Le Bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) lance ses premières enquêtes

Le 11 juillet 2023, le Bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) a annoncé qu’il lançait deux enquêtes sur des allégations de recours au travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement et les activités de deux entreprises canadiennes.

Plus précisément, l’OCRE enquêtera sur des plaintes contre Nike Canada Corp. et Dynasty Gold Corporation, qui entretiendraient des relations avec des entreprises chinoises qui violent les droits de la personne en ayant recours au travail forcé de Ouïghours. L’OCRE a également publié des rapports d’évaluation initiale relatifs à chaque plainte.

Ce sont les premières enquêtes de l’OCRE, nommé par décret en 2019 et doté d’un large mandat : promouvoir la responsabilité des entreprises conformément aux normes reconnues internationalement1.

 

L’OCRE : processus de plainte et d’enquête

L’OCRE examine les allégations d’atteintes aux droits de la personne commises par des entreprises canadiennes actives à l’étranger dans les secteurs du vêtement, des mines et des hydrocarbures. Il peut enquêter notamment sur des entités étrangères contrôlées directement ou indirectement par une entreprise canadienne2. Pour être admissibles, les actes ou omissions allégués doivent avoir été commis après le 1er mai 2019.

Le processus de traitement des plaintes de l’OCRE comporte plusieurs étapes3.

  1. Réception/recevabilité : L’OCRE effectue d’abord une collecte de renseignements informelle pour déterminer la recevabilité de la plainte4. Avec le consentement du plaignant, il peut communiquer avec l’entreprise canadienne nommée dans la plainte afin d’obtenir des informations additionnelles qui l’aideront à statuer sur la recevabilité5. La plainte est jugée recevable si elle porte sur une atteinte alléguée à un droit de la personne reconnu internationalement qui découle des activités d’une entreprise canadienne du secteur du vêtement, des mines ou des hydrocarbures après le 1ermai 2019. La décision sur la recevabilité n’est pas une décision sur le bien-fondé de la plainte6. S’il conclut que la plainte est recevable, l’OCRE en avise l’entreprise défenderesse et lui transmet un résumé des allégations recevables7.
  2. Évaluation initiale : L’OCRE peut entreprendre une évaluation initiale de la plainte axée sur la résolution du problème, le dialogue et les négociations encadrées. Fait important, il peut rédiger un rapport d’évaluation initiale qui pourra être rendu public une fois que l’entreprise défenderesse aura eu la possibilité de présenter des observations sur son contenu, notamment sur le caractère confidentiel de certains renseignements8.
  3. Examen/enquête : L’OCRE entreprend un examen des faits et transmet aux parties un avis au moins 10 jours avant d’annoncer publiquement la tenue d’une enquête. Pendant l’examen, l’OCRE peut procéder à une recherche indépendante ou conjointe des faits, par exemple en interrogeant les parties et d’autres personnes9. Bien que les entreprises ne soient pas tenues de participer au processus d’examen et d’enquête, l’OCRE peut tirer des conclusions défavorables de leur abstention. Il pourrait, par exemple, déterminer qu’une partie n’agit pas de bonne foi10. Pour collaborer de bonne foi avec l’OCRE, les entreprises doivent notamment respecter les protocoles de confidentialité et ne commettre aucun acte de représailles contre les parties plaignantes11. Enfin, l’OCRE peut recommander au ministre l’adoption de mesures commerciales : par exemple, les ministères et organes gouvernementaux pourraient retirer ou refuser leur soutien commercial ou financier12, 13.
  4. Médiation : Bien que la médiation soit possible tout au long du processus, l’OCRE l’offre officiellement aux parties après l’évaluation initiale14
  5. Recommandations et suivis : Au terme de son examen, l’OCRE rédige un rapport final contenant des recommandations, par exemple le recours à l’arbitrage, le renvoi aux autorités ou aux organismes de réglementation, l’octroi d’une compensation financière, la présentation d’excuses officielles ou la modification des politiques de l’entreprise canadienne15. L’OCRE peut aussi présenter au ministre des recommandations quant au financement et aux services fournis par le gouvernement du Canada16. Il peut ensuite effectuer un suivi de la mise en œuvre de ses recommandations. Soulignons qu’avant de publier un rapport provisoire ou final, l’OCRE doit donner aux personnes concernées la possibilité de présenter des observations17.

En l’absence de plainte, l’OCRE peut entreprendre un examen de son propre chef18.

 

Les plaintes contre Nike Canada et Dynasty Gold et les rapports d’évaluation initiale

Les plaintes ont été déposées par une coalition de 28 organisations, dont le Conseil canadien des femmes musulmanes, le Conseil canadien des imams, Lawyers for Humanity, l’Association musulmane du Canada et le Canadian Security Research Group19. Les plaignants fondent leurs allégations sur les normes internationales relatives aux droits de la personne qui interdisent l’esclavage, à savoir la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention sur le travail forcé de l’Organisation internationale du Travail.

À l’appui de leurs allégations, les plaignants citent notamment les conclusions d’un rapport de 2020 de l’Australian Strategic Policy Institute (ASPI) intitulé Uyghurs for sale20. Selon ce rapport, plus de 82 entreprises auraient participé à l’exploitation d’usines, en Chine, où environ 80 000 Ouïghours sont forcés de travailler21. L’ASPI allègue que des atteintes aux droits de la personne – travail forcé, ségrégation, surveillance, restriction des pratiques religieuses – sont dénoncées depuis 201722.

Selon la plainte déposée contre Nike, l’entreprise aurait fait appel à de nombreuses usines situées dans des camps de travail forcé pour Ouïghours. Avant de lancer son enquête officielle, l’OCRE a rencontré séparément les plaignants et des représentants de Nike23. L’entreprise soutient qu’elle satisfait aux obligations de diligence raisonnable en matière de travail forcé et a publié des déclarations où elle réitère son engagement à agir de façon éthique et responsable. Elle a toutefois refusé de participer à une rencontre d’évaluation initiale avec l’OCRE24. Elle refuse aussi la médiation pour l’instant, sans toutefois fermer complètement la porte25.

Dynasty, une entreprise minière constituée en société en Colombie-Britannique, exploite la mine Hatu dans la région chinoise du Xinjiang. Elle est présentement engagée dans une bataille juridique contre une entreprise locale quant à la propriété et au contrôle de cette mine. Les plaignants affirment que la question du contrôle opérationnel ne change rien au devoir de diligence raisonnable de Dynasty en matière de droits de la personne26. L’OCRE indique que, dans les mois suivant la plainte, ses tentatives d’échanger avec Dynasty et d’organiser des rencontres d’évaluation ont échoué27. Pour sa part, Dynasty soutient qu’il n’existe aucune preuve à l’appui des allégations et qu’elle a cessé toute activité dans la mine depuis  plus de 10 ans28.

 

Points importants pour les entreprises canadiennes

Ces premières enquêtes de l’OCRE témoignent de la volonté du gouvernement du Canada d’accroître la responsabilité et la reddition de comptes en matière d’atteintes aux droits de la personne commises à l’étranger par des entreprises canadiennes. En effet, le Canada a récemment adopté la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes, qui entrera en vigueur d’ici quelques mois29. Cette loi impose aux entreprises des obligations de transparence et prévoit des amendes pour différentes infractions, y compris la communication de renseignements faux ou trompeurs. Le Canada a par ailleurs adopté des mesures ciblant précisément le travail forcé des Ouïghours en Chine, notamment en obligeant les entreprises actives dans la région du Xinjiang à signer la Déclaration d’intégrité sur la conduite des affaires avec des entités du Xinjiang.

Afin de satisfaire aux exigences, les entreprises canadiennes doivent porter attention aux activités de l’OCRE et aux éventuels changements touchant son mandat et ses pouvoirs d’enquête. Elles doivent examiner proactivement leurs processus de diligence raisonnable à toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement pour se conformer aux règles internationales sur les droits de la personne. Elles doivent notamment évaluer et respecter leurs obligations en vertu des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales et des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de l’ONU.

Si l’OCRE ne peut actuellement ni contraindre une entreprise à fournir des renseignements ni imposer des sanctions, les entreprises canadiennes doivent tenir compte des risques réputationnels découlant des enquêtes et des rapports publics, sans oublier les risques de poursuite.

Dans les prochaines semaines, l’OCRE devrait publier sur son site Web les rapports d’évaluation initiale associés à 11 plaintes en cours30.

Les auteurs tiennent à remercier Inès Bagaoui-Fradette, étudiante en droit, pour sa précieuse contribution à cet article.

__________

1 Voir par exemple les Principes directeurs de l’OCDE et les Principes directeurs de l’ONU.
2 Décret C.P. 2019-299 (le « décret »), paragr. 1(2).
3 Gouvernement du Canada, Guide pour déposer une plainte auprès de l’OCRE, 16 juin 2023.
4 Gouvernement du Canada, Procédures opérationnelles du Mécanisme de responsabilisation des droits de la personne de l’OCRE (les « Procédures »), art. 5.11 et 5.7.
5 Gouvernement du Canada, Procédures opérationnelles du Mécanisme de responsabilisation des droits de la personne de l’OCRE, 3 août 2021, art. 5.17.
6 Procédures, art. 5.7 et 5.8
7 Procédures, art. 6.
8 Procédures, art. 8 et 16.
9 Procédures, art. 10.
10 Procédures, art. 12.4, 12.6 et 13.7.
11 Ibid.
12 Procédures, art. 12.7.
13 Décret, art. 10.
14 Procédures, art. 9.
15 Décret, art. 11; Procédures, art. 13.
16 Décret, art. 12.
17 Décret, art. 14 et 16.
18 Procédures, art. 10.
19 OCRE, Rapport d’évaluation initiale : Nike Canada Corp., 11 juillet 2023, annexe 1.
20 Australian Strategic Policy Institute, Uyghurs for sale, 1er mars 2020.
21 Ibid.
22 Ibid.
23 OCRE, Rapport d’évaluation initiale : Nike Canada Corp., 11 juillet 2023.
24 OCRE, Rapport d’évaluation initiale : Nike Canada Corp., 11 juillet 2023, paragr. 27.
25 Id., paragr. 40.
26 OCRE, Rapport d’évaluation initiale : Dynasty Gold Corp., 11 juillet 2023.
27 Id., paragr. 3.
28 Id., paragr. 38.
29 Projet de loi S-211 : Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes, 2023, ch. 9.
30 L’OCRE lance des enquêtes sur deux entreprises canadiennes (canada.ca)

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