Redevances minières : le Québec est-il si différent?

8 juin 2017

Cet article a d'abord paru en anglais sur le site Web The Lawyer's Daily le 8 juin 2017.

Récemment, dans l’affaire Third Eye Capital Corp. v. Dianor Resources Inc., 2016 ONSC 6086, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendu une décision qui illustre l’importance de rédiger et de structurer soigneusement les accords de redevances lorsque l’intention est que le droit de redevance se rattache au bien minier, c’est-à-dire qu’il soit opposable aux tiers, tels que de nouveaux propriétaires, plutôt qu’un simple droit contractuel opposable au concédant personnellement.

Dans cette affaire, le tribunal a appliqué le test établi dans la cause Banque de Montréal c. Dynex Petroleum Ltd. [2002] 1 RCS 146, 2002 CSC 7, dans laquelle la Cour suprême du Canada a conclu qu’un droit de redevance peut constituer un « intérêt foncier » pourvu i) que l’intention des parties à l’accord soit clairement de créer un tel intérêt et non un simple droit contractuel lié à une partie des substances pétrolières et gazières et ii) que l’intérêt dont est issu le droit de redevance soit lui-même un intérêt foncier.

Dans Third Eye Capital, le tribunal a conclu que les droits de redevances en cause ne se rattachaient pas à la propriété et n’accordaient pas au titulaire des redevances un intérêt foncier, notamment en raison du fait que le seul droit accordé au titulaire était de partager les recettes provenant des substances minérales extraites. Un tel arrangement a été jugé insuffisant pour créer un réel intérêt foncier. En particulier, la Cour ontarienne a précisé que le titulaire de redevances n’était pas autorisé à entrer sur la propriété aux fins d’exploration et d’extraction de diamants et d’autres minéraux.

Il y a quelques années, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision similaire dans la cause Anglo Pacific Group, PLC c. Ernst & Young inc. 2013 QCCA 1323. En résumé, l’une des questions à trancher était de déterminer si les accords de redevances en question créaient un droit réel  immobilier grevant directement le bien minier ou un droit personnel opposable uniquement au constituant, c’est-à-dire la personne ou entité ayant accordé le droit aux redevances. La Cour d’appel a conclu que les constituants avaient en l’espèce conservé tous les attributs liés au droit de propriété et n’avaient simplement accordé qu’un droit de partage des profits découlant de la vente de substances minières extraites, malgré que les parties à l’accord y aient clairement stipulé leur intention de créer un droit réel direct dans les produits et les propriétés en faveur du titulaire de redevances. La Cour a noté, à titre d’exemple, qu’en cas de défaut d’extraire le minerai ou de le vendre, les accords en cause ne conféraient au titulaire de redevances aucun droit de l’extraire ou de le vendre lui-même.

Cette approche est sensiblement la même que celle qui est utilisée dans d’autres provinces de common law, comme nous pouvons le constater, en tenant compte des particularités du régime de droit civil du Québec en matière de biens et de propriété. Selon la Cour d’appel, pour qu’un accord de redevances crée un droit réel immobilier grevant des concessions minières, des baux miniers ou des substances minérales à extraire, il est nécessaire d’accorder « un pouvoir qui peut être exercé directement sur un bien », ce qui peut être accompli en divisant les attributs de propriété et en attribuant un ou plusieurs d’entre eux au titulaire de redevances. En vertu du régime de droit civil du Québec, lesdits attributs sont essentiellement qualifiés d’usus (le droit de se servir et de jouir du bien), de fructus (le droit de jouir des fruits et revenus du bien), d’abusus (le droit de disposer librement et entièrement du bien, tant physiquement que juridiquement) et de droit d’accession (l’acquisition d’un bien donne droit à ce qu’il produit et à ce qui s’y unit, de façon naturelle ou artificielle).

En dernière analyse, les difficultés d’ordre pratique se ressemblent dans toutes les provinces, car les accords de redevances sont rarement conçus de façon à accorder aux titulaires de redevances des droits directement exerçables sur le bien minier. Pourtant, sans ces droits, les titulaires de redevances se retrouvent à risque de perdre la capacité de faire valoir leurs droits dans certaines situations ; par exemple, dans le cas où le droit minier sous-jacent est accordé à un tiers ou si le constituant devient insolvable. Les causes Third Eye Capital et Anglo Pacific servent donc de rappel à l’industrie minière : les parties doivent structurer soigneusement leurs accords de redevances minières, car la question n’est pas l’intention des parties, mais plutôt si cette intention est effectivement mise en œuvre dans l’entente.

Il existe, bien entendu, divers moyens d’atténuer les risques. Une explication complète de ces moyens dépasse la portée de ce bref article, mais notons, par exemple, le fait de prévoir contractuellement que le transfert du bien minier du constituant requiert l’autorisation préalable du titulaire de redevances et que l’acquéreur doit assumer toutes les obligations liées aux redevances, le fait d’exiger la publication des droits de redevances dans les registres publics pertinents ou encore d’exiger que le constituant obtienne une hypothèque afin de garantir l’exécution de ses obligations prévues dans l’accord de redevances, et ainsi de suite. Les parties devraient également tenter de créer un droit réel immobilier innommé accordant au titulaire de redevances certains pouvoirs pouvant être exercés directement sur le bien, tel le droit d’entrer sur la propriété pour y extraire des substances minérales qu’il peut vendre sous certaines conditions. Sous réserve des droits du prêteur, une infime partie du droit réel dans la propriété minière elle-même pourrait aussi être cédée au titulaire de redevances. Quoi qu’il en soit, il sera intéressant de voir évoluer les pratiques de l’industrie et de voir comment les accords portant sur les redevances de rendement net de fonderie et autres accords de redevances seront rédigés à l’avenir afin de mieux protéger les droits des titulaires.