Le droit de préemption municipal

Saviez-vous que la ville ou la municipalité dans laquelle se situe votre propriété pourrait bénéficier d’un droit de préemption sur cette dernière, soit le droit de l’acheter en priorité sur toute autre personne?

En effet, l’adoption, le 9 juin 2022, de la Loi modifiant diverses dispositions législatives principalement en matière d’habitation (la « Loi ») a accordé aux villes et aux municipalités de la province, de même qu’aux sociétés de transport en commun et aux régies intermunicipales (chacune, une « entité municipale »), le pouvoir d’assujettir certains immeubles de leur territoire à un droit de préemption en leur faveur, le tout en modifiant, entre autres, la Charte de la Ville de Montréal, métropole du Québec, la Loi sur les cités et villes, le Code municipal du Québec et la Loi sur les sociétés de transport en commun. Précisons que la Ville de Montréal, jusqu’à l’adoption de cette Loi, était la seule ville du Québec à posséder un tel pouvoir.

Les entités municipales concernées peuvent donc désormais décider d’assujettir un immeuble, s’il est situé sur un des territoires préalablement déterminés par leur réglementation, à un droit de préemption. Dans un tel cas, un propriétaire qui conclurait une offre ou une promesse d’achat avec un tiers devrait notifier les modalités et conditions de cette offre à l’entité en question, qui pourrait alors opter, dans un délai de soixante jours, d’acheter l’immeuble en priorité, selon ces mêmes modalités et conditions.

Pour ce faire, l’entité municipale devra d’abord adopter la réglementation nécessaire, laquelle devra prévoir non seulement le ou les territoires sur lesquels un tel droit de préemption pourra être exercé, mais aussi les fins auxquelles les immeubles pourront être ainsi acquis. Par la suite, si elle décidait d’exercer son pouvoir à l’égard d’un immeuble situé dans un territoire prévu à sa réglementation, un avis d’assujettissement au droit de préemption devra être notifié au propriétaire de l’immeuble et inscrit au registre foncier. Un tel avis d’assujettissement devrait prévoir la durée pour laquelle il est valide, la Loi limitant cette durée à un maximum de dix ans.

Ainsi, même si un propriétaire omettait ou oubliait de divulguer un tel droit de préemption à un acheteur intéressé avant la conclusion d’une offre ou d’une promesse d’achat, le droit de préemption devrait être révélé lors des vérifications d’usage au registre foncier.

Le rédacteur d’une offre ou d’une promesse d’achat portant sur un immeuble assujetti à un droit de préemption devrait considérer, lors de sa rédaction, le délai de soixante jours dont l’entité municipale dispose (commençant lorsque celle-ci est notifiée par avis de l’intention d’aliéner du propriétaire) pour indiquer au propriétaire qu’elle décide d’acheter l’immeuble en question selon les mêmes modalités et conditions que celles de l’offre ou de la promesse d’achat. L’entité municipale pourra, pendant cette période de soixante jours, exiger du propriétaire certains renseignements en lien avec l’immeuble, de même qu’accéder à l’immeuble (à la suite d’un préavis de quarante-huit heures) pour y réaliser des études ou des analyses.

Si la vente ou l’aliénation de l’immeuble se réalise avec le tiers offrant, à la suite de la renonciation de l’entité municipale d’exercer son droit de préemption, celle-ci doit procéder à la radiation de l’avis d’assujettissement au registre foncier.

Si l’entité municipale décide d’exercer son droit de préemption, le tiers qui désirait acheter l’immeuble peut être dédommagé pour les dépenses raisonnables engagées lors de sa négociation du prix et des conditions de la vente envisagée.

Finalement, précisons que la vente d’un immeuble assujetti à un tel droit de préemption pourrait être frappée de nullité si le propriétaire n’a pas préalablement notifié l’entité municipale concernée de son intention d’aliéner l’immeuble.

Sachez toutefois qu’une entité municipale ne peut utiliser ce droit de préemption pour forcer un propriétaire à se départir de son bien immobilier, un tel droit de préemption, par définition, ne trouvant application que si le propriétaire de l’immeuble y étant assujetti entend déjà aliéner ou vendre l’immeuble. De même, le droit de préemption devant être exercé par l’entité municipale aux mêmes conditions que celles prévues à l’offre d’achat conclue entre le propriétaire et le tiers offrant, le propriétaire aura eu l’occasion de déterminer lui-même le prix de vente de l’immeuble.

 

Pistes de réflexion

Une des conséquences pratiques que nous entrevoyons à l’égard d’un immeuble assujetti à un droit de préemption est la diminution de l’intérêt d’acheteurs potentiels qui pourraient ne pas souhaiter investir temps et ressources dans la négociation d’une offre d’achat sans savoir si l’entité municipale exercera son droit de préemption ni s’ils seront dédommagés complètement pour les frais et dépenses encourus dans le processus, notamment en ce qui concerne les vérifications diligentes. Dans un tel contexte, les parties pourraient convenir que les frais de certaines études ou vérifications seront assumés par le vendeur en contrepartie d’une augmentation correspondante du prix d’achat de l’immeuble, si la transaction d’achat se réalisait. À la suite de l’adoption de la Loi, il est probable qu’une jurisprudence éventuelle vienne préciser la nature des sommes déboursées par le tiers offrant qui devront être remboursées par l’entité municipale exerçant un droit de préemption.

Par ailleurs, rappelons qu’un tel droit de préemption ne devrait pas trouver application dans le cadre d’une aliénation par un propriétaire au bénéfice d’une personne qui lui est liée en vertu de la Loi sur les impôts (en application des troisièmes alinéas des articles 572.0.4. de la Loi sur les cités et villes, 1104.1.4. du Code municipal du Québec et 92.0.4. de la Loi sur les sociétés de transport en commun). Toutefois, peut-on penser qu’il serait aussi possible d’éviter l’application d’un tel droit de préemption en procédant non pas par l’aliénation de l’immeuble, mais plutôt par la vente d’actions d’une société détentrice de l’immeuble?

Il sera en effet intéressant d’observer si la notion d’aliénation de l’immeuble, aux lois mentionnées ci-dessus, sera élargie ou, au contraire, interprétée restrictivement dans les prochaines années par les différents acteurs et les cours de justice.

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