Divulgation à la partie adverse des coordonnées d’un témoin : rappel des principes applicables

Le 16 août 2021, la Cour du Québec (« Cour ») rendait un jugement dans l’affaire Unifirst Canada Ltd. c. 9766065 Canada inc., 2021 QCCQ 7946. La Cour était appelée à se prononcer sur une demande de gestion par laquelle la demanderesse requérait qu’il soit ordonné à la défenderesse de lui communiquer les coordonnées d’un témoin que cette dernière entendait assigner au procès. Cette demande était contestée par la défenderesse au motif que ledit témoin n’était pas son client mais bien un simple témoin à assigner lors du procès ne désirant pas que ses coordonnées soient partagées avec la partie demanderesse.

La Cour a le pouvoir d’ordonner la divulgation des coordonnées d’un témoin, celles-ci étant nécessaires à sa convocation.

D’abord, la Cour est d’avis que le paragraphe 5 de l’article 158 du Code de procédure civile, disposition permettant à la cour de statuer sur les demandes particulières faites par les parties à titre de mesure de gestion, lui octroie le pouvoir d’ordonner à l’avocat de la défenderesse de communiquer les coordonnées du témoin.

Elle se prononce ensuite sur les droits et obligations d’un témoin en matière civile et rappelle qu’un témoin peut être convoqué par chacune des parties, mettant l’accent sur la nécessité de posséder les coordonnées de celui-ci afin de l’assigner :

[9] En matière civile, l’article 269 C.p.c. permet la convocation de témoins par les parties et l’article 21 C.p.c. établit les droits et obligations du témoin convoqué. Le témoin a le devoir de se présenter, de témoigner et de dire la vérité. Il a le droit d’être informé par celui qui le convoque, de la raison de sa convocation et de l’objet de son témoignage ainsi que sur le déroulement de l’instance.

[10] Un même témoin peut être convoqué par chacune des parties. Ses obligations et devoirs demeurent les mêmes, quelle que soit la partie qui le convoque. Afin de convoquer un témoin, les coordonnées de ce témoin sont nécessaires.

Les témoins ne sont pas la propriété de la partie qui les convoque : ils sont les témoins de la cour et peuvent donc être rencontrés par chacune des parties.

La Cour justifie sa position en se référant à l’affaire R. c. F.B., 2014 QCCS 5388, rendue en matière criminelle, qui traite d’une demande faite au procureur de la poursuite de divulguer les coordonnées de deux témoins civils. La Cour supérieure se basait alors sur les règles développées dans la décision La Reine c. Mario Lepire, 2005 QCCQ 73298, qui régissent les rapports entre les avocats et les témoins :

  • les témoins ne sont pas la propriété de la partie qui les convoque ou les assigne, mais ils sont, en droit, des témoins de la cour et, à ce titre, chacune des parties est parfaitement habilitée et autorisée à rencontrer tous les témoins, y compris ceux de la partie adverse;
  • par ailleurs, le témoin doit consentir à la rencontre et à la discussion, puisqu’il n’est pas tenu de parler à l’avocat ou de répondre à ses questions, autrement que sous serment, à la cour;
  • (…)
  • lors de la rencontre avec le témoin, non représenté par avocat, comme c’est le cas ici, l’avocat a l’obligation d’informer la personne de son statut et de son intérêt et d’agir avec intégrité, loyauté et honnêteté.

L’avocat a l’obligation de garder confidentielles les coordonnées d’un témoin avant son assignation officielle.

Enfin, la Cour rappelle l’existence du critère de la sécurité du témoin tout en précisant qu’il ne s’agit pas d’un réel enjeu en matière civile, contrairement aux procédures criminelles. Elle retient toutefois l’obligation pour l’avocat de la demanderesse de ne pas communiquer directement les coordonnées du témoin avant son assignation officielle à la Cour, et ce, pour favoriser la protection des témoins et leur droit à la vie privée. De plus, elle souligne qu’il appartiendra au témoin de répondre ou non aux questions de l’avocat avant l’audition.

Pour tous ces motifs, la Cour ordonne à la partie défenderesse de communiquer les coordonnées du témoin, c’est-à-dire son adresse postale, son numéro de téléphone et son adresse courriel. En contrepartie, elle ordonne aux procureurs de la demanderesse de garder ces coordonnées confidentielles, sauf dans le cadre d’une convocation à l’audience.

Conclusion

Ce jugement réitère les balises encadrant la convocation de témoins en vue d’un procès civil. Tout comme en procédure criminelle, les témoins en matière civile n’appartiennent pas seulement à la partie qui les convoque, s’agissant plutôt des témoins de la cour. Par conséquent, chacune des parties est habilitée et autorisée à rencontrer tous les témoins, incluant ceux de la partie adverse.

Néanmoins, la Cour rappelle que l’avocat conserve l’obligation de garder la confidentialité des coordonnées obtenues. En effet, dans un souci de protection des témoins et du droit à la vie privée, l’avocat ne peut communiquer directement ces informations avant l’assignation officielle du témoin à la Cour.  

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