La Cour supérieure a récemment rendu une décision fort pertinente dans l’affaire Mazars Harel Drouin S.E.N.C.R.L. c. Plourde1 en matière d’interprétation et de validité d’une clause de non-sollicitation et d’une clause pénale incluses dans un contrat de société ainsi qu’en matière d’abus du droit d’ester en justice. Cette décision vient notamment clarifier l’angle d’analyse des clauses restrictives incorporées dans les contrats de société alors qu’il n’y avait jusque-là que peu d’autorités instructives sur la question.
Le contexte
Dans cette affaire, une importante société de comptables professionnels agréés (la « Demanderesse ») avait entrepris des procédures judiciaires à l’encontre de l’un de ses anciens associés (le « Défendeur ») et du cabinet-conseil nouvellement créé par ce dernier (collectivement les « Défendeurs ») en alléguant le non-respect d’une clause de non-sollicitation de clientèle contenue au contrat de société de la Demanderesse auquel le Défendeur avait souscrit lors de son accession à la société.
Dans le cadre de cette poursuite, la Demanderesse alléguait que les Défendeurs avaient sollicité six de ses clients et leur réclamait la somme de 300 000 $ à titre de dommages liquidés en application d’une clause pénale qui prévoyait une somme de 50 000 $ par infraction.
La preuve démontrait que les six clients en question, qui généraient d’ailleurs des honoraires minimes pour la Demanderesse, avaient pris la décision de quitter soit parce qu’ils étaient insatisfaits des services prodigués par la Demanderesse, soit parce qu’ils préféraient continuer d’être servis par le Défendeur dans sa nouvelle firme. Chacun d’entre eux avait d’ailleurs confirmé par le biais d’une lettre signée destinée à la Demanderesse que leur décision de confier à l’avenir leurs affaires aux Défendeurs ne résultait pas d’une quelconque sollicitation de la part du Défendeur.
Néanmoins, la Demanderesse a intenté son recours contre les Défendeurs et ces derniers ont riposté avec une demande reconventionnelle alléguant que la Demanderesse s’était conduite de manière abusive à son égard et avait abusé de son droit d’ester en justice dans le cadre d’un recours voué à l’échec. À cet égard, les Défendeurs réclamaient notamment le remboursement d’honoraires extrajudiciaires de plus de 100 000 $.
La décision de la Cour supérieure
La demande en justice pour sollicitation illégale de clientèle
La Cour supérieure a d’abord constaté à la lumière de la preuve que le contrat de société constituait pour le Défendeur un contrat d’adhésion2. La Cour a ensuite tranché la question à savoir si la validité de la clause de non-sollicitation devait être analysée sous l’angle des principes applicables aux contrats d’emploi ou à ceux applicables à un contexte d’affaires.
La Cour a ainsi élargi l’application des principes en droit de l’emploi à tout contrat qui a pour objet principal un travail permettant à l’exécutant de gagner sa vie3. Elle a expliqué que la « distinction importante à faire n’est pas de savoir si l’on est uniquement dans une relation fermée et stricte d’employeur à employé, mais si l’on est dans une relation de limitation ou d’atteinte sérieuse à la liberté individuelle d’exercer une activité rémunératrice de travail4 ».
Dans cette affaire, la Demanderesse alléguait que la clause devait plutôt être analysée selon les critères applicables en matière de vente d’actifs. La Cour a toutefois précisé que la relation de la société vis-à-vis l’associé dans le contexte de cette affaire s’apparentait beaucoup plus à celle entre un employeur et son employé que celle propre à une vente d’entreprise entre un vendeur et son acheteur où celui qui s’oblige retire un avantage pécuniaire important lors de la signature du contrat comportant une clause restrictive de commerce5.
Au terme de son analyse, la Cour a déclaré invalide la clause de non-sollicitation de clientèle contenue au contrat de société en application de l’article 2089 du Code civil du Québec considérant que la durée d’application de cinq ans était déraisonnable à sa face même et que la clause limitait de façon inacceptable le droit du Défendeur d’exercer librement sa profession6.
La Cour supérieure a également décrété que la clause pénale paraissait abusive et déraisonnable à sa face même considérant la durée d’application et le montant en jeu. Le montant de 50 000 $ par infraction à la clause de non-sollicitation n’avait effectivement aucune commune mesure avec la perte réelle minimum de la Demanderesse. Considérant que cette clause était incorporée dans un contrat d’adhésion, la Cour l’a déclarée nulle et non exécutoire7.
De surcroît, la Cour a conclu que, même si la clause de non-sollicitation avait été valide, il n’y aurait eu aucune violation de cette clause par les Défendeurs puisqu’aucun acte d’une telle nature n’avait été prouvé8. Les six clients prétendument sollicités avaient d’ailleurs tous témoigné devant la Cour du fait qu’ils n’avaient pas été sollicités par les Défendeurs. La demande en justice de la Demanderesse a donc été rejetée.
La demande reconventionnelle en abus
La Cour supérieure a retenu d’abord que les faits et gestes commis par la Demanderesse dans le cadre des négociations ayant précédé l’institution des procédures ne constituaient pas une faute civile9. Toutefois, elle a conclu que la Demanderesse ne pouvait en toute conscience et en toute justice prendre les devants et poursuivre le Défendeur sur la base d’une clause de non-sollicitation aussi peu solide et sur la base d’une preuve aussi faible10.
La Cour a souligné le non-respect de la proportionnalité dans ce cas alors qu’il y avait une poursuite intentée d’une valeur de 300 000 $ pour protéger des intérêts qui n’en valaient que 1 500 $ par an11. La Cour a conclu que la Demanderesse savait pertinemment qu’en prenant une telle action, cela aurait pour effet de déstabiliser le Défendeur, lui causer un stress important et lui coûter énormément d’argent12. Cette légèreté blâmable a donc constitué aux yeux de la Cour une faute d’abus d’ester en justice13.
La Cour a donc accueilli partiellement la demande reconventionnelle des Défendeurs en ce qui a trait à la déclaration d’abus d’ester en justice et a condamné la Demanderesse à lui verser 50 000 $ à titre de remboursement partiel de ses honoraires d’avocats14.
Les leçons à tirer de cette décision
Cette décision récente et fort intéressante nous enseigne que les critères applicables aux clauses restrictives en matière d’emploi doivent également trouver application dans le cadre de toute relation où ces clauses ont pour effet de limiter sérieusement le droit d’une personne de travailler librement et de gagner sa vie. À la lumière de cette décision, toutes les sociétés de professionnels auraient tout intérêt à réviser et à tenir compte de ces critères dans la rédaction des clauses restrictives contenues à leur contrat de société afin d’éviter qu’elles soient éventuellement invalidées par un tribunal.
Cette décision rappelle également qu’une clause pénale contenue dans un contrat d’adhésion jugée abusive, quant aux dommages réellement subis, pourra être déclarée nulle et non exécutoire.
Qui plus est, il ressort clairement de cette décision qu’avant d’entamer toute procédure pour violation d’une clause restrictive, il est primordial de s’assurer que la clause invoquée est bel et bien valide et applicable et d’avoir des preuves tangibles de la violation alléguée. De plus, le recours doit être instruit en respectant le principe de la proportionnalité. Sans quoi, le demandeur imprudent et téméraire pourra être jugé abusif et se voir condamner à dédommager le défendeur pour les honoraires de ses avocats, comme ce fut le cas dans cette affaire.
Mes Marianne Plamondon et Geneviève Plante remercient Alexandra Dorval, étudiante en droit, pour sa contribution à cet article.
1 Mazars Harel Drouin c. Plourde, 2019 QCCS 4617.
2 Ibid., par. 64.
3 Ibid., par. 74.
4 Ibid., par. 75.
5 Ibid., par. 84.
6 Ibid., par. 124.
7 Ibid., par. 160 et ss.
8 Ibid., par. 133 et ss.
9 Ibid., par. 172 et ss.
10 Ibid., par. 192.
11 Ibid., par. 194.
12 Ibid., par. 198.
13 Ibid., par. 201.
14 Ibid., par. 212.