La violation du pacte de préférence : le rôle du courtier et l’évaluation du préjudice

Le présent article constitue une version modifiée d’un commentaire initialement paru aux Éditions Yvon Blais en avril 2020 (EYB2020REP2935).

Le devoir d’agir pour les intérêts de son client demeure au cœur de l’exercice d’un contrat de courtage immobilier, et ce, même dans les situations les plus délicates, comme en témoigne la décision Ferme Robert Séguin & Fils 2005 inc. c. Hobé1.

Dans cet arrêt, la Cour supérieure rejette le recours en dommages-intérêts introduit contre une agence de courtage immobilier poursuivie solidairement avec les vendeurs qu’elle représente. Le tribunal conclut que la responsabilité des vendeurs était engagée en raison de la violation d’un pacte de préférence consenti au bénéfice de la demanderesse, sans toutefois tenir le courtier responsable de cette faute.

La demanderesse louait un lot appartenant à ses voisins, les vendeurs, pour y pratiquer l’agriculture. Le bail prévoyait un pacte de préférence au bénéfice de la demanderesse. Au cours de la période de mise en vente de l’immeuble, la demanderesse indique ne pas être intéressée à payer le prix exigé.

Les vendeurs acceptent ainsi une offre d’achat de tiers acheteurs. Dans le cadre des démarches précédant la passation de titre, le courtier est informé de l’existence du pacte de préférence. Considérant la baisse considérable du prix offert, la demanderesse reconsidère l’achat de l’immeuble et manifeste au courtier son intention d’égaler l’offre d’achat.

Les vendeurs, niant la validité du pacte de préférence, refusent de considérer la vente à la demanderesse et devancent la signature de l’acte de vente au bénéfice des tiers acheteurs. Le courtier communique alors avec la demanderesse, lui indique qu’elle représente les vendeurs et lui suggère de mandater son propre courtier immobilier, sans lui divulguer que l’immeuble sera vendu aux tiers acheteurs le jour même. Bien qu’à cette occasion le courtier se soit retrouvé dans une position extrêmement délicate, le tribunal est d’avis que sa conduite n’a pas dévié de la norme d’un courtier prudent et diligent.

La demanderesse réclamait le remboursement des dommages causés par la violation du pacte de préférence, notamment la différence entre la valeur marchande et le prix de vente de l’immeuble. Dans ce contexte, la Cour détermine que le prix de vente consenti aux tiers acheteurs devait être considéré aux fins de la détermination de la valeur marchande de l’immeuble.

* * *

Commentaire : Alors que le tribunal reconnaît l’illégalité de la transgression du pacte de préférence par les vendeurs, il avalise la décision du courtier de ne pas avoir divulgué leur stratégie de devancer la transaction.

En l’espèce, le juge se trouve à privilégier les devoirs du courtier de promouvoir les intérêts de la partie qu’il représente et de préserver la confidentialité des informations qu’il recueille par rapport à ses obligations de conseiller et d’informer avec objectivité toutes les parties à une transaction de tout facteur pouvant affecter défavorablement les parties ou l’objet même de la transaction2.

La jurisprudence établit que les obligations d’objectivité et de transparence doivent primer en matière de divulgation d’information se rapportant à l’état de l’immeuble, ses défauts connus ainsi que les dépenses connues ou envisageables. Toutefois, la situation est beaucoup moins claire en ce qui a trait aux renseignements de nature stratégique qu’une partie souhaite faire valoir dans ses négociations avec son cocontractant.

Il demeure que les courtiers immobiliers doivent régulièrement tenir compte d’obligations déontologiques conflictuelles, notamment lorsqu’ils reçoivent des confidences de leurs clients3 ou agissent à titre de courtier unique pour un acquéreur potentiel dont les intérêts sont habituellement opposés à ceux du vendeur. Ainsi, nous croyons que le courtier immobilier ne peut être appelé à se prononcer ou même agir de manière à trancher des situations conflictuelles comme celle en l’espèce. De telles situations relèvent plutôt de la compétence du conseiller juridique.

* * * 

Dans le cadre de l’évaluation du préjudice découlant de la violation d’un pacte de préférence, le tribunal sera amené à déterminer la valeur marchande de l’immeuble au moment de la vente.

À la lumière des Normes de pratique professionnelle de l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec4, la Cour indique que le prix de vente consenti à un tiers acheteur en contravention d’un pacte de préférence doit être considéré dans le cadre du calcul de la valeur marchande de l’immeuble, puisque celui-ci fait partie intégrante des prix de vente récents obtenus pour la propriété dans un délai relativement court après que soit survenu le défaut de contracter.

Pareil raisonnement pourrait, à notre avis, également s’appliquer en matière d’acceptation d’offres multiples sur un même immeuble ou de refus de donner suite à une promesse d’achat inconditionnelle.



1  2019 QCCS 5028. Cette décision a été portée en appel. Un avis de règlement a été produit le 20 mars 2020.
2  Règlement sur les conditions d’exercice d’une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité, C-73.2, r. 1, art. 15, 83, 85 et 88.
3  Par exemple quant à son opinion sur la valeur de l’immeuble ou quant aux concessions qu’il est disposé à faire pour enfin parvenir à une transaction.
4  Le tribunal réitère par ailleurs le caractère coercitif de ces normes : Ordre des évaluateurs agréés du Québec, Normes de pratique professionnelle, en ligne.