Les jeux sont faits quant à la liberté d’association des cadres de la Société des casinos du Québec

Le 5 novembre 2018, la Cour supérieure du Québec a décidé que l’exclusion des cadres du Code du travail (« Code »), en vertu de son article 1(l)1o, ne porte pas indûment atteinte à la liberté d’association garantie par la Charte canadienne des droits et libertés  Charte canadienne ») et la Charte des droits et libertés de la personne (« Charte québécoise ») et, par conséquent, est constitutionnellement applicable, valide et opérante.

Est ainsi infirmée la décision interlocutoire rendue le 7 décembre 2016 par le Tribunal administratif du travail (« TAT »), dans laquelle ce même article avait été déclaré inopérant pour atteinte à la liberté d’association. Cette décision du TAT faisait suite à une requête en accréditation déposée par l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (l’« Association ») pour représenter certains cadres de premier niveau de la Société des casinos du Québec (« Société »), notamment les superviseurs des opérations.

Dans sa décision, le TAT concluait que, puisque ces superviseurs sont exclus de l’application du Code, ils ne peuvent bénéficier de certains droits protégés par la liberté d’association, notamment le droit de négocier collectivement, de négocier des conditions de travail importantes ou d’avoir accès à un tribunal spécialisé en droit du travail1.

De plus, le TAT était d’avis que même si les superviseurs des opérations peuvent être membres de l’Association et participer à ses activités, notamment en choisissant leurs représentants ou en contrôlant l’administration financière, ceci ne suffit pas pour faire pleinement valoir leur droit à la liberté d’association, car ils ne peuvent pas former une association indépendante, la reconnaissance de l’Association étant faite sur une base volontaire par l’employeur2. Dans ce contexte, la Société a demandé la révision judiciaire de la décision interlocutoire du TAT3.

Décision de la Cour supérieure en contrôle judiciaire

La Cour supérieure a cassé la décision interlocutoire du TAT. Le Tribunal reconnaît que bien qu’il y ait eu à certains égards entrave à la liberté d’association des superviseurs des opérations, cette entrave découlait des gestes de nature privée de la Société et non pas de la responsabilité de l’État4, ce qu’il aurait fallu prouver pour conclure à l’inconstitutionnalité de l’article 1(l)1o du Code. L’entrave substantielle à la liberté d’association de ces superviseurs provenait, notamment, des modifications unilatérales apportées aux conditions de travail, sans que l’Association n’ait été consultée ou avisée, et du comportement de la Société qui allait à l’encontre des préceptes d’une véritable négociation collective de bonne foi, un facteur essentiel à la liberté d’association selon la Cour suprême5. Ceci étant, cette obligation de négociation de bonne foi ne relevait pas de la responsabilité de l’État, mais bien de celle de la Société. 

Le Tribunal conclut donc que l’exclusion des cadres du régime de rapports collectifs du Code constitue plutôt la conséquence et non pas l’intention du législateur derrière l’adoption de l’article 1(l)1o, qui est non pas d’exclure les cadres, mais plutôt de rassembler les salariés non-cadres, de faciliter leur syndicalisation6 et d’éliminer les risques de conflits d’intérêts et de confusion entre les rôles professionnels7.

En réponse à la conclusion du TAT selon laquelle les superviseurs des opérations ne disposent pas d’un tribunal spécialisé pour entendre leurs plaintes, le Tribunal souligne que toute personne qui subit une atteinte à ses libertés fondamentales peut exercer un recours devant un tribunal compétent en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne ou de l’article 49 de la Charte québécoise. À cet égard, le Tribunal distingue les faits de la décision Dunmore8, dans laquelle les travailleurs ne pouvaient pas bénéficier de la Charte canadienne ou d’autres lois en matière d’emploi, ni même du droit de se regrouper en association sous quelque forme que ce soit. Dans le cas sous étude, les superviseurs des opérations se sont associés et leur association a été reconnue par la Société pour gérer les relations de travail. D’ailleurs, des négociations ont eu lieu entre les parties relativement aux conditions de travail. Ainsi, en dépit du fait que ces superviseurs sont exclus du Code, ils bénéficient toujours de la protection de la Charte canadienne et de la Charte québécoise, ainsi que de celle offerte par d’autres lois, notamment la Loi sur les normes du travail9. 

Cette décision de la Cour supérieure est marquante compte tenu que l’exclusion des cadres du Code s’avère une question constitutionnelle qui, pour la première fois, fait l’objet d’un débat au Québec10. Soyez toutefois avisés que l’Association a entrepris des démarches pour porter cette décision en appel. Ainsi, restez à l’affût de nos prochaines publications pour connaître la suite de ce dossier! 

Les auteures souhaitent remercier Caitlin McCann, stagiaire en droit, pour sa contribution à la rédaction de cet article.



1 Paragr. 25 et 147.
2 Paragr. 139.
3 Paragr. 1.
4 Paragr. 4.
5 Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27.
6 Para 123.
7 Para 125.
8 Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94.
9 Paras 245-246.
10 Para 33.

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