bonne foi des parties au contrat d’entreprise, de ne pas le résilier sans motif sérieux ni à contretemps.

Selon l’auteur, le tribunal aurait également dû tenir compte du fait que les conditions générales de l’ACC1-2008, tout comme le Code civil, requièrent en semblables circonstances qu’une mise en demeure soit transmise préalablement à la résiliation afin d’indiquer ce qui est reproché, mais également de permettre un délai raisonnable pour y remédier (5 jours selon la clause 7.2.4 de l’ACC1-2008, délai raisonnable selon le Code civil, non respecté en l’espèce).

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L’urgence : Chaque jour qui s’écoule retarde, voire paralyse, un projet majeur, ce à quoi le jugement final ne pourra remédier. 

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Le préjudice : Un préjudice sérieux imminent sera causé à l’entrepreneur général si le tribunal n’intervient pas, ce dernier étant de surcroît incapable de trouver un autre sous-traitant pour compléter l’ouvrage en sous-traitance.

Selon l’auteur, ce dernier aspect est déterminant, bien qu’en théorie et comme le souligne avec raison le juge dans cette affaire, la règle de l’exécution « en nature » du contrat prévaut en droit québécois, par opposition à l’exécution « par équivalent ». 

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La balance des inconvénients : Le projet sera menacé à défaut d’exécution du sous-contrat, alors qu’en exécutant la balance du contrat, le sous-traitant est assuré qu’il sera payé conformément au contrat, garanti par hypothèque légale ou par cautionnement advenant l’incapacité du général à faire face à ses obligations. 

Ce qu’il faut retenir 

  • La résiliation du contrat d’entreprise constitue une mesure extrême qui mérite d’être considérée uniquement à la lumière d’un examen factuel et juridique sérieux. 
  • Le respect de la procédure d’avis écrits nécessite non seulement une compréhension des éléments explicites tels que l’octroi d’un délai permettant au cocontractant de remédier aux reproches lui étant formulés, mais également une compréhension des éléments implicites tels que la bonne foi devant gouverner les parties au contrat et autres principes fondamentaux du droit civil québécois. 
  • Bien qu’il s’agisse d’un recours exceptionnel, l’injonction demeure un outil trop peu souvent employé dans l’industrie de la construction, alors qu’il permet d’éviter la survenance d’un préjudice sérieux ou irréparable. Il évite ainsi d’avoir recours à une procédure de réclamation longue et dispendieuse à tous égards. 
  • Il serait souhaitable, afin de limiter les risques et les inconvénients d’une telle situation, de commencer par les pénalités du maître de l’ouvrage et les frais d’avocats, de venir compléter les conditions générales des contrats normalisés pour ainsi encadrer, par des mesures transitoires, la résiliation contestée du contrat dans l’attente d’un jugement final ou d’un règlement hors Cour.

À propos de l’auteur : Me Jean Patrick Dallaire est avocat associé du secteur droit de la construction chez Langlois Kronström Desjardins. Il agit en première ligne dans la négociation et la rédaction de contrats d’entreprise, de gérance, de design-construction ou de sous-traitance, comme conseiller stratégique et formateur en entreprise ainsi qu’à titre d’avocat-plaideur devant toutes les instances judiciaires, y compris la Cour suprême du Canada.


1 Constructions Lavacon inc. c. Icanda Corporation, 2015 QCCS 4543
2 L’injonction provisoire peut être émise pour une durée allant jusqu’à 10 jours et constitue généralement la première étape lorsque l’urgence requiert une intervention immédiate du tribunal / L’injonction interlocutoire peut être émise en cours d’instance et jusqu’à l’obtention d’un jugement final qui pourra, quant à lui, viser l’émission d’ordonnances permanentes. Des ordonnances dites « de sauvegarde » servent généralement à reconduire des ordonnances provisoires dans l’attente que les parties puissent procéder sur l’injonction interlocutoire.

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