Le 19 avril 2023, dans l’affaire Banque de Montréal c. Chevrette, la Cour d’appel a rendu un arrêt d’intérêt concernant la portée de l’article 148 de la Loi sur la protection du consommateur1 (la « Lpc ») et le calcul de valeur d’un bien faisant l’objet d’un contrat de vente à tempérament dans le contexte d’une action collective entreprise par des consommateurs à l’encontre de deux institutions financières (les « institutions financières »), d’un fabricant et de distributeurs de véhicules automobiles (les « distributeurs ») (ensemble, les « appelantes ») afférente à la valeur du véhicule faisant l’objet d’un tel contrat et la considération de la valeur d’un autre véhicule remis en échange aux fins de sa conclusion.
Outre l’enseignement d’intérêt concernant la portée, l’interprétation et les limites de l’article 148 Lpc, l’arrêt offre un rappel important de la nécessité pour la cour de trancher une question de droit à l’étape de l’autorisation d’exercer une action collective lorsque le litige en est tributaire.
A. Mise en contexte
L’action collective entreprise découle de la conclusion de contrats de vente à tempérament entre les demandeurs et les institutions financières pour la vente de véhicules automobiles. Dans le cadre du financement des véhicules faisant l’objet des contrats de vente à tempérament en litige, le solde de véhicules alors détenus par les demandeurs (capital négatif), et acquis par le commerçant concessionnaire dans le cadre la transaction avait été ajouté au prix total d’acquisition, emportant une majoration de la valeur du nouveau contrat intervenu, prétendument de façon contraire à l’article 148 Lpc :
148. Le contrat de vente à tempérament ne doit se rapporter qu’à des biens vendus le même jour.
Pour les demandeurs, la considération de la valeur du véhicule cédé au concessionnaire en échange lors de la conclusion d’un nouveau contrat de vente à tempérament d’un autre véhicule constituait un « refinancement » illégal d’une dette2.
B. Le jugement de la Cour supérieure
Au stade de l’autorisation, la Cour supérieure, sous la plume de la juge Nancy Bonsaint, a reconnu qu’elle était face à une pure question de droit, qu’elle devait trancher immédiatement, soit de déterminer si l’article 148 Lpc interdit l’inclusion de la dette afférente à un ancien véhicule donné en échange dans le financement d’un nouveau véhicule. Toutefois, la cour refusa de répondre à cette question au stade de l’autorisation, indiquant que la résolution de celle-ci ne disposerait pas de l’action collective dans son intégralité, alors que les demandeurs invoquaient également différentes causes d’action fondées sur la commission de pratiques interdites.
Ainsi, la juge de la Cour supérieure énonçait qu’une réponse affirmative ou négative à cette question ne permettrait pas de traiter de la deuxième cause d’action des demandeurs concernant la commission de pratiques de commerce illégales par les appelantes. La cour considère donc que les demandeurs ont réussi à établir l’existence d’une cause défendable en lien avec l’article 148 Lpc, et reporte le débat sur la question de droit au mérite :
[56] Par ailleurs, si le « refinancement » n’est pas interdit par l’article 148 L.P.C., se pose de la même façon la deuxième question en litige, soit de savoir si les pratiques de commerce des défenderesses, lorsque le « refinancement » est permis, respectent les articles 219, 224 et 229 L.P.C. C’est donc dire qu’une réponse affirmative à la première question en litige n’apporte pas nécessairement une réponse affirmative à la deuxième question. Considérant par ailleurs que la deuxième question en litige n’est pas une pure question de droit, elle nécessite un examen des faits allégués à la lumière du droit applicable, et ce, au mérite. En somme, une réponse affirmative à la première question en litige ne règle pas le sort de l’ensemble de l’action collective.
[57] Dans les présentes circonstances, alors que la réponse à la question de droit n’a pas pour effet de décider de l’ensemble de l’action collective, le Tribunal use de sa discrétion pour déférer la résolution de la question de droit soulevée par les demandeurs au mérite. De plus, le syllogisme juridique mis de l’avant par les demandeurs, eu égard à une contravention à l’article 148 L.P.C., constitue une « cause défendable ».
La cour se penche ensuite sur l’analyse de la deuxième cause d’action, sans tenir compte du retrait, par les demandeurs, des arguments portant sur les articles 219 et 228 Lpc. La cour expose que les allégations des demandeurs à savoir qu’ils ont signé des contrats comportant des informations inexactes, ou qu’ils ne furent pas informés du montant refinancé et des frais de crédit doivent être tenues pour avérées, et permettent de conclure que les mentions aux contrats signés pourraient ne pas respecter les prescriptions relatives aux pratiques de commerce prévues à la Lpc. La cour conclut donc à la présence d’une cause défendable à cet égard.
C. L’arrêt de la Cour d’appel
En appel, les appelantes soulèvent que la question de droit portant sur l’interprétation de l’article 148 Lpc devait obtenir une réponse et que la Cour supérieure avait jugé ultra petita en traitant des articles 219 et 228 Lpc qui n’étaient plus en cause. Les appelantes soutenaient que cette erreur avait influencé l’analyse de la Cour supérieure en lien avec l’application de l’article 224 c) Lpc, qui interdit au commerçant d’exiger pour un bien un prix supérieur à celui annoncé, alors que la seule distinction dans le prix des véhicules automobiles découlait en l’espèce du capital négatif du véhicule d’échange, ce qui avait fait l’objet d’une admission par les demandeurs en appel.
La Cour d’appel observe que les recours en vertu des articles 148 et 224 c) se recoupent, et que l’article 148 constitue donc le « seul véritable fondement à l’action collective »3. Ce constat revêt une importance cruciale dans le débat selon la Cour d’appel, alors qu’il emporte que la Cour supérieure devait trancher cette question, afin d’exercer son rôle de filtrage au stade de l’autorisation :
[15] L’article 148 LPC est donc le seul véritable fondement à l’action collective. Ce constat est important, car, rappelons-le, bien qu’elle reconnaisse qu’il s’agit d’une simple question de droit, la juge a refusé de déterminer si cette disposition avait pour effet d’interdire la reprise d’un bien à capital négatif au motif que ce n’était pas le seul fondement à l’action collective et que la réponse à cette question n’était pas en mesure d’en sceller complètement le sort. Les appelantes sont d’avis qu’il s’agit là d’une erreur et que la juge pouvait, voire devait, décider de cette question afin d’exercer pleinement son rôle de filtrage pour chacun des fondements invoqués dans l’action collective.
La Cour d’appel analyse ensuite la portée de l’article en cause et conclut, au terme d’un processus d’interprétation, qu’il vise à déterminer l’imputation des paiements ainsi que le moment de transfert de la propriété au consommateur. La Cour d’appel conclut donc que l’article 148 Lpc ne prohibe pas la reprise d’un bien à capital négatif, et que la valeur de cette reprise, devant apparaître au contrat, impliquera nécessairement que le prix payé par le consommateur sera plus élevé que le prix annoncé du véhicule sans enfreindre la loi.
Ce faisant, la Cour d’appel rappelait également que tout problème sociétal contribuant à exacerber le surendettement des consommateurs, s’il en est, est un enjeu revenant au législateur et non pas aux tribunaux.
Les prétentions des demandeurs quant à l’application de l’article 148 Lpc ayant été jugées comme dépourvues de fondement, et s’agissant du seul fondement à l’action collective proposée, la Cour d’appel a infirmé le jugement de la Cour supérieure et rejeté la demande d’autorisation d’exercer une action collective en l’instance.
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L’arrêt de la Cour d’appel lève ainsi toute ambiguïté sur l’application de l’article 148 Lpc et la pratique de certains vendeurs de prendre en considération le solde résiduel d’un bien antérieurement vendu lors de l’acquisition subséquente d’un autre bien, assurant la stabilité de ce modèle d’affaires pour les commerçants qui s’y adonnent.
Autrement, l’arrêt de la Cour d’appel rappelle l’importance de l’identification et de la caractérisation adéquate des enjeux véritablement en litige dans le cadre d’une demande d’autorisation d’exercer une action collective pour procéder à sa juste adjudication, s’agissant d’une étape où on ne saurait escamoter le droit applicable en fonction de ses véritables paramètres.
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1 RLRF, chapitre P-40.1.
2 Tel que le décrit la Cour d’appel « [c]ette pratique, communément appelée la technique de la « balloune », permet à un vendeur d’inclure le capital négatif d’une voiture reprise en échange dans le prix du véhicule vendu », para. 5.
3 Décision de la Cour d’appel, paragr. 15.