Les limites au recours subrogatoire de l’assureur contre le manufacturier

La Cour d’appel, dans son récent arrêt CNH Canada Ltd. c. Promutuel Lac St-Pierre – Les Forges, société mutuelle d’assurances générales, 2015 QCCA 204, reconnaît que la subrogation de l’assureur et le recours subrogatoire en découlant contre le manufacturier, représenté en l’instance par Langlois Kronström Desjardins, est limité à l’intérêt qu’avait l’assuré dans le bien, sans égard à l’indemnité versée suite à la perte.

En août 2007, deux tracteurs agricoles stationnés côte à côte sont la proie des flammes. Un tracteur de marque Case, fabriqué par l’appelante, source de l’incendie, emporta la perte d’un tracteur de marque Fendt. Chacun des tracteurs était opéré par des entités distinctes, mais toute deux assurées par l’intimée Promutuel Lac St-Pierre – Les Forges, société mutuelle d’assurances générales (« Promutuel »). L’incendie entraîna la perte totale des deux tracteurs.

Élément fondamental au litige, le tracteur Case faisait l’objet d’un contrat de location, tandis que le tracteur Fendt était la propriété de son opérateur.

Suite à ces pertes, Promutuel indemnisa chacune de ses assurées pour la valeur totale de leur tracteur respectif.

Promutuel entreprit un recours subrogatoire unique pour la perte des deux tracteurs contre les appelantes, alléguant que le tracteur Case était affecté d’un vice caché à l’origine de la perte.

La Cour supérieure1 fit droit au recours de Promutuel dans son intégralité. La Cour conclut que la cause de l’incendie était attribuable à une défaillance électrique du tracteur Case et, appliquant le régime de la garantie de qualité à l’intégralité du recours, condamnait les appelantes à indemniser Promutuel des montants versés à ses assurées.

En appel, la Cour d’appel refusa de revisiter la conclusion du juge de première instance quant à la cause de l’incendie et maintenait la condamnation prononcée eu égard à la perte du tracteur Fendt. Le vice de fabrication du tracteur Case équivaut à une faute ayant causé cette perte et engage la responsabilité civile de CNH. Le recours subrogatoire de Promutuel pour cette perte est bien fondé.

Toutefois, il en est autrement pour la perte du tracteur Case, qui faisait l’objet d’un contrat de location. Selon l’analyse de la Cour, la nature des droits de l’assurée dans le bien ayant fait l’objet d’une prestation d’assurance revêt une importance fondamentale.

En l’espèce, la perte du tracteur Case résultant de son vice propre avait pour effet de mettre un terme au contrat de location, dont la perte devait échoir au locateur et non pas à l’assurée de Promutuel.

Pour la Cour d’appel, faisant droit à l’argument des appelantes, l’indemnisation pour la valeur du tracteur octroyée par Promutuel à son assurée dans ces circonstances ne pouvait justifier la subrogation alléguée :

[61] Cela dit, ni M. Lévesque ni JFL inc. n’étaient propriétaires du tracteur Case. La véritable perte subie est donc en relation avec le statut de M. Lévesque comme locataire, et pas en tant que propriétaire du tracteur Case.

[62] Cependant, cette partie de la réclamation de Promutuel contre les appelantes se fonde sur la prétention qu’elle était subrogée dans les droits de ses assurés et qu’elle a indemnisé M. Lévesque et JFL inc. « pour la perte de son tracteur » en fonction du contrat de vente à tempérament. […]

[…]

[64] Le juge aurait dû rejeter cette partie de la réclamation de Promutuel. Aucune indemnité d’assurance n’était due par Promutuel, car c’est le locateur qui était responsable de procurer la jouissance du bien loué. […]

La Cour d’appel concluait ainsi que Promutuel n’était pas obligée d’indemniser son assurée pour la perte du tracteur Case comme si elle en était propriétaire. En conséquence, elle nia le droit de subrogation de Promutuel.

L’analyse de la Cour d’appel permet de conclure que l’indemnisation par un assureur en regard d’une perte qui ne donnerait autrement pas naissance à un droit en faveur de l’assuré contre le tiers responsable ne saurait se qualifier d’indemnité au sens de l’article 2474 du Code civil du Québec.

L’arrêt CNH Canada Ltd. c. Promutuel Lac St-Pierre – Les Forges, société mutuelle d’assurances générales revêt une importance particulière en ce que la subrogation de l’assureur et le recours subrogatoire en découlant apparaissent désormais limités à la nature et l’étendue des droits qu’avait l’assurée dans le bien.

Cette décision est conséquente avec les décisions dans l’affaire Domtar2 qui avaient reconnu que le paiement d’une perte exclue de la couverture ne donnait pas naissance à la subrogation légale en faveur de l’assureur et que le défendeur au recours subrogatoire pouvait opposer l’absence ou l’irrégularité de la subrogation.

Les assureurs devront procéder à une analyse attentive avant de procéder à l’indemnisation de leurs assurés ou d’entreprendre un recours subrogatoire contre l’auteur de la perte.

Inversement, les défendeurs à un recours subrogatoire de l’assureur auront intérêt à examiner la nature des droits invoqués contre eux et la nature des droits qu’avait l’assuré dans le bien en litige.


1 Promutuel Lac St-Pierre – Les Forges, société mutuelle d’assurances générales c. CNH Canada ltée, 2012 QCCS 4437.
2 ABB inc. c. Domtar inc., 2005 QCCA 733, appel rejeté, [2007] 3 R.C.S. 461.

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