Le prisme d’analyse propre à la saisie avant jugement : distinctions avec le débat sur le fond du litige

Le 15 décembre dernier, dans la décision Mercedes-Benz Financial Services Canada Corporation c. Seweha1, la Cour d’appel du Québec a rappelé qu’en matière de saisie avant jugement, l’analyse de la suffisance des allégations doit être faite à la lumière des allégations contenues dans la déclaration sous serment soumise à son soutien, et non en vertu des allégations contenues dans la demande introductive d’instance.

 

Les faits

En mai 2021, la cliente (défenderesse en l’instance) se présente chez un concessionnaire pour l’achat d’un véhicule. La cliente s’engage alors contractuellement à effectuer des paiements mensuels à la demanderesse, à savoir la cessionnaire du contrat de vente à tempérament intervenu (le « Contrat ») et la propriétaire du véhicule.

Or, la cliente fait défaut de procéder aux paiements pour le véhicule. La demanderesse tente alors de lui signifier un avis de repossession, mais la cliente et le véhicule ne peuvent pas être localisés aux coordonnées indiquées dans le Contrat. Après de plus amples vérifications, la demanderesse estime qu’elle a fait l’objet d’une fraude de la cliente, qu’il existe un risque sérieux qu’elle ne puisse recouvrer sa créance et que le véhicule disparaisse. En effet, la cliente ne travaillait plus chez l’employeur mentionné dans sa demande de crédit. De plus, son dossier de crédit s’était substantiellement détérioré et il était devenu impossible de la contacter au numéro de téléphone et à l’adresse courriel indiqués au Contrat.  

La demanderesse s’est donc adressée à la Cour du Québec afin d’obtenir une saisie avant jugement de l’automobile, sur la base d’une déclaration sous serment d’une de ses représentantes. La saisie est autorisée par la Cour. La demanderesse dépose de façon concomitante une demande introductive d’instance comportant une conclusion visant à la déclarer seule propriétaire du véhicule, et à déclarer bonne et valide la saisie avant jugement effectuée (la « Demande »).

La défenderesse conteste la validité de cette saisie et en demande la cassation, notamment au motif d’insuffisance et de fausseté des allégations. Elle demande également le rejet de la Demande.

 

La décision de la Cour du Québec2

Le juge de première instance circonscrit d’abord le débat à la suffisance des allégations, puisque la défenderesse n’était pas présente à l’audition, et ne pouvait ainsi faire la preuve de la fausseté des allégations comme l’avocat de la demanderesse ne pouvait la contre-interroger sur les faits allégués dans sa déclaration sous serment.

Au soutien de sa demande en annulation de la saisie avant jugement, la défenderesse soutenait que la Demande ne comportait pas de conclusion valable et que le processus de reprise du véhicule prévu à la Loi sur la protection du consommateur3 (« LPC ») n’avait pas été respecté.

En ce qui a trait au premier moyen de droit invoqué par la défenderesse, la Cour note que la Demande ne comporte aucun volet monétaire ou relatif à la relation contractuelle prévalant entre les parties. De plus, la Cour observe que la déclaration de propriété recherchée ne comporte aucune utilité pratique, alors que le Contrat prévoit expressément que la demanderesse demeure propriétaire jusqu’à parfait paiement. La Cour estime donc que la Demande ne fait valoir aucune créance dont il serait nécessaire de protéger le recouvrement.  

Par la suite, la Cour observe que la LPC balise le droit de reprise d’un véhicule dans le contexte d’un contrat de vente à tempérament, alors qu’un avis préalable doit être transmis au consommateur et que la reprise doit être ordonnée par la Cour. La Cour note qu’en l’espèce, aucun avis ne semble avoir été transmis à la défenderesse, et donc que la demanderesse tente de détourner ce processus en demandant à la Cour de confirmer son droit de propriété sur le véhicule.

La Cour, en se limitant à une analyse des allégations de la Demande et en omettant d’analyser les allégations de la déclaration sous serment au soutien de la demande de saisie avant jugement, conclut que les constatations précitées justifient la cassation de la saisie.

 

La décision de la Cour d’appel du Québec

La demanderesse s’est adressée à la Cour d’appel afin que ce jugement soit infirmé.

La Cour d’appel revient d’abord sur les principes devant être suivis par un tribunal qui est appelé à rendre une décision concernant une demande d’annulation d’une saisie pour cause d’insuffisance ou de fausseté des allégations contenues. Le juge doit ainsi décider de la validité de la saisie à la lumière des faits allégués dans la déclaration sous serment. Ces faits doivent non seulement être tenus pour avérés, mais démontrer également une crainte sérieuse, objective et justifiée par des faits précis que la créance est en péril.

La Cour d’appel estime que ce processus n’a pas été suivi par le juge de première instance puisqu’il a omis d’analyser les allégations contenues dans la déclaration sous serment. Il a plutôt choisi de s’attarder aux conclusions de la demande introductive d’instance.  

La Cour d’appel observe que le juge a plutôt fait le procès de la Demande au fond, ce qui n’est pas indiqué au stade d’une demande d’annulation de saisie avant jugement. Ainsi, la Cour d’appel a déterminé qu’il n’était pas approprié de faire le procès du droit recherché par la demanderesse d’être déclarée propriétaire du véhicule, ou de considérer l’application de la LPC au Contrat.  

La Cour d’appel estime que l’analyse des allégations de la déclaration sous serment aurait entraîné la conclusion que la saisie avant jugement était bonne et valide, alors que l’appelante possédait une créance et qu’il était fait mention de plusieurs circonstances laissant croire que celle-ci était en péril (ex. : versements échus, impossibilité de joindre la cliente, abandon de l’emploi, baisse draconienne de la cote de crédit).

La Cour infirme donc le jugement de première instance et rejette la demande d’annulation de la saisie avant jugement.

 

Conclusion

Cette décision de la Cour d’appel du Québec est un rappel intéressant du cadre d’analyse d’une demande d’annulation de saisie avant jugement et du fardeau de preuve au stade de la suffisance des allégations. Elle souligne également l’importance des allégations contenues dans la déclaration sous serment au soutien d’une demande de saisie avant jugement, surtout au stade de l’analyse de la suffisance des allégations.

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1 2021 QCCA 1893.
2 Mercedes-Benz Financial Services Canada Corporation c. Seweha, 2021 QCCQ 7087.
3 Chapitre P-40.1.

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