Alors que notre économie fait ses premiers pas vers sa reprise et que nous commençons à envisager le monde post-COVID-19, de nombreuses entreprises sont aux prises avec les manquements contractuels survenus pendant la crise. Bien que beaucoup d’encre ait coulé sur le sujet de la « force majeure » et ce que les entreprises devraient faire si elles ne sont pas en mesure de respecter leurs obligations contractuelles en raison de la crise, la situation inverse concernant la partie victime, soit celle du défaut de son cocontractant et qui subit souvent des pertes importantes suite à ce défaut, a été peu abordée.
Les litiges, dans ce contexte, sont pratiquement inévitables et pour les entreprises qui voudront être indemnisées pour leurs pertes, il faut désormais se concentrer sur la préparation des prochaines étapes.
Partant, dans l’élaboration de ces prochaines étapes en vue de protéger vos droits relativement à des litiges post-COVID-19, il est important de tenir compte à la fois des réalités opérationnelles ainsi que du statut et de l’avenir de ces relations contractuelles à la lumière de cette situation sans précédent. Comme cela sera expliqué plus en détail ci‑après, certains points clés doivent être traités non seulement à court terme, mais également à moyen et à long terme.
1. Immédiat et/ou court terme : recueillir la preuve et déterminer le cadre juridique applicable
Conséquences juridiques et pratiques de l’urgence sur les termes du contrat
La première tâche probablement déjà entreprise à ce stade, consiste à examiner tous les documents contractuels en portant une attention particulière aux clauses de choix de loi applicable et d’élection de for ainsi qu’aux délais pouvant apparaître dans les clauses de non-exécution, d’avis et de résiliation.
En réponse à la situation engendrée par la COVID-19, une suspension générale des délais de procédure et des délais de prescription a été décrétée par le gouvernement du Québec1, sous réserve de certaines exceptions. Puisque ces types de suspensions varient d’une juridiction à l’autre, une analyse de la clause d’élection de for est particulièrement importante.
Les délais contractuels ne sont pas affectés par la suspension des délais de procédure et des délais de prescription. Il est donc important de revoir tous les délais d’avis et les exigences connexes du contrat, ainsi que toute clause de « force majeure » qui pourrait avoir une incidence sur ces exigences2. La crise actuelle peut avoir un impact sur les délais d’avis et la mise en œuvre de certaines dispositions liées aux avis, notamment celles relatives au droit de remédier à tout défaut contractuel.
Enfin, il faut soigneusement examiner les clauses de résiliation du contrat car la solvabilité ou la faillite de l’autre partie pourrait être éventuellement problématique et compromettre vos droits dans le futur.
Communications et télétravail : quoi dire et à qui?
En raison de l’utilisation inévitable de la technologie et de sa mémoire apparemment indélébile, il est crucial de revoir ou de mettre en œuvre toute stratégie et méthodologie de communication interne et externe pour prévenir et éviter d’éventuels problèmes de preuve.
Comme pour tous les scénarios pré-litige, le privilège relatif au litige et le secret professionnel doivent être protégés. À l’interne, les communications liées aux litiges doivent être facilement identifiables et avoir pour objectif principal la préparation ainsi que la gestion des litiges. Il est notamment conseillé de limiter le cercle de communication (et les copies conformes).
Au moment de communiquer avec des conseillers juridiques internes et externes, la nécessité actuelle d’avoir recours aux communications électroniques peut engendrer une distribution imprudente ou accidentelle, ce qui pourrait entraîner une dilution ou même une renonciation au secret professionnel à des stades ultérieurs.
Lors de communication avec des tiers, y compris la partie en défaut ou son remplaçant potentiel, il existe un risque de prolifération d’une trace écrite virtuelle inexacte (ou autrement dommageable). Cela s’étend aux communications avec la partie en défaut afin de parvenir à un compromis négocié ou afin de retravailler les conditions du contrat. N’oubliez pas que les employés ou les représentants de l’entreprise peuvent facilement être enregistrés, à leur insu ou non, lors de communications téléphoniques ou virtuelles.
En somme, la nécessité dans le contexte actuel d’avoir recours à la communication écrite (que ce soit par texto, courriels ou autres formes de messagerie) et aux outils de conférence audio et vidéo en ligne, laisse des traces permanentes qui pourraient vous hanter dans le futur.
Conserver la preuve et documenter le dossier
Au Québec, « Les parties se doivent de coopérer notamment en s’informant mutuellement, en tout temps, des faits et des éléments susceptibles de favoriser un débat loyal et en s’assurant de préserver les éléments de preuve pertinents. »3 Les mesures relatives à la COVID-19 ne modifieront et ne diminueront pas cette obligation. Par conséquent, dès qu’un litige devient prévisible, tous les documents probants et potentiellement pertinents doivent être conservés dans un endroit sûr. Vos politiques de conservation et de destruction des documents devront donc être révisées et tous les employés en possession de documents ou de données potentiellement pertinents doivent être avisés de l’importance de les conserver.
Il convient d’ailleurs de mentionner que selon la juridiction dans laquelle le litige anticipé aura lieu, ces obligations peuvent être encore plus exigeantes et peuvent nécessiter des consignations légales formelles.
2. Moyen terme : atténuation des dommages et limitations contextuelles des droits contractuels
Mitiger les dommages
Une partie qui anticipe une perte ou un dommage potentiel a l’obligation de les minimiser. La portée ou l’intensité de cette obligation peut varier selon la juridiction et la loi applicable.
Par ailleurs, certains envisageront de remplacer la partie en défaut, par exemple, en trouvant un nouveau fournisseur. Si un tel choix est fait, il est essentiel de déterminer qui devra couvrir tout différentiel de coût potentiel et évaluer s’il existe une obligation contractuelle de préavis à cet égard.
Les particularités de la réalité associée à la COVID-19 peuvent entrer en ligne de compte dans l’évaluation de la possibilité de remplacer un cocontractant en défaut de ses obligations par un nouveau fournisseur et la mesure dans laquelle le remplacement pourra être effectué. Certaines pressions actuelles du marché pourraient potentiellement perdurer dans le temps en raison de la COVID-19 et auront possiblement une incidence néfaste sur le coût de remplacement qui rendra les conditions de tout nouveau contrat de remplacement moins avantageuses. Ces dommages « supplémentaires » pourraient ne pas être recouvrables en raison de la nature imprévisible des événements récents – un facteur important à prendre en considération dans l’approche globale lorsqu’il s’agit de traiter avec une partie cocontractante en défaut.
Limites à l’exercice des droits contractuels : l’importance de la coopération et de la bonne foi
Selon les circonstances de l’inexécution et la position prise par la partie en défaut, il faut éviter de chercher à remplacer son cocontractant trop rapidement. Le contexte de la COVID-19 ainsi que les pressions et restrictions sans précédent auxquelles nous devons tous faire face seront en effet pris en compte dans tout litige futur. Agir d’une manière contraire au devoir général de bonne foi et de diligence dans l’exécution des contrats ou autrement abuser d’un droit contractuel, pourrait renverser la situation et créer un risque de responsabilité. Par conséquent, il est important de coopérer avec l’autre partie, de faire preuve d’une certaine flexibilité et d’éviter de se faire justice soi-même.
3. Long terme : sortir des sentiers battus et envisager des modes privés de prévention et de règlement des différends (PRD) comme alternative aux litiges judiciaires traditionnels
Une fois que les cartes ont été jouées et qu’un litige semble inévitable, les parties concernées peuvent opter pour les modes privés de prévention et de règlement des différends (PRD)4. En effet, avec le volume anticipé de causes auquel les tribunaux seront confrontés lors de la pleine reprise des activités judiciaires, les PRD pourraient représenter l’une des seules solutions envisageables pour parvenir à un résultat efficace et rapide.
Au Québec, les parties ont d’ailleurs l’obligation de considérer les PRD (comme par exemple la médiation) avant de soumettre leur différend aux tribunaux. Le recours aux PRD pourrait être une alternative souhaitable, l’objectif étant de trouver une solution commercialement viable pour une saine continuité. De plus, le contrat lui-même prévoit possiblement une clause de médiation et/ou d’arbitrage afin d’éviter que le litige ne soit porté devant les tribunaux. Cette clause peut inclure ses propres délais de procédure et exigences de préavis. Il est peu probable que de telles exigences de préavis soient affectées par la suspension actuelle des délais de procédure et elles devraient donc être respectées, sauf entente contraire entre les parties.
Considérant la surcharge anticipée des rôles d’audience des tribunaux et les répercussions corrélatives sur les délais pour obtenir des jugements, même les parties qui n’ont pas prévu d’arbitrage dans leurs contrats devraient envisager de recourir aux PRD. Une convention d’arbitrage autonome faisant référence au différend spécifique ou à tous les différends contractuels peut être convenue à tout moment entre les parties, même après l’introduction du litige. La convention d’arbitrage doit être rédigée avec soin puisqu’elle-même soumise à un certain nombre d’exigences de fond ainsi qu’aux meilleures pratiques particulières à ce contexte.
4. Conclusion
Comme pour tous les aspects des relations commerciales, la réalité des différends contractuels et des litiges dans la nouvelle réalité émergente nécessite une combinaison de gestes proactifs afin d’adresser les préoccupations immédiates, ainsi qu’une planification adaptée pour les considérations à moyen et à long terme.
La communication et la coopération, tant à l’interne qu’à l’externe, ainsi qu’un virage vers des solutions créatives et réfléchies, aideront les parties à se frayer un chemin dans le processus de règlement des différends et ce, même en cas de litige inévitable.
1 À titre d’exemple : Arrêté n° 2020-4251 de la juge en chef du Québec et de la ministre de la Justice du 15 mars 2020
2 Pour plus de détails concernant la force majeure, nous vous invitons à consulter l'article suivant : https://langlois.ca/linexecution-des-contrats-en-raison-de-la-pandemie-de-la-covid-19-est-ce-un-cas-de-force-majeure
3 Art. 20 C.p.c.
4 Art. 1 C.p.c. : Ces modes privés de prévention et de règlement des différends sont principalement la négociation entre les parties de même que la médiation ou l’arbitrage à l’occasion desquels les parties font appel à l’assistance d’un tiers neutre et impartial. Les parties peuvent aussi recourir à tout autre PRD qui leur convient et qu’elles considèrent adéquat.