Lancer ou ne pas lancer une enquête interne pendant la crise de la COVID-19 : telle pourrait être la question

Avec la crise sanitaire de la COVID-19 et ses multiples impacts sur les entreprises et leurs employés, les opérations, les prestataires de services et les valeurs mobilières, il est raisonnable de s’attendre à une surveillance accrue de la part des organismes de réglementation, des organismes gouvernementaux et des parties privées pendant et après la crise. La crise actuelle augmente également considérablement le risque que les employés, les partenaires commerciaux, les initiés et les prestataires de services soient mêlés à des situations délicates, y compris des pratiques douteuses au sein de l’entreprise, délibérées ou non, qui pourraient engendrer la nécessité d’une enquête interne.

Les priorités ont changé à la lumière de l’évolution de la crise de la COVID-19 et les ressources humaines et en capital ont peut-être été réattribuées. Dans ce contexte, les entreprises pourraient envisager de retarder une enquête interne qui aurait normalement commencé immédiatement. Pour évaluer s’il convient de reporter une enquête interne, les entreprises doivent tenir compte des risques supplémentaires pouvant résulter d’un tel retard.

 

A. Questions à examiner avant de retarder une enquête interne

Les questions suivantes doivent être soigneusement examinées avant de choisir de retarder une enquête interne :

  • Dans des conditions normales, la situation ou la conduite donnerait-elle lieu à une réponse immédiate de l’entreprise sous la forme d’une enquête interne?
  • Dans des conditions normales, les contrôles et procédures internes auraient-ils couvert la situation et/ou empêché qu’elle se produise
    • La situation ou la conduite s’est-elle produite dans un contexte de travail à distance, de déplacement, de confinement, d’utilisation accrue d’appareils technologiques personnels pour le travail ou de scénarios connexes?
    • L’entreprise a-t-elle revu et amélioré ses contrôles et procédures internes à la lumière des nouvelles politiques mises en place en réponse à la crise?
    • La situation ou la conduite révèle-t-elle des faiblesses ou des défaillances dans les contrôles et procédures internes de l’entreprise?
  • La situation est-elle maîtrisée ou est-elle plutôt susceptible de se répéter, d’avoir un impact sur plus de personnes ou de créer des dommages supplémentaires pour l’entreprise si la source du problème n’est pas détectée et gérée rapidement?
    • Le report de l’enquête interne entraînera-t-il une non-conformité continue?
  • La situation ou la conduite comporte-t-elle des risques réglementaires, juridiques, financiers ou de réputation potentiellement graves?
    • Ces risques sont-ils intensifiés parce que la situation est survenue dans le contexte de la crise de la COVID-19?
  • La situation ou la conduite mettent-elles en danger les systèmes internes, les données ou les autres actifs essentiels de l’entreprise?
  • Le report de l’enquête compromettra-t-il les sources pertinentes de données, de documents ou d’autres informations et limitera-t-il l’accès aux témoins clés?

 

B. Préservation et protection des informations privilégiées

La protection des informations confidentielles et privilégiées est essentielle à une enquête interne bien menée étant donné la possibilité d’enquêtes réglementaires et de procédures pénales, criminelles et civiles. Il est donc primordial que les conseillers juridiques internes et externes accordent une attention particulière à la protection des informations confidentielles et privilégiées au cas où une enquête interne était lancée et menée. Le retard de l’enquête peut poser de sérieux risques pour la sécurité des informations confidentielles et privilégiées. Il peut ainsi avoir un impact sur l’état de préparation de l’entreprise à faire face à des litiges et à des enquêtes réglementaires.

Chaque enquête interne devrait être entamée en ayant cette protection à l’esprit. Dès le départ, un protocole d’enquête interne doit être mis en place. Ce protocole devrait inclure les éléments suivants :

  • L’objectif de l’enquête, y compris la nécessité de fournir des conseils juridiques et/ou de se préparer et de répondre à une enquête réglementaire ou à un litige.
  • L’identité et le rôle de chaque membre de l’équipe d’enquête interne.
  • Un protocole pour garantir que toutes les communications restent au sein de l’équipe d’enquête et se réfèrent à l’objectif premier de l’enquête, tel que défini par le conseiller juridique interne ou externe.
    • Il est important de garder en tête que le simple fait d’étiqueter des documents comme « privilégiés et confidentiels » ou comme couverts par le « secret professionnel de l’avocat » s’est révélé insuffisant pour rendre un document contesté protégé.1
  • L’enquête interne devrait être menée selon le principe de la connaissance sélective afin d’éviter une renonciation à la protection et de limiter toute ambiguïté quant au rôle des membres de l’équipe d’enquête et l’objectif de l’enquête.

La crise actuelle présente nombre de nouveaux défis pour les entreprises, les conseillers juridiques internes, les administrateurs et les dirigeants, notamment quant au pourquoi, au quand et au comment inhérents aux enquêtes internes, y compris aux circonstances extraordinaires exposant l’entreprise à des risques juridiques, de réglementation ou portant atteinte à sa réputation. Il est important d’évaluer soigneusement la situation ou la conduite susceptible de donner lieu à une enquête interne et de déterminer s’il est ou non dans l’intérêt de l’entreprise de l’entreprise de la retarder.

Il y aura une fin à la pandémie de la COVID-19. Dans l’intervalle, les entreprises doivent continuer à identifier, gérer et atténuer les risques juridiques, réglementaires et de réputation afin d’éviter de faire face à une nouvelle crise lorsque celle-ci sera terminée.


1 Howard c. London(City), 2015 ONSC 156, par. 67.