Quelques actualités récentes en matière de santé et de sécurité au travail

Conflit jurisprudentiel en vue sur la portée rétroactive de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail 

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (LQ 2021, c. 27) (la « LMRSST »), le 6 octobre 2021, le Tribunal administratif du travail (le « TAT ») a eu à se prononcer à plusieurs reprises sur l’applicabilité des nouvelles dispositions qui y sont prévues, dans le cas de réclamations soumises avant son entrée en vigueur.

Rappelons que bien que la LMRSST prévoie des dates de prise d’effet pour certaines dispositions spécifiques dans ses dispositions transitoires (par exemple, les nouvelles dispositions relatives aux maladies professionnelles oncologiques s’appliquent uniquement aux réclamations déposées après l’entrée en vigueur de ces dispositions), elle est silencieuse dans plusieurs autres cas, laissant donc aux tribunaux la tâche d’analyser l’intention du législateur à ce sujet.

Il s’agit d’une question d’intérêt, puisqu’il s’écoulera souvent plusieurs mois, voire des années avant qu’un litige soit entendu par le TAT. Il n’est actuellement pas rare que les faits à l’origine des litiges soient antérieurs au 6 octobre 2021, soulevant donc la question de savoir si les nouvelles dispositions prévues à la LMRSST peuvent s’appliquer à des faits survenus antérieurement.

Alors que dans la plupart des décisions rendues à ce sujet depuis 20221, les décideurs étaient d’avis que les nouvelles dispositions pouvaient s’appliquer à des réclamations déposées avant le 6 octobre 2021, dans la mesure où les nouvelles dispositions n’apportaient pas de modifications substantielles par rapport aux anciennes règles, il semble qu’un nouveau courant jurisprudentiel allant dans le sens contraire est en développement et prône plutôt le fait qu’il n’y a pas lieu de s’écarter du principe selon lequel en l’absence d’une disposition expresse prévoyant l’application rétroactive d’une loi, les dispositions de cette loi auront un effet pour le futur uniquement2.

Notons que l’application de la LMRSST plutôt que des anciennes dispositions pourra avoir des retombées réelles et significatives dans certains dossiers.

On pourrait notamment penser à une demande au Bureau d’évaluation médicale (le « BEM ») déposée avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions relatives au BEM, soit le 6 octobre 2022, lesquelles prévoient qu’un membre du BEM qui se prononce sur la date de consolidation d’une lésion professionnelle doit également se prononcer sur l’atteinte permanente ainsi que les limitations fonctionnelles du travailleur lorsque cette atteinte et ces limitations n’ont pas été déterminées. À défaut de le faire, il doit alors exposer les raisons médicales l’empêchant de se prononcer dans son avis.

Il sera donc intéressant de suivre l’évolution de cette jurisprudence, qui pourra avoir des répercussions sur les contestations des employeurs.

 

Fin des mesures d’assouplissement en lien avec la COVID-19

En réponse aux différentes vagues d’infection à la COVID-19 survenues dans les trois dernières années, la CNESST a dû effectuer une mise à jour constante de ses orientations en matière de prévention et d’indemnisation.

Parmi ces mises à jour, celle effectuée en mai 2021 prévoyait des assouplissements significatifs en matière d’imputation des coûts découlant de réclamations de travailleurs ayant contracté une infection à la COVID-19 au travail. Les coûts de ces réclamations étaient dès lors directement imputés à l’unité de classification dans laquelle l’employeur était classé plutôt qu’au dossier de l’employeur du travailleur indemnisé. De plus, les critères d’application pour une demande de transfert des coûts en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la « LATMP ») pour l’« employeur obéré injustement » étaient également ajustés, notamment en omettant l’obligation de faire la démonstration de la proportion significative des coûts.

De même, la CNESST implantait en janvier 2022 de nouveaux assouplissements, cette fois-ci au bénéfice des travailleurs. Les règles d’admissibilité pour une lésion professionnelle étaient révisées, et ce, principalement en raison de l’accès limité aux tests PCR. Alors qu’il était jusqu’alors nécessaire de soumettre un formulaire de réclamation accompagné de la preuve d’un résultat positif à un test de dépistage et de démontrer que le virus avait été contracté sur les lieux du travail (sous réserve d’une présomption à cet égard pour les travailleurs du réseau de la santé), la modification apportée prévoyait que l’exigence d’un résultat positif à un test PCR demeurait pour les travailleurs prioritaires, alors que pour tous les autres, la CNESST analysait l’admissibilité d’une réclamation pour une infection à la COVID-19 sur la base de la bonne foi du travailleur et de la confirmation d’une éclosion ou d’un contact en milieu de travail par son employeur.

Or, avec l’accalmie des derniers mois, la CNESST a tout récemment révisé de nouveau l’ensemble de ses orientations. D’abord, du côté de la prévention, plus aucune mesure de protection, comme le port du masque, le maintien d’une distance de 2 mètres entre les personnes dans les milieux de travail ainsi que les barrières physiques, ne demeure obligatoire. Celles-ci demeurent toutefois recommandées afin de prévenir les infections respiratoires de tout genre.

De plus, toutes les mesures d’assouplissement en lien avec la COVID-19 ont officiellement pris fin le 1er mars 2023.

Ceci implique d’abord que les travailleurs qui croient avoir contracté une infection de COVID-19 par le fait ou à l’occasion du travail doivent désormais produire une réclamation à la CNESST accompagnée d’une attestation médicale émise par un professionnel de la santé afin de confirmer le diagnostic, conformément aux règles prévues à la LATMP. Ces réclamations seront donc maintenant traitées de manière identique à tout autre type de lésion professionnelle. Ceci étant, notons que les travailleurs du réseau de la santé ont toujours l’obligation de fournir un résultat positif à un test de dépistage.

Pour les employeurs, la fin des mesures d’assouplissement emporte également la fin des mesures visant à faciliter les questions en matière d’imputation des coûts. Dans ce contexte, plus aucun transfert ne sera appliqué automatiquement pour les lésions professionnelles en lien avec la COVID-19. De plus, les orientations de la CNESST qui visaient à faciliter les transferts d’imputation en vertu de l’article 326 de la LATMP, par exemple, en cas d’impossibilité de procéder à une évaluation de poste de travail, d’annulation d’une expertise médicale ou de report d’une chirurgie, ne s’appliquent plus. Tout employeur devra également démontrer par une preuve prépondérante que le coût des prestations versées pour période donnée représente une proportion significative des coûts totaux, dont le seuil est normalement fixé à 20 % du total.

Dans ces circonstances, tout employeur devrait reprendre en main et effectuer une gestion proactive des dossiers de lésion professionnelle découlant d’une infection à la COVID-19, documenter adéquatement le dossier et effectuer en temps opportun les demandes de transfert d’imputation afin de maximiser les économies dans ces dossiers qui peuvent s’avérer coûteux.

Ceci étant, le Tribunal administratif du travail ayant réitéré à plusieurs reprises ne pas être lié par les directives et orientations internes de la CNESST, il sera intéressant de suivre l’évolution de la jurisprudence sur ces questions.

 

Encadrement du travail des mineurs : de nouvelles obligations en matière de santé et de sécurité au travail pour les employeurs

Le 28 mars 2023, le ministre du Travail, Jean Boulet, a présenté le projet de loi 19 portant sur l’encadrement du travail des enfants.

Bien que ce projet de loi propose des modifications plus substantielles à la Loi sur les normes du travail et à son règlement d’application, il est toutefois pertinent de noter que des modifications sont également proposées à la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

Plus spécifiquement, les programmes de prévention ou les plans d’action (dans le cas des entreprises comptant moins de 20 travailleurs) devraient dorénavant contenir une identification et une analyse des risques pouvant affecter particulièrement la santé et la sécurité des travailleurs âgés de 16 ans et moins.

Les comités de santé et de sécurité et les représentants en santé et en sécurité (ou l’agent de liaison en santé et en sécurité pour les employeurs comptant moins de 20 travailleurs) auraient également des responsabilités spécifiques en lien avec l’identification des risques pouvant affecter particulièrement les travailleurs âgés de 16 ans et moins.

Il est pertinent de noter qu’un des enjeux principaux à la base de la modernisation des dispositions législatives portant sur l’encadrement du travail des enfants est notamment la hausse importante des lésions professionnelles chez les travailleurs de moins de 18 ans depuis quelques années.

Le projet de loi 19 fait actuellement l’objet de consultations en commission parlementaire. Nous suivrons donc l’évolution de ces nouvelles dispositions avec attention.

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1 Voir Tadros et Bombardier inc. (Bombardier Aérospace), 2022 QCTAT 3528; Rona inc. et Pelchat, 2023 QCTAT 1557.
2 Voir la décision Letarte, 2023 QCTAT 464.

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