Nomination de séquestre et préavis d’exercice : la Cour d’appel devra trancher la controverse?

21 mai 2020

Une décision récente rendue par la Cour supérieure dans le district judiciaire de Montréal1 s’inscrit dans la tendance jurisprudentielle en matière de nomination de séquestre en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« L.F.I. »), soit la nécessité que le préavis d’exercice visé au Code civil du Québec (« C.c.Q. ») soit transmis et expiré préalablement à la demande de nomination.

Cette décision fait partie d’une controverse jurisprudentielle qui devra être tranchée par la Cour d’appel prochainement.

Les faits

Dans cette affaire, la Caisse Desjardins de LaSalle (la « Caisse ») s’est adressée au tribunal à titre de créancier garanti de DAC Aviation internationale ltée (« DAC ») afin que Raymond Chabot inc. (« RCGT ») soit nommé à titre de séquestre aux biens de DAC.

RCGT avait obtenu un mandat de consultation chez DAC afin d’examiner les affaires de cette dernière.

Dans le cadre de son mandat, RCGT concluait à l’insolvabilité de DAC et que la valeur des actifs sujets aux sûretés de la Caisse diminuera de façon importante, notamment en raison de la perte des principaux clients de DAC. Pour ces raisons, RCGT recommandait la nomination d’un séquestre afin d’assurer une réalisation ordonnée des actifs de DAC.

La Caisse a donc déposé une demande en nomination d’un séquestre en vertu de l’article 243 L.F.I. Le tribunal a rejeté cette demande au motif que les modalités d’exercice d’un recours hypothécaire prévues au C.c.Q. n’avaient pas été respectées.

S’appuyant sur les arrêts Lemare Lake2 et Transport Desgagnés3 de la Cour suprême, la juge Marie-Anne Paquette, j.c.s., s’écarte de la pratique courante en matière de nomination de séquestre national, retenant plutôt le courant4 à l’effet que les préavis d’exercice d’un recours hypothécaire sous le C.c.Q. doivent être transmis et expirés avant de permettre la nomination d’un séquestre national.

Analyse

Se penchant sur les questions constitutionnelles sous-jacentes à l’application simultanée des législations fédérale et provinciale, la juge Paquette est d’avis que la théorie du double aspect permet une application des dispositions du C.c.Q. dans le contexte d’une nomination d’un séquestre en vertu de la L.F.I.5.

L’application de la législation provinciale dans ce contexte aura des conséquences importantes, notamment en prolongeant le délai de 10 jours prévu à l’article 244 L.F.I. avant qu’un séquestre ne puisse être nommé, à 60 jours6 dans le cadre d’un immeuble et à 20 jours pour les biens meubles.

Ces questions constitutionnelles avaient déjà été examinées par les auteurs Bélanger et Rigaud dans un commentaire publié en 2016 à la suite du jugement de la Cour suprême dans l’arrêt Lemare Lake7.

Ces auteurs, dont l’avis est notamment partagé par les juges Clément Samson, j.c.s.8, et Marie-Paule Gagnon, j.c.s.9, effectuent une analyse approfondie du rôle du séquestre national et de la primauté des lois adoptées par le parlement fédéral en vertu sa compétence exclusive en matière de faillite, pour conclure que le ratio decidendi de l’arrêt Lemare Lake ne permet pas de conclure que la nomination d’un séquestre en vertu de la L.F.I. doit avoir été précédée de la signification et de la publication d’un préavis d’exercice des droits hypothécaires et de l’expiration des délais y étant prévus10.

Ce courant jurisprudentiel, qui semblait limité à certains districts judiciaires jusqu’à tout récemment, semble vouloir prendre de l’ampleur avec cette nouvelle décision. Il s’agira certainement d’une question d’intérêt pour la Cour d’appel afin de mettre un terme à ce débat jurisprudentiel au Québec dans le cadre d’un dossier déjà devant elle dans l’affaire de la requête en nomination d’un séquestre de Media5 Corporation11.


1 Mise sous séquestre de DAC Aviation internationale ltée, 2020 QCCS 1077.
Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging Ltd., 2015 CSC 53.
3 Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä, 2019 CSC 58.
Boréal – Informations stratégiques inc. (Avis d’intention de), 2014 QCCS 5595, Média5 Corporation inc. (Séquestre de), 2011 QCCS 6874, Ferme des Hautes collines (Séquestre de) c. Banque nationale du Canada 2008 QCCS 1495.
Mise sous séquestre de DAC Aviation internationale ltée, préc., note 1, paragr. 14.
6 Art. 2758 C.c.Q.
7 Philippe BÉLANGER et Sylvain RIGAUD, « L’arrêt Lemare Lake changera-t-il la pratique au Québec en matière de nomination de séquestre? », dans Annual Review of Insolvency Law 2016, Janis P. SARRA et Justice Barbara ROMAINE, Toronto, Thomson/Carswell, p. 845.
Groupe Ferme Sylvain Rivard inc. (Séquestre de) et Restructuration Deloitte inc., 2016 QCCS 5088, paragr. 97.
Séquestre de Roland Boulanger & cie ltée, 2019 QCCS 4838.
10 P. BÉLANGER et S. RIGAUD, préc., note 7.
11 Le dossier de Cour d’appel est le 500-09-028772-200.