Le 20 mars dernier, la Cour d’appel s’est prononcée sur la possibilité de publier une ordonnance de type Mareva au registre foncier1. Cet arrêt est d’intérêt particulier puisqu’il s’agit de la première reconnaissance des tribunaux québécois de la possibilité de publier une ordonnance de type Mareva.
Dans le cadre d’une affaire de fraude commerciale où des injonctions de type Anton Piller, Mareva, Norwich et des saisies avant jugement avaient préalablement été émises, les appelantes ont appris qu’un des intimés visés par une ordonnance de type Mareva était propriétaire d’un immeuble dont elles ignoraient l’existence et qui n’était ainsi pas spécifiquement visé par les ordonnances de saisies déjà obtenues. Les appelantes ont allégué que l’intimé en question s’apprêtait à céder cet immeuble malgré l’ordonnance de type Mareva rendue contre lui.
À titre de rappel, mentionnons que, contrairement à la saisie avant jugement qui vise des actifs précis, l’ordonnance de type Mareva est une injonction visant un défendeur et lui enjoignant de ne pas se départir de ses actifs, peu importe où ils se trouvent. Elle permet par ailleurs le gel des actifs du défendeur, que ceux-ci se retrouvent entre les mains du défendeur ou d’un tiers, afin d’en empêcher la disparition. En ce sens, l’ordonnance de type Mareva présente des similitudes avec la saisie avant jugement bien que, comme la Cour d’appel le rappelle, les deux se distinguent par le caractère réel de la saisie avant jugement, ce qui n’est pas le cas de l’ordonnance de type Mareva2.
En première instance, les appelantes ont donc demandé à la Cour supérieure d’ordonner à tout officier de la publicité des droits de toute circonscription foncière du Québec de publier toute ordonnance de gel d’actifs rendue dans le dossier sur tout immeuble dont les intimés sont directement ou indirectement propriétaires. La Cour supérieure a rejeté cette demande, insistant sur le caractère personnel de l’ordonnance de type Mareva. En effet, la Cour supérieure a jugé que l’ordonnance de type Mareva étant de nature personnelle, elle ne peut pas être soumise à la publication en vertu des articles 2938 et 2939 du Code civil du Québec (C.c.Q.).
Se fondant sur les arrêts Aetna Financial Services c. Feigelman3 et Empire Life Insurance Company c. Thibault4, ainsi que sur la jurisprudence de la Cour d’appel sur l’article 2966 C.c.Q. qui permet la préinscription des demandes en justice concernant les droits réels, le juge de première instance a conclu que l’ordonnance de type Mareva n’est pas sujette à publication en vertu de l’article 2939 C.c.Q. qui permet la publication d’autres types d’ordonnance.
Les appelantes ont donc saisi la Cour d’appel de la question.
Dans son jugement, la Cour d’appel rappelle que l’ordonnance de type Mareva ne crée pas de droits en faveur de la partie qui l’obtient, mais qu’elle a des effets indirects sur les biens de la personne qu’elle vise et à l’égard des tiers susceptibles d’acquérir ces biens5. En effet, l’ordonnance de type Mareva, tout comme la saisie avant jugement, établit des restrictions vis-à-vis du droit de disposer d’un bien.
L’article 2939 C.c.Q. indique que « les restrictions au droit de disposer qui ne sont pas purement personnelles […] sont aussi soumises ou admises à la publicité […] »6.
En analysant le libellé de l’article 2939 C.c.Q., la Cour d’appel rappelle que, contrairement à l’analyse effectuée par le juge de première instance, il n’est pas pertinent de s’attarder à la nature du recours des appelantes afin de s’assurer que les conditions de l’article 2939 C.c.Q. sont satisfaites. En effet, seule la qualification de la restriction importe, et celle-ci ne peut être purement personnelle7.
La Cour conclut ainsi que :
« [L]’ordonnance de type Mareva n’est pas purement personnelle aux appelantes, puisqu’elle affecte non seulement les intimés nommément visés, mais aussi tout acquéreur éventuel ayant connaissance de l’ordonnance, donc par ricochet les biens des intimés qui sont par son effet “gelés”. »8
Ainsi, conformément à l’article 2939 C.c.Q., l’ordonnance de type Mareva n’est pas soumise à la publicité, mais elle peut y être admise9. Elle pourra donc être publiée, et ce, sans avoir obtenu l’autorisation préalable du tribunal. De cette façon, l’ordonnance deviendra opposable aux tiers et, en l’espèce, aux acquéreurs intéressés par l’immeuble que l’intimé cherche à céder en violation de l’ordonnance Mareva émise contre lui.
L’ordonnance de type Mareva empêchant la partie qui en fait l’objet de vendre ses biens meubles et immeubles, elle devrait pouvoir également empêcher les tiers à participer à la vente des biens de la partie visée par l’ordonnance. Il appert donc que l’arrêt de la Cour d’appel contribuera à accroître l’utilité et l’efficacité de ce type d’ordonnance puisqu’il sera loisible à la partie qui l’obtient de la publier de plein droit au registre foncier.
1 2020 QCCA 462 [Jugement].
2 Para. 22 du Jugement.
3 Aetna Financial Services c. Feigelman, [1985] 1 R.C.S. 2.
4 Empire Life Insurance Company c. Thibault, 2008 QCCA 1975.
5 Para. 20 du Jugement.
6 Art. 2939 C.c.Q.
7 Para. 35 du Jugement.
8 Para. 36 du Jugement.
9 Para. 37 du Jugement.