Déclaration mensongère à la CNESST : la cour condamne un travailleur

23 octobre 2024

Il est bien connu qu’un travailleur du Québec victime d’une lésion professionnelle peut, en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la « LATMP »), bénéficier d’une indemnité de remplacement du revenu de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») s’il devient incapable d’exercer son emploi en raison de cette lésion, et ce, peu importe à qui incombe la responsabilité de celle-ci.

En vertu de ce régime, le travailleur est présumé incapable d’exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n’est pas consolidée. Dès lors qu’elle est consolidée et que le travailleur ne conserve aucune limitation fonctionnelle, celui-ci doit en aviser la CNESST. La plupart du temps, ceci marque également la fin du droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Par ailleurs, de manière plus générale, la LATMP contraint le travailleur à informer la CNESST de tout changement à sa situation qui pourrait avoir une incidence sur les droits qui lui sont conférés par la loi, incluant le montant d’une indemnité.

Qu’en est-il toutefois du travailleur qui apprend de son médecin que sa lésion est consolidée et qui reprend le travail chez son employeur ou chez un nouvel employeur, mais qui fait défaut d’en aviser la CNESST immédiatement? D’abord, la CNESST pourrait réclamer le montant de l’indemnité versée en trop au travailleur. Mais ce travailleur pourrait-il être autrement sanctionné?

La réponse est oui. Les fausses déclarations d’un travailleur, ou l’omission de ce dernier d’informer la CNESST des changements à sa situation, peuvent donner lieu à des poursuites pénales. La LATMP impose des obligations strictes aux bénéficiaires d’indemnités, notamment en matière de transparence et d’information, et prévoit des amendes applicables en cas d’infraction à ces obligations variant entre 1 000 $ et 10 000 $.

Une enquête pénale peut être réalisée par les enquêteurs de la Direction des enquêtes et de la lutte contre la malversation de la CNESST, qui possèdent de larges pouvoirs afin de découvrir la vérité. Ces enquêtes sont déclenchées notamment à la suite d’une dénonciation ou par une initiative interne.

Bien que ces dispositions pénales ne soient pas nouvelles, les tribunaux ne sont pas souvent saisis de ce type de dossier et n’avaient pas examiné ces questions depuis un certain temps. Une décision récente, rendue le 21 juin 2024 par la Cour du Québec dans l’affaire Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Leblanc, illustre bien certaines conséquences pouvant découler de fausses déclarations faites par un travailleur à la CNESST.

L’affaire récente CNESST c. Leblanc

Dans cette affaire, un travailleur est déclaré coupable de trois chefs d’accusation pour avoir omis d’informer sans délai la CNESST d’un changement à sa situation pouvant avoir une incidence sur son droit à une indemnité de remplacement du revenu ainsi que pour avoir fait de fausses déclarations.

Après s’être blessé sur son lieu de travail, le travailleur a bénéficié d’indemnités de remplacement du revenu par le biais du régime de la LATMP. Le travailleur a repris le travail sans en aviser la CNESST à deux reprises en plus d’avoir fait trois fausses déclarations aux agents d’indemnisation de la CNESST en prétendant être en arrêt de travail. Il percevait donc des indemnités de remplacement de revenu alors qu’il recevait au même moment un revenu d’emploi. Ce sont les conséquences d’une fausse déclaration à la CNESST qui retiennent particulièrement notre attention.

Les deux premières accusations portent sur les fausses déclarations qu’aurait faites le travailleur à la CNESST, affirmant qu’il ne travaillait pas et qu’il en était incapable. La CNESST, dans son rôle de poursuivante, devait démontrer que le défendeur avait fait une déclaration et que celle-ci était mensongère. La cour retient que le travailleur avait effectivement commencé à travailler pour un nouvel employeur et qu’il a fait une déclaration à l’effet contraire à un agent de la CNESST. Ce faisant, la cour considère que les éléments essentiels liés à l’infraction sont prouvés hors de tout doute raisonnable.

La troisième accusation reproche au travailleur d’avoir omis d’informer sans délai la CNESST de son nouvel emploi. En effet, puisqu’il perçoit une indemnité de remplacement de revenu, recevoir un salaire aurait normalement dû entraîner des conséquences sur le montant de cette indemnité. La poursuivante devait ainsi démontrer que le travailleur n’a pas avisé la CNESST de son nouvel emploi alors qu’il recevait des indemnités en vertu de la LATMP. La cour conclut que la poursuivante établit ces éléments hors de tout doute raisonnable.

Notons qu’une partie de la preuve administrée à l’audience provenait du compte Facebook du travailleur, qui y avait publié avoir changé d’employeur à deux reprises pendant la période pertinente.

Quelques précédents d’intérêt

L’infraction prévue à l’article 463 de la LATMP peut être commise par un travailleur soit en agissant dans le but d’obtenir un avantage dont une personne sait ne pas avoir droit, soit en omettant d’agir pour atteindre le même but.

Dans l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail c. St-Pierre, le défendeur est accusé d’avoir omis de déclarer à la CNESST un changement à sa situation. La cour précise que la poursuivante doit prouver une intention malhonnête, une volonté d’induire en erreur ou de tromper. La déclaration ne doit pas être inexacte, elle doit être clairement fausse, impliquant que le défendeur était conscient de sa tromperie. En outre, la cour considère qu’il est essentiel d’établir, au-delà d’un acte volontaire de l’accusé, un état d’esprit qui démontre une intention de se soustraire à la LATMP ou de la contourner. Les tribunaux ont majoritairement statué que cette infraction exige la preuve d’une intention objective, c’est-à-dire que le résultat obtenu est celui qu’une personne raisonnable aurait perçu comme étant la conséquence normale de ses actes.

Dans l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Seymour, le défendeur, peu de temps après son absence du travail, a offert de l’aide à des amis dans leurs activités de démarrage d’entreprise à raison d’environ dix heures par mois et sans compensation financière. La cour considère que, bien que ce travail soit limité dans le temps, il fournissait, au bénéfice de l’entreprise, une activité dont cette dernière profitait. L’accusation à laquelle fait face le travailleur est de n’avoir pas déclaré à la CNESST qu’il travaillait tout en touchant des indemnités, ce qui constitue une obligation en vertu de la LATMP.

Selon le tribunal saisi de ce dossier, il est possible qu’une activité purement bénévole n’influe pas sur le droit de recevoir une indemnité ou sur le montant de celle-ci. Cependant, la simple possibilité que cela puisse entraîner des répercussions oblige le bénéficiaire à en informer la CNESST. Pour le tribunal, le travailleur n’a pas à juger de la pertinence ou de l’importance des changements dans sa situation.

Les obligations envers la CNESST

La décision dans l’affaire récente CNESST c. Leblanc rappelle que les travailleurs qui bénéficient d’indemnités de remplacement du revenu ont des obligations de divulgation envers la CNESST et qu’ils doivent faire preuve de transparence quant à l’évolution de leur condition médicale. Les conséquences du non-respect de ces obligations peuvent avoir des implications pénales importantes pour les travailleurs récalcitrants.

Précisons finalement que les employeurs ont cette même obligation d’informer sans délai la CNESST du retour au travail de leurs travailleurs suivant une lésion professionnelle. Le défaut de respecter cette exigence peut également mener à des accusations pénales similaires à celles mentionnées précédemment.

Si vous avez des questions sur les conséquences d’une fausse déclaration à la CNESST, communiquez avec un membre de notre groupe de droit du travail et de l’emploi pour en apprendre davantage.

Les auteurs tiennent à remercier Andréa Nicolò, étudiante en droit, pour sa précieuse contribution à cet article.