Pas de double compensation pendant la période estivale pour les enseignants ayant droit à une indemnité de remplacement du revenu

Le 30 mai 2019, l’honorable Suzanne Gagné de la Cour d’appel a rejeté la demande en permission d’appeler présentée par le Syndicat de l’enseignement de la région de Québec (SERQ), de la décision rendue le 28 mars 2019 par la Cour supérieure dans l’affaire Commission scolaire de la Capitale c. Ferland1

Le rejet de cette demande pour permission d’appeler met ainsi fin à la contestation qui découle initialement d’un grief déposé par le syndicat et dans lequel il soutenait que la Commission scolaire de la Capitale (Commission scolaire) ne versait pas, à une enseignante qui avait droit à une indemnité de remplacement du revenu (IRR) pendant la période estivale, l’équivalent des indemnités prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). 

Le syndicat soutenait essentiellement que la Commission scolaire devait verser à l’enseignante, en plus de son traitement en vertu de l’article 5-10.55 de l’Entente nationale, l’IRR versée à la Commission scolaire par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

L’article 5-10.55 de la convention collective, qui est au cœur de ce litige, se lit comme suit : 

5-10.55 

Tant et aussi longtemps qu’une enseignante ou un enseignant a droit à une indemnité de remplacement du revenu en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (RLRQ, chapitre A-3.001), mais au plus tard jusqu’à la date de consolidation de la lésion professionnelle, l’enseignante ou l’enseignant a droit au traitement qu’elle ou il recevrait si elle ou il était au travail sous réserve de ce qui suit. La détermination de son traitement brut imposable s’effectue de la façon suivante : la commission effectue l’équivalent de toutes les déductions requises par la loi et la convention s’il y a lieu; le traitement net ainsi obtenu est réduit de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ((RLRQ, chapitre A-3.001) et la différence est ramenée à un traitement brut imposable à partir duquel la commission effectue toutes les déductions, contributions et cotisations requises par la loi et la convention. 

Aux fins de l’application de la présente clause, le traitement est le traitement qu’elle ou il recevrait si elle ou il était au travail, à l’inclusion, le cas échéant, des primes pour disparités régionales de même que des suppléments annuels dans la mesure où la commission n’a pas nommé de remplaçante ou remplaçant pour la ou le titulaire de ces fonctions.

             (nos soulignements) 

En rejetant la demande pour permission d’appeler présentée par le syndicat, la Cour d’appel vient ainsi confirmer que le jugement rendu par la Cour supérieure, et qui appuie les prétentions de la Commission scolaire, ne contient aucune question devant être soumise à la Cour d’appel. L’article 5-10.55 de la convention collective ne permet donc pas à une enseignante régulière ou à un enseignant régulier de recevoir une IRR, en plus de son plein traitement. 

Les faits à l’origine du litige 

Une enseignante régulière à temps complet subit un accident de travail qui lui impose une absence de deux semaines. À son retour, alors que la lésion n’est pas consolidée par la CNESST, la Commission scolaire assigne temporairement l’enseignante à des tâches administratives, pour lesquelles elle reçoit son plein traitement. 

À l’arrivée de la période estivale, l’assignation temporaire de l’enseignante est suspendue pour l’été et est ensuite reprise pour la rentrée scolaire. 

Pendant l’été, la Commission scolaire verse à l’enseignante les IRR, en plus d’une somme additionnelle afin de s’assurer que l’enseignante reçoive l’entièreté de son salaire annuel qui restait dû, suite au calcul de l’ajustement de dix mois, prévu à l’article 6-8.01 de l’Entente nationale. Pendant cette même période, la CNESST a remboursé à l’employeur les IRR que celui-ci avait versées à la travailleuse. 

Par son grief, le syndicat soutient que, pendant la période estivale, alors que l’enseignante n’est pas au travail, la Commission scolaire doit lui verser, en sus de son traitement régulier, le plein montant du remboursement reçu de la CNESST pour cette période. 

La sentence arbitrale du 16 juillet 2018 

Dans sa sentence arbitrale, l’arbitre Gilles Ferland a décidé que les IRR reçues pendant la période estivale par une enseignante ou un enseignant ne sauraient être considérées comme étant une double compensation. 

Ainsi, une enseignante ou un enseignant pourrait recevoir à la fois son plein traitement ainsi que les IRR pour la même période. Pour appuyer son propos, l’arbitre Ferland mentionne 1) qu’il n’y a, selon lui, pas de rémunération pendant la période estivale et que la travailleuse n’est pas considérée au travail et 2) que l’IRR ne constitue pas de la rémunération, puisqu’elle est versée afin de compenser la perte de capacité de gagner un revenu. 

Ce faisant, il conclut que l’article 5-10.55 de la convention collective permet à la travailleuse de recevoir les IRR que la Commission scolaire a reçues de la CNESST, en plus de son traitement habituel. 

La décision de la Cour supérieure du 28 mars 2019 

La Commission scolaire s’est pourvue en contrôle judiciaire afin de faire annuler cette sentence arbitrale. 

Dans sa décision, le juge Gilles Blanchet procède à une analyse détaillée de la sentence arbitrale. Il mentionne d’abord que l’article 5-10.55 de la convention collective ne soulève, selon lui, aucune ambiguïté. Il poursuit en soulignant que cet article prévoit simplement et en termes clairs que la Commission scolaire doit verser à la travailleuse son traitement régulier pendant toute la durée de son invalidité. En contrepartie, la CNESST lui rembourse un montant correspondant à l’IRR qu’elle a fixée. 

Il précise que ce mécanisme, prévu par les parties à la convention collective, a pour objectif d’éviter au personnel enseignant l’incertitude et les délais inhérents au processus d’indemnisation de la CNESST en cas d’accident de travail ou de maladie professionnelle. Il rappelle d’ailleurs que ce mécanisme de versement est prévu à l’article 126 de la LATMP. 

Ainsi, selon le juge Blanchet, les articles 5-10.55 et 5-10.56 de la convention collective assurent à un enseignant en incapacité temporaire qu’il recevra, sans aucun délai, son plein traitement régulier, rien de moins, mais rien de plus. Le juge soumet que conclure autrement conduirait à un résultat absurde, à savoir que la travailleuse aurait reçu une double compensation dépassant ce à quoi elle aurait eu droit autrement. 

Il conclut donc que la Commission scolaire a respecté ses obligations d’accorder à la travailleuse le même traitement que si elle n’avait pas été victime d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle, comme le prévoit l’article 5-10.55. 

Pour ces raisons, il accueille le pourvoi en contrôle judiciaire de la Commission scolaire et annule la sentence arbitrale du 16 juillet 2018. 

Le rejet de la demande pour permission d’appeler 

Dans sa décision rejetant la demande pour permission d’appeler présentée par le syndicat, la juge Suzanne Gagné souligne que la décision rendue par la Cour supérieure ne contient aucune question justifiant l’intervention de la Cour d’appel. 

Dans sa demande, le syndicat soulevait notamment que le juge de première instance a erré dans la qualification qu’il a fait de la nature des IRR. Il reprochait entre autres au juge de première instance d’avoir considéré qu’une telle indemnité constitue un traitement, alors qu’elle vise plutôt à compenser la perte de capacité de gains. À ce sujet, la juge Suzanne Gagné réfère à différents extraits du jugement de la Cour supérieure afin de démontrer que ce n’est pas à cette conclusion qu’arrive le juge. Elle relève au passage que celui-ci affirme que la qualification de l’IRR n’est pas la question en litige. 

Ainsi, qu’il en soit venu à la conclusion qu’une IRR vise à compenser la perte de revenu ou qu’elle vise plutôt à compenser la perte de capacité de gains, le juge de première instance en serait arrivé à la même conclusion : les prétentions du syndicat mènent à un résultat absurde, qui permet à une enseignante ou à un enseignant d’obtenir une double compensation. 

Les répercussions de cette décision 

En rejetant la permission d’appeler de la décision de la Cour supérieure, la Cour d’appel met ainsi fin à un litige dont les répercussions auraient été importantes pour les commissions scolaires. 

En effet, dans l’éventualité où les prétentions du syndicat auraient été accueillies, une commission scolaire aurait eu à verser, à un enseignant recevant une IRR durant la période estivale, son plein traitement, sans toutefois recevoir ce que nous pourrions qualifier de remboursement de la CNESST pour la partie équivalant à l’IRR, cette partie étant également versée à l’enseignant. 

Cette décision vient actualiser et donner toute sa force à un courant jurisprudentiel qui remonte à plus de 25 ans, selon lequel le versement à un enseignant de son plein traitement, en plus de l’IRR, constitue une double compensation. 

Nous invitons ainsi les commissions scolaires à s’assurer que leur pratique actuelle ne permet pas une telle double compensation. Dans l’éventualité où ce serait le cas, il serait de bon aloi, que la commission scolaire fasse parvenir à l’association un avis écrit afin de l’informer de la modification qui sera ainsi apportée à sa façon de faire. 

Avec l’arrivée imminente de la période estivale, voilà donc une excellente nouvelle!


1 2019 QCCS 1093.

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