Municipalités et travaux additionnels : le formalisme s’impose!

Dans un arrêt prononcé le 11 janvier 2019, la Cour d’appel du Québec (Ville de Saguenay c. Construction Unibec inc., 2019 QCCA 38) réitère le principe selon lequel une municipalité s’exprime par résolution de son conseil ou par règlement, invitant ses cocontractants à la prudence lors de modifications à l’ouvrage ou d’imprévus de chantier. 

Dans cette affaire, la Ville de Saguenay avait accordé un contrat à l’entrepreneur général Construction Unibec inc. pour la construction d’un centre multifonctionnel au prix initial de 3 116 655,53 $. 

La forte participation anticipée pour la 18e édition de son Festival forestier amène la Ville, en cours d’exécution, à en profiter pour accroître la portée des travaux initialement projetés. 

Ces modifications consistent essentiellement à ramener la surface asphaltée à l’avant du bâtiment, à l’agrandir afin d’y recevoir un nouveau chapiteau à l’intention des festivaliers et à refaire le drainage du terrain. 

La Ville accepte l’ajustement du prix du contrat soumis par l’entrepreneur au montant de 148 588,71 $ (ci-après « l’Avenant de modification »), le tout appuyé par une résolution du conseil qui l’avait préalablement autorisée à le négocier jusqu’à un montant total de 201 102 $ avec allocation des fonds nécessaires. 

Mais voilà qu’en procédant à leur exécution, une quantité additionnelle de matériel d’exhaussement, prétendument imprévue par l’entrepreneur, s’avère nécessaire. 

Ce dernier et les professionnels de la Ville (Gémel inc.) conviennent verbalement, sans formalités, que ce matériel sera géré en « régie contrôlée », c’est-à-dire selon le coût du matériel et de la main-d’œuvre. 

Vous l’aurez deviné, la Ville refusa ultérieurement de payer cet excédent, s’en remettant strictement au coût prévu à l’Avenant de modification. 

De façon subsidiaire, elle appela Gémel en garantie pour l’en tenir indemne. 

En première instance, la Cour supérieure conclut que le matériel d’exhaussement était inclus à l’Avenant de modification, mais condamne malgré tout la Ville à l’excédent en se fondant sur l’engagement verbal souscrit par l’entremise de ses professionnels. L’appel en garantie de la Ville est toutefois rejeté, aucune faute n’étant retenue à leur endroit. 

La Cour d’appel retient pour sa part que le premier juge a commis une erreur de droit et une erreur manifeste et dominante dans l’appréciation de la preuve, en ce que : 

  • la modification du contrat de construction conclu entre la Ville et Unibec, sans recourir à une nouvelle demande de soumission, imposait le respect des conditions suivantes sous peine de nullité : 
    1. qu’elle constitue un accessoire au contrat principal;
    2. qu’elle n’en change pas la nature;
    3. qu’elle soit confirmée par résolution du conseil ou par règlement, étant acquis qu’un employé ne peut lier la municipalité. 
  • or en l’espèce, aucune de ces conditions n’est rencontrée; 
  • à tout événement, la preuve ne démontre pas l’existence d’un consentement verbal ou d’une corroboration d’un représentant de la Ville sur les coûts en « régie contrôlée » en sus de ceux prévus à l’Avenant de modification. 

Quant à l’application ou non des principes de restitution des prestations en cas de nullité d’un contrat (chaque partie devant remettre les biens reçus sans droit ou par erreur) et de l’enrichissement injustifié, la Cour : 

  • (restitution) s’en remet à sa décision dans l’arrêt Ville de Montréal c. Octane Stratégie inc., bien que celui-ci fera prochainement l’objet d’un jugement final de la Cour suprême du Canada (la Ville de Montréal a plaidé que la restitution était inapplicable aux contrats municipaux frappés de nullité afin d’éviter le contournement des lois d’adjudication applicables; 
  • (enrichissement injustifié) conclut que l’Avenant de modification scelle les droits des parties vis-à-vis les matériaux d’exhaussement, indistinctement d’une possible erreur de l’entrepreneur lors de sa soumission. 

La Cour d’appel rejette donc le recours de l’entrepreneur, n’estimant dès lors pas nécessaire de se prononcer sur l’appel en garantie introduit par la Ville contre Gémel. 

En conséquence, il demeure important pour l’entrepreneur de s’assurer que les modifications ou imprévus sont couverts par résolution du conseil ou par règlement, et ce, malgré les engagements informels et la volonté de veiller au bon déroulement du chantier, sous peine de ne pas recevoir le paiement correspondant.

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