La communication de documents préalablement à l’autorisation d’une action collective sous la LVM

Contexte procédural

Dans la foulée des procédures de l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») dans l’affaire Amaya, notamment contre Amaya et son Président-directeur général (« PDG »), David Baazov, relativement à des allégations de délit d’initié et de communication d’informations privilégiées, une action collective fondée sur l’article 225.4 de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec (« LVM ») a été intentée. Les requérants y allèguent que les défendeurs ont fait un usage illégal d’information privilégiée non-publique, ont publié des informations fausses ou trompeuses et ont fait défaut de divulguer des faits négatifs importants, faisant ainsi en sorte de gonfler artificiellement le prix des actions d’Amaya (« action collective Amaya »).

Pour être autorisée, une action collective introduite en vertu des dispositions de la LVM doit (1) être intentée de bonne foi et présenter une possibilité raisonnable que le demandeur ait gain de cause sur le fond. L’article 225.4 de la LVM énonce ce qui suit :

“225.4 L’action en dommages-intérêts intentée en vertu de la présente section doit être préalablement autorisée par le tribunal.

La demande d’autorisation énonce les faits qui y donnent ouverture. Elle doit être accompagnée du projet de demande introductive d’instance et être signifiée par huissier aux parties visées, avec un avis d’au moins 10 jours de la date de sa présentation.

Le tribunal accorde l’autorisation s’il estime que l’action est intentée de bonne foi et qu’il existe une possibilité raisonnable que le demandeur ait gain de cause. »

La Cour suprême du Canada a établi que pour s’acquitter du fardeau de preuve relatif au second critère de l’article 225.4 LVM, les requérants doivent présenter des éléments de preuve suffisants et crédibles à l’appui de leur demande. Le seuil exigé pour satisfaire le critère de la possibilité raisonnable prévu à l’article 225.4 de la LVM est plus élevé que le critère applicable à l’autorisation d’intenter une action collective en vertu des règles habituelles du Code de procédure civile du Québec (« CPC ») :

“[39] Pour démontrer une possibilité raisonnable d’avoir gain de cause, le demandeur doit offrir une analyse plausible des dispositions législatives applicables, et il doit également présenter des éléments de preuve crédibles à l’appui de sa demande. Cette approche est celle qui, à mon avis, permet le mieux de réaliser l’intention qu’avait le législateur lorsqu’il a instauré le mécanisme de filtrage : faire en sorte d’écarter les demandes qui n’ont guère de chances d’être accueillies — et d’éviter que l’on y consacre en vain temps et argent. Je suis d’accord avec la Cour d’appel, cependant, pour dire que l’étape de l’autorisation prévue par l’art. 225.4 ne doit pas être traitée comme un mini-procès. Il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse complète de la preuve. Si le mécanisme de filtrage a pour objectif d’écarter les poursuites opportunistes coûteuses et celles qui ont peu de chances d’être accueillies, il s’ensuit que les exigences en matière de preuve ne doivent pas être lourdes au point d’être pratiquement identiques à celles d’un procès. De telles exigences compromettraient l’objectif du mécanisme de filtrage, soit de protéger les émetteurs assujettis contre les poursuites opportunistes et les recours non fondés et coûteux. Ce qui est exigé, c’est une preuve suffisante pour convaincre le tribunal de l’existence d’une possibilité raisonnable que le demandeur ait gain de cause. »1

Demande de communication de documents

Dans l’action collective Amaya, les requérants ont présenté une demande préalable à l’autorisation auprès de la Cour supérieure afin d’obtenir la communication de documents précis des défendeurs (la « Demande »). Cette Demande a été entendue par l’honorable Babak Barin, j.c.s. Dans la Demande, les requérants alléguaient avoir besoin de ces documents avant l’audition portant sur l’autorisation de l’action collective afin d’être en mesure de rencontrer leur fardeau de preuve et de démontrer à la Cour qu’ils avaient une possibilité raisonnable de gain de cause sur le fond. Ils ont donc déposé une demande en vertu des articles 20 et 251 du CPC pour que la divulgation de documents, comme la « Politique sur la divulgation, la protection de la vie privée et le commerce » d’Amaya et ses politiques d’assurance de la responsabilité civile des administrateurs et des dirigeants, soit ordonnée. Les articles pertinents du CPC se lisent comme suit :

« 20. Les parties se doivent de coopérer notamment en s’informant mutuellement, en tout temps, des faits et des éléments susceptibles de favoriser un débat loyal et en s’assurant de préserver les éléments de preuve pertinents.

Elles doivent notamment, au temps prévu par le Code ou le protocole de l’instance, s’informer des faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et des éléments de preuve qu’elles entendent produire.

251. La partie en possession d’un élément matériel de preuve est tenue, sur demande, de le présenter aux autres parties ou de le soumettre à une expertise dans les conditions convenues avec celles-ci; elle est aussi tenue de préserver l’élément matériel de preuve ou, le cas échéant, une représentation adéquate de celui-ci qui permette d’en constater l’état jusqu’à la fin de l’instruction.

Le tiers qui détient un document se rapportant au litige ou est en possession d’un élément matériel de preuve est tenu, si le tribunal l’ordonne, d’en donner communication, de le présenter aux parties, de le soumettre à une expertise ou de le préserver. »

Le juge Barin commente la demande des requérants2 :

“[21] To be clear, the issue of whether or not there is credible and sufficient evidence that demonstrates that Petitioners’ claim has a reasonable possibility of success on the merits is not at this juncture before the Court.

[22] What is before the Court and what Petitioners submit it must decide based on the rules of civil procedure applicable in Quebec is whether Petitioners are, at the pre-authorization stage, allowed to obtain disclosure of certain information and documents they claim is needed to unbolt the lock that has been placed on the gate before them.

La Cour souligne que les dispositions du CPC comblent le silence des autres lois sur les questions qu’elle aborde, y compris le silence de la LVM. Elle insiste également sur le fait que le CPC « requires the parties to be open with one another, keep each other informed and exercise their respective rights with the spirit of cooperation […] »3. La Cour fait tout particulièrement référence aux articles 221 et 222 du CPC, qui traitent des interrogatoires préalables à l’instruction, pour affirmer que le législateur est « interested in promoting the early search for truth rather than postponing it for procedural or other reasons »4

Le juge Barin conclut ainsi qu’il serait injuste et déraisonnable, compte tenu du fait que la Cour suprême du Canada impose aux requérants de fournir des éléments de preuve crédibles et suffisants pour démontrer une possibilité raisonnable d’avoir gain de cause au procès, de les empêcher d’avoir accès à des éléments de preuve leur permettant de rencontrer de fardeau: 

« [50] Even though a class action is a procedural vehicle and not a substantive right, it would be unfair on the one hand to request that a petitioner in a section 225.4 class action, furnish sufficient evidence to satisfy a requirement set out by the Supreme Court but then not permit it to have a justified, reasonable and measured opportunity to do so.

[51] To put it differently, if a lock has been placed n the gate through which a section 225.4 petitioner must pass before being permitted to continue with a class action, then that petitioner must be given a fair opportunity to try and unbolt that lock.

[52] To prevent a petitioner from resorting to such a possibility would not only deprive it of its procedural rights as they are set out in article 221 CCP for example – such a prohibition would certainly confront the specific cooperation direction set tout in article 20 – but it would also deprive the petitioner of its due process and fairness rights.”

Ceci étant dit, le juge Barin souligne que dans son analyse de la Demande, la Cour doit s’assurer que les requérants ne se lancent pas dans une recherche à l’aveuglette et que la portée de la divulgation se limite à ce qui est nécessaire, notamment afin d’éviter de nuire aux intérêts de tiers au litige et de retarder, de compliquer ou de compromettre le déroulement des procédures par une demande de preuve qui, au stade de l’autorisation préalable, n’aide pas à établir la possibilité raisonnable d’avoir gain de cause au procès5.

À cet égard, le juge Barin a élaboré un test en trois étapes à respecter par les requérants afin d’obtenir la divulgation de la preuve au stade préalable à l’autorisation. Le fardeau de convaincre la Cour du respect de ces trois critères repose sur les requérants :

1)    la preuve recherchée doit exister et être décrite et identifiée avec précision raisonnable;

2)    la preuve recherchée doit être pertinente;

3)    la preuve doit être nécessaire prima facie, afin de permettre aux requérants d’établir, selon le critère d’un « unprejudiced mind seeking the truth», qu’il est raisonnablement possible d’avoir gain de cause au procès.

En se fondant sur ce test, la Cour a conclu que la Demande des requérants respectait non seulement les exigences de coopération et d’ouverture prévues à l’article 20 CPC, mais aussi les considérations pratiques et d’équité qui sont essentielles à l’administration adéquate, efficace et économique de la justice.

À retenir

Les conclusions du juge Barin auront des répercussions sur la conduite des actions collectives intentées en vertu de la LVM.

Les requérants disposent dorénavant de moyens additionnels pour renforcer leur cause avec des renseignements / documents auxquels ils n’ont pas encore eu accès au moment de déposer leur demande d’autorisation.

Les requérants déploieront sans doute beaucoup d’efforts pour obtenir des documents avant l’autorisation afin de s’acquitter du fardeau de preuve spécifique à la LVM. Bien que la Cour énonce dans son jugement que la divulgation anticipée de ces renseignements pourrait donner aux parties une occasion de prendre des décisions éclairées, judicieuses et pragmatiques en ce qui concerne le déroulement des procédures, y compris la possibilité de régler à l’amiable la question6, on peut s’attendre à ce qu’inévitablement, de telles demandes allongent le déroulement des procédures et aient des répercussions sur les coûts engagés pour se défendre contre de tels recours.

Il est également à prévoir que ce jugement ait des répercussions sur la façon dont les avocats en demande dans le cadre d’actions collectives basées sur les règles usuelles du CPC qui tenteront inévitablement de s’en servir pour étendre la portée de leurs demandes interlocutoires préalables à l’autorisation.   


1 Theratechnologies inc. c. 121851 Canada inc., [2015] 1 R.C.S. 106, par. 39.
2 Derome c. Amaya inc., 2017 QCCS 44 (CanLII), 10 janvier 2017 (en anglais).
3 Derome c. Amaya inc., par. 46.
4 Derome c. Amaya inc., par. 49.
5 Derome c. Amaya inc., par. 69.
6 Derome c. Amaya inc., par. 89.

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