La confidentialité de documents et d’intérêts commerciaux dans le cadre d’une action collective : critères et preuve prépondérante

Dans l’affaire Option Consommateurs c. Société des loteries du Québec (Loto-Québec)1, la Cour supérieure du Québec a rendu, le 29 novembre 2021, une décision d’intérêt sur la préservation de la confidentialité et la mise sous scellés de documents de la défenderesse et d’un tiers dont la communication pourrait porter atteinte à leurs intérêts commerciaux respectifs.

Cette décision constitue un rappel et une rare mise en application des principes juridiques afférents à la préservation de la confidentialité et à la restriction de la publicité des débats judiciaires en matière commerciale, dont la mise en œuvre sera tributaire d’une preuve prépondérante.

 

I. Le différend

Au cours de l’année 2016, Option Consommateurs (la « Demanderesse ») a institué une action collective à l’encontre de la Société des loteries du Québec (« Loto-Québec »). La Demanderesse alléguait que le jeu Slingo laissait faussement croire que son fonctionnement et son déroulement étaient entièrement le fruit du hasard, alors que ses résultats étaient prédéterminés avec l’acquisition d’une carte de jeu.

Après l’autorisation d’exercer une action collective, les parties ont conclu une entente de confidentialité pour encadrer et préserver la confidentialité des documents qu’elles étaient susceptibles de s’échanger pendant l’instance (l’« Entente »). Suivant la communication par Loto-Québec de différents documents pendant l’instance en vertu de l’Entente, dont ceux faisant l’objet du débat concernant la commercialisation de jeux de loterie et leur fonctionnement (les « Documents confidentiels »), la Demanderesse informait Loto-Québec de son intention de les utiliser publiquement aux fins de l’instance, en dépit de ce que prévoyait l’Entente.

Loto-Québec s’adressa donc à la Cour pour obtenir l’émission d’une ordonnance de confidentialité et de mise sous scellés des Documents confidentiels et de toutes références à ceux-ci. Seuls les avocats impliqués dans le litige et leurs experts respectifs auraient accès à ces documents, et ce, à l’exclusion de toute autre personne, notamment les membres du groupe visés par l’action collective.

À titre de rappel, une ordonnance de confidentialité (non-divulgation ou non-communication) a pour objet de permettre la production d’une information pertinente au dossier de la Cour afin qu’elle soit discutée et considérée par le tribunal à l’exclusion du public ou même d’une partie. Pour sa part, une ordonnance de mise sous scellés vise à faire en sorte que le public ou des tiers ne puissent avoir accès aux documents produits au dossier de la Cour.

 

II. Le jugement de la Cour supérieure

A. Le cadre juridique applicable

Sous la plume de l’honorable Johanne Mainville, j.c.s., la Cour supérieure rappelle le principe cardinal de notre système de justice, soit le caractère public des débats judiciaires en conformité avec les préceptes de la Charte canadienne des droits et libertés2 et de la Charte des droits et libertés de la personne3.

Cependant, l’article 12 du Code de procédure civile prévoit que le tribunal peut faire exception au principe de la publicité des débats, notamment s’il considère que l’ordre public, incluant la protection d’intérêts légitimes importants, justifie que l’accès à un document ou à un renseignement qu’il contient soit interdit ou restreint.

Le fardeau de démontrer que l’accès à un document ou à un renseignement est de nature à entraver un intérêt légitime important incombe à la partie sollicitant l’ordonnance de protection, dont la démonstration doit tenir compte des critères cumulatifs établis par la Cour suprême du Canada4 :

a) La publicité du débat pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

b) L’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque;

c) Les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

Une fois la démonstration faite de la satisfaction de ces critères, la Cour bénéficie du pouvoir discrétionnaire d’émettre une ordonnance limitant l’accès ou la communication de renseignements ou de documents, en fonction des circonstances en présence.

B. L’adjudication du différend quant aux Documents confidentiels

Malgré la pertinence des Documents confidentiels aux fins du litige, la nature des ordonnances sollicitées par Loto-Québec aurait pour effet de limiter l’accès de ces documents au public, à la personne désignée et aux membres du groupe visés par l’action collective, ce qui porterait atteinte à la publicité des débats judiciaires.

Les ordonnances sollicitées par Loto-Québec s’appuyaient sur deux déclarations assermentées. L’une provenait de l’entreprise tierce ayant développé le jeu Slingo, alors que l’autre provenait d’un responsable de la commercialisation du jeu auprès de Loto-Québec, ce qui a notamment permis d’établir les éléments suivants :

a) Les Documents confidentiels contiennent de l’information quant au code, aux scénarios de jeu, au fonctionnement et aux résultats possibles du jeu Slingo;

b) Le jeu Slingo est offert à d’autres entités publiques et privées en Europe et en Amérique du Nord;

c) Le jeu Slingo est exploité en vertu d’une licence octroyée à Loto-Québec qui prévoit sa confidentialité et l’obligation de protéger toute information relative au jeu;

d) Loto-Québec et l’entreprise ayant développé le jeu Slingo ont toujours considéré l’information y relative comme hautement confidentielle et commercialement sensible, tant en regard d’autres entreprises de l’industrie du jeu qu’en regard des usagers du jeu Slingo, dont la divulgation leur causerait préjudice.

Pour sa part, la Demanderesse n’a administré aucune preuve en réponse aux ordonnances sollicitées par Loto-Québec, pas plus qu’elle n’a interrogé les auteurs des déclarations susmentionnées.

Malgré les prétentions de la Demanderesse indiquant que les règles et les différents scénarios de résultats du jeu Slingo sont accessibles publiquement parce que n’importe quel joueur ou entreprise s’intéressant au jeu pourrait les identifier, la Cour doit tenir compte de la preuve non contredite administrée par Loto-Québec, laquelle ne peut simplement être écartée sur la base de représentations à l’audience.

En l’espèce, la preuve prépondérante que les Documents confidentiels ont toujours été traités ainsi par Loto-Québec et sont visés par une entente de confidentialité, dont la divulgation entraînerait sa violation. Au surplus, la divulgation des Documents confidentiels serait de nature à porter atteinte aux intérêts commerciaux névralgiques de l’entreprise ayant développé le jeu Slingo et à ceux de Loto-Québec.

Par conséquent, la Cour s’est dite satisfaite que les Documents confidentiels concernent un intérêt commercial important qui serait menacé de façon sérieuse par la diffusion publique de ces documents. En outre, la Cour s’est déclarée satisfaite de l’absence de mesure alternative raisonnable et efficace aux ordonnances recherchées par Loto-Québec dans les circonstances. Elle a également conclu que leur portée n’était pas disproportionnée ni déraisonnable étant donné que les parties au litige, leurs avocats et leurs experts pourront avoir accès aux Documents confidentiels aux fins du litige.

La Cour a ainsi octroyé les ordonnances sollicitées par Loto-Québec et prononcé à la fois une ordonnance de confidentialité et une ordonnance de mise sous scellés en regard des Documents confidentiels.

 

III. Conclusion

La décision dans l’affaire Option Consommateurs c. Société des loteries du Québec (Loto-Québec) est utile, car elle rappelle les principes afférents à la préservation de la confidentialité d’intérêts commerciaux et de documents dans un contexte commercial. Cette décision rappelle également aux parties susceptibles de solliciter des ordonnances analogues l’importance d’administrer une preuve probante de la confidentialité de l’information en cause pour justifier une exception au principe de la publicité des débats.

Par ailleurs, il ressort de la décision de la Cour supérieure que le fait que ce litige soit une action collective ne constitue pas en soi une considération pertinente à l’analyse relative à la restriction de la communication ou à la diffusion publique d’information.

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1 Option Consommateurs c. Société des loteries du Québec (Loto-Québec), 2021 QCCS 4954.
2 Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, (R-U), 1982, c 11.
3 RLRQ, chapitre C-12.
4 Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25.