Dans le cadre du processus d’achat d’une entreprise, que ce soit par voie d’acquisition d’actions ou d’actifs, l’acquéreur bien avisé voudra procéder à la vérification diligente des différents enjeux juridiques, comptables et opérationnels de l’entreprise convoitée. Au terme de cette période de vérification, l’acquéreur aura alors une meilleure compréhension des risques reliés à la transaction et pourra négocier auprès du vendeur quant aux mécanismes permettant de mitiger les risques soulevés.
Cette gestion du risque devient encore plus importante pour l’acquéreur dans la mesure ou une partie substantielle du prix d’achat est attribuée à un actif en particulier, soit un client, un fournisseur, un bien ou un contrat spécifique comme ce fut le cas dans les affaires 7006098 Canada inc. c. Sobeys Canada inc.1 (« décision Sobeys ») et 7006098 Canada inc. c. Leclerc2 (« décision Leclerc ») que nous commenterons ci-après.
En effet, certains contrats peuvent prévoir des modalités particulières de résiliation en cas de cession des droits sans le consentement préalable du cocontractant. L’acquisition par un tiers des droits dans un contrat de service peut également comporter un risque non négligeable considérant le régime spécifique et simplifié de résiliation prévu au Code civil du Québec (« C.c.Q. »). En effet, ce régime permet au client de résilier unilatéralement le contrat sans devoir démontrer une faute de la part du prestataire de service ou de l’entrepreneur. Dans un tel cas, le client ne sera tenu qu’au paiement de la valeur des travaux prévus au contrat qui sont déjà exécutés.
C’est donc dire que dans le cadre de l’acquisition d’actifs visant notamment les droits d’un vendeur dans un contrat de service, l’acquéreur pourrait se retrouver à payer une somme considérable pour un contrat pouvant faire l’objet d’une résiliation ultérieure. Ce fut malheureusement la situation ayant donné lieu à la décision Sobeys et la décision Leclerc.
Le 14 juin 2016, la société 7006098 Canada inc. (« 6098 ») a acquis les actifs de l’entreprise individuelle de M. Steve Leclerc (« Leclerc »), ce qui comprenait principalement de l’équipement roulant pour le déneigement et les droits dans un contrat de déneigement (le « Contrat ») intervenu entre Leclerc et Sobeys Canada inc. (« Sobeys »). En l’espèce, le contrat d’achat-vente d’actifs ne prévoyait aucune clause d’ajustement du prix d’achat en cas de résiliation sans motif du Contrat.
Le 13 septembre 2016, Sobeys a transmis un avis de résiliation du Contrat sans motif à 6098, précisant qu’en raison de la vente de son immeuble, les services de déneigement n’étaient plus requis.
Suivant cette résiliation, 6098 intente deux recours distincts, soit un recours en dommages contre Sobeys, dans lequel elle réclame notamment le coût d’acquisition du Contrat et d’une pelle mécanique, ainsi qu’un recours contre Leclerc pour le montant payé pour l’acquisition du Contrat, soit 75 000 $.
Dans la décision Leclerc, la Cour du Québec rejette le recours au stade d’une demande en irrecevabilité, étant d’avis que le recours intenté est irrecevable et manifestement mal fondé. La Cour du Québec conclut que le défendeur Leclerc n’a commis aucune faute et que sa responsabilité ne peut être retenue en raison de la résiliation postérieure à la vente du Contrat par Sobeys. Leclerc a respecté son obligation de délivrance du contrat de déneigement et rien ne peut lui être reproché à cet égard. 6098 aurait dû agir autrement afin de protéger ses intérêts. Autrement dit, le contrat d’achat-vente aurait pu prévoir un mécanisme de réduction du prix d’achat advenant la résiliation du contrat de service par Sobeys.
Quant au recours intenté contre Sobeys, la demanderesse 6098 s’est désistée de sa réclamation le matin même du procès. Toutefois, Sobeys a maintenu sa demande reconventionnelle en abus et en dommages pour les honoraires extrajudiciaires engagés.
Malgré que 6098 ait subi une perte monétaire qu’elle ne pourra récupérer, soit le coût d’acquisition du Contrat, rien n’empêchait Sobeys de résilier le Contrat en vertu de l’article 2125 C.c.Q.
En effet, le Contrat ne prévoyait aucune clause écartant l’application des articles 2125 et 2129 C.c.Q. Quant à la question visant à déterminer si l’acquisition d’un contrat représente une dépense antérieure à l’avis de résiliation pouvant bénéficier de l’application de l’article 2129 C.c.Q., la Cour supérieure répond par la négative et précise :
[63] Le coût d’acquisition du contrat que Leclerc avait initialement conclu avec Sobeys ne constitue pas une dépense engendrée dans le cadre ou en vue de l’exécution du contrat de déneigement et il ne peut être indemnisable en vertu de l’article 2129 C.c.Q. Sobeys est un tiers par rapport à cette entente et elle n’a aucune obligation ou responsabilité à l’endroit de 098 qui pourrait en découler. 098 a acquis les droits de Leclerc, mais elle ne bénéficie pas de droits additionnels à ceux que Leclerc avait en vertu du contrat conclu avec Sobeys.
Finalement, la Cour supérieure conclut dans sa décision que la demande de 6098 était abusive et téméraire, que Sobeys avait le droit de résilier le contrat de service de façon unilatérale et que Sobeys n’était pas tenue d’indemniser 6098 à cet égard. La Cour a condamné 6098 au paiement partiel des honoraires d’avocats engendrés par Sobeys.
En somme, lorsqu’un acquéreur identifie un risque à la suite de sa vérification diligente, ce risque doit faire l’objet de certaines mesures de mitigation afin d’éviter une situation semblable à celle des décisions commentées ci-dessus. Parmi les solutions possibles, l’acquéreur aurait pu réclamer une clause d’ajustement du prix d’achat dans le contrat d’achat-vente d’actifs en cas de résiliation anticipée par le client. Aussi, l’acquéreur aurait pu exiger la négociation d’un nouveau contrat avec le client à sa pleine satisfaction. Bref, une fois le risque identifié, il faudra s’assurer de le gérer adéquatement selon les circonstances, sans quoi les répercutions monétaires pourront être considérables pour l’acquéreur.
Les auteurs tiennent à remercier Raphaëlle Renzo-Gaudet pour sa participation.
1 2020 QCCS 897.
2 2019 QCCQ 6309.