Recours collectifs et Loi sur les valeurs mobilières

La Cour d’appel confirme le droit de porter en appel une décision autorisant l’exercice de recours en dommages aux termes de la Loi sur les valeurs mobilières même si le recours visé est un recours collectif.

Le 17 juillet 2013, la Cour d’appel a rendu un arrêt fort attendu dans l’affaire Theratechnologies inc. c. 121851 Canada inc., 2013 QCCA 1256. Cette affaire posait, pour la première fois, la question du droit d’appel des intimés à une requête pour autorisation d’exercer un recours collectif mettant en cause le nouveau régime de responsabilité civile de la Loi sur les valeurs mobilières1 (la « LVM »).

La Cour d’appel a établi des principes novateurs concernant le droit d’appel des intimés au stade de l’autorisation d’exercer un recours collectif et l’inter­action entre les critères d’autorisation d’un recours collectif, prévus à l’article 1003 du Code de procédure civile (« C.p.c. »), et l’autorisation préalable requise du tribunal pour instituer un recours en dommages contre un émetteur assujetti dans le marché secondaire en vertu de l’article 225.4 de la LVM.

Les faits

Theratechnologies inc. (« Thera »), une société publique inscrite à la bourse de Toronto, développe et commercialise des produits thérapeutiques. Dans le cadre du processus d’approbation d’un nouveau médicament, plusieurs publications et échanges ont eu lieu entre Thera et la Food and Drug Administration (« FDA ») aux États-Unis. Dans la foulée d’un de ces échanges, des entreprises de cotation ont publicisé la crainte que le nouveau médicament augmente les risques de diabète, ce qui a entraîné une chute momentanée du titre boursier de Thera. À ce moment, 121851 Canada inc. (l’« Actionnaire ») a vendu ses actions de Thera et a essuyé une perte importante.

Alléguant que Thera a fait défaut de divulguer un « changement important » à titre d’émetteur assujetti selon la LVM, l’Actionnaire a entrepris un recours collectif contre Thera lui reprochant un manquement à ses obligations d’information continue.

Le nouveau médicament de Thera a éventuellement été approuvé par les autorités compétentes, et commercialisé.

Le débat en Cour supérieure

L’Actionnaire a initialement sollicité l’autorisation d’exercer un recours collectif en vertu des articles 1002 C.p.c. et suivants seulement. Thera a alors présenté une requête en irrecevabilité au motif que l’Actionnaire n’avait pas sollicité ni obtenu l’autorisation préalable prévue à l’article 225.4 LVM, condition essentielle pour entreprendre un tel recours en dommages.

La requête pour autorisation d’exercer le recours collectif a alors été amendée afin de solliciter cette autorisation, de sorte que l’Actionnaire recherchait en première instance à la fois l’autorisation préalable d’exercer le recours en dommages sous l’égide de la LVM, de même que l’autorisation d’exercer le recours collectif.

À l’occasion d’un seul jugement, le juge Marc-André Blanchard s’est prononcé sur ces deux demandes et a autorisé le recours en dommages en vertu de la LVM ainsi que l’exercice du recours collectif2. En effet, le juge Blanchard a estimé que le recours proposé présentait une « possibilité raisonnable d’avoir gain de cause », conformément au test de l’article 225.4 LVM, et a jugé que les quatre critères d’autorisation d’exercer un recours collectif de l’article 1003 C.p.c. étaient satisfaits.

L’autorisation d’en appeler

En mars 2012, Thera a présenté une requête pour permission d’appeler du jugement de la Cour supérieure. Thera a pris soin de préciser qu’elle demandait uniquement la permission d’en appeler quant au premier volet du jugement du juge Blanchard, à savoir l’autorisation d’intenter une action en dommages en vertu de l’article 225.4 LVM.

Le juge Morissette de la Cour d’appel, siégeant comme juge des requêtes, et non sans soulever les questions intéressantes et inédites soulevées par l’appel proposé, a déféré la requête pour permission d’appeler à une formation de trois juges de la Cour d’appel3.

La Cour d’appel a ainsi été appelée à se prononcer tant sur la question de l’existence du droit d’appel et le fondement de la requête pour permission d’appeler que sur le fondement de l’appel.

L’arrêt de la Cour d’appel

L’arrêt de la Cour d’appel, rendu sous la plume du juge Gascon, est articulé en fonction de deux thèmes distincts : l’existence du droit d’appel et le fondement de l’appel.

L’existence du droit d’appel

Thera reconnaissait que l’article 1010 C.p.c. ne permet pas l’appel de la décision autorisant l’exercice du recours collectif4. Les prétentions de Thera étaient limitées à la décision autorisant l’exercice du recours en dommages en vertu de la LVM.

Après une analyse du nouveau régime des articles 225 LVM et suivants, la Cour d’appel a indiqué que l’autorisation d’exercer un recours collectif et l’autorisation d’exercer un recours en dommages en vertu de la LVM sont des mécanismes distincts qui assurent des fins différentes. La première autorisation vise à écarter les recours opportunistes où la bonne foi fait défaut et où la preuve du manquement reproché n’est pas raisonnablement établie, alors que la seconde vise à assurer la qualité du syllogisme juridique proposé par un fardeau de démonstration et non de preuve.

Il s’ensuit que, au chapitre de sa raison d’être, le mécanisme d’autorisation prévu à l’art. 225.4 LVM se distingue de celui prévu au Code de procédure civile en matière de recours collectifs.

En l’absence d’indication à la LVM voulant qu’une décision autorisant un recours en dommages soit sans appel, et contrairement au régime applicable en vertu de l’article 1010 C.p.c. prohibant en principe l’appel d’un jugement au stade de l’autorisation d’exercer un recours collectif, la Cour d’appel a opiné que l’appel d’une décision rendue en vertu de la LVM est assujetti aux règles de l’appel d’un jugement interlocutoire conformé­ment aux articles 29 et 511 C.p.c. La Cour d’appel a souligné aussi qu’une telle approche est conséquente avec le droit en vigueur dans les autres provinces canadiennes.

Ainsi, la décision autorisant un recours en dommages en vertu de la LVM, bien que rendue à l’occasion d’une décision autorisant un recours collectif, est assujettie à appel sur permission dans la mesure où les exigences des articles 29 et 511 C.p.c. sont satisfaites. Compte tenu du régime de la LVM, la jurisprudence de la Cour portant sur l’absence de droit d’appel en matière de recours collectifs, ainsi que la jurisprudence relative aux jugements interlocutoires prononcés avant celui qui autorise l’exercice d’un recours collectif, n’ont donc aucune application.

Dans un tel cas, même si le jugement n’est pas appelable sur l’aspect qui autorise l’exercice du recours collectif, des solutions existent. […] [D]ans le contexte particulier qui lui est propre, le jugement qui accorde l’autorisation d’intenter l’action en dommages prévue à l’art. 225.4 LVM est un jugement interlocutoire qui ordonne que soit faite une chose à laquelle le jugement final ne pourra remédier. […]

En fonction des circonstances en présence, la Cour d’appel a retenu que la question que soulève l’appel était nouvelle et inédite et que le système judiciaire aurait avantage à connaître la réponse de la Cour au problème posé. La Cour d’appel a aussi jugé que le jugement de la Cour supérieure ordonnait que soit faite une chose à laquelle le jugement final ne pourra remédier.

Conséquemment, la requête pour permission d’appeler de Thera a été accordée. La Cour d’appel a néanmoins précisé que toute requête pour permission d’appeler d’un jugement rendu aux termes de l’article 225.4 LVM ne satisferait pas nécessairement le test applicable, chaque cas étant un cas d’espèce.

Le fondement de l’appel

Quant au fondement de l’appel, Thera avait soulevé des erreurs d’appréciation du fardeau applicable pour obtenir l’autorisation d’exercer un recours en dommages en vertu de l’article 225.4 LVM et quant à la satisfaction des critères de cette disposition.

Eu égard au fardeau applicable, la Cour d’appel a souligné qu’il n’y a pas d’adéquation entre les critères de l’article 1003 C.p.c. et ceux de l’article 225.4 LVM alors que le cadre d’analyse de ce dernier est plus exigeant que celui pour autoriser un recours collectif.

Ce mécanisme de filtrage ne vise donc pas à écarter uniquement les recours en apparence frivoles ou sans fondement. Il tend aussi à écarter un recours qui, en définitive, n’a pas de chance raisonnable de succès.

Néanmoins, le mécanisme d’autorisation d’un recours en dommages sous la LVM ne requiert pas d’imposer une analyse de la nature de celle que doit faire le juge du fond. Le requérant devra démontrer être de bonne foi et présenter une « possibilité raisonnable » d’avoir gain de cause en fonction d’une appréciation sommaire du droit d’action revendiqué. Pour y parvenir, un requérant devra présenter une certaine preuve pouvant varier selon les circonstances en présence. Par ailleurs, le fait que le recours proposé en vertu de la LVM soit entrepris par l’entremise d’un recours collectif n’altère en rien ce fardeau.

Quant à l’application des critères, la Cour d’appel a estimé que la Cour supérieure n’avait commis aucune erreur et s’était bien dirigée en fonction du droit applicable. La Cour d’appel a mentionné à cet égard que le juge de première instance n’avait pas à trancher immédiatement ou de façon définitive les questions en litige.

La Cour d’appel a conclu ainsi que la Cour supérieure n’avait pas erré en accordant l’autorisation d’intenter le recours envisagé. Bien que la permission d’appeler ait été accueillie, l’appel de Thera a donc été rejeté.

Conclusion

En outre de ces enseignements quant à l’applicabilité du régime de la LVM, cet arrêt de la Cour d’appel est d’un intérêt manifeste quant aux tenants et aboutissants du droit d’appel d’une décision accessoire ou parallèle à celle relative à l’autorisation d’exercer un recours collectif.

L’affaire Thera s’inscrit dans une certaine jurisprudence de la Cour d’appel voulant que les jugements rendus à l’extérieur du cadre procédural du recours collectif et ne s’attardant pas au droit du requérant d’instituer un tel recours peuvent, en certaines circonstances, échapper à la règle de l’article 1010 C.p.c. et faire l’objet d’un appel suivant les règles usuelles.


1 L.R.Q., c. V-1.1.
2 2012 QCCS 699.
3 En application du cinquième alinéa de l’article 509 C.p.c., 2012 QCCA 1489.
4 Pour une étude plus approfondie du droit d’appel en matière de recours collectif, voir : Chantal Chatelain et Vincent de l’Étoile, « Recours collectif : Géométrie du droit d’appel », Colloque national sur les recours collectifs, Développements récents au Québec, au Canada et aux États-Unis, Service de la formation continue, Barreau du Québec, Volume 362, 2013, p. 109.

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