Le privilège relatif au montant des honoraires professionnels de l’avocat : la décision Kalogerakis c. Commission scolaire des Patriotes

Dans l’arrêt Kalogerakis c. Commission scolaire des Patriotes1 rendu le 21 mai 2014, la Cour du Québec s’est vue saisie de l’appel de deux décisions de la Commission d’accès à l’information (la « CAI ») rejetant des demandes de communication du montant des honoraires professionnels d’avocats mandatés par des organismes publics au motif qu’il s’agissait d’informations protégées par le secret professionnel de l’avocat.

Les faits

Dans une première affaire, le plaignant désirait savoir à combien se chiffraient les frais engagés par des commissions scolaires pour se défendre contre un recours collectif entrepris par des élèves dyslexiques et leurs parents. Cette information n’était connue que de peu de personnes à l’interne dans les commissions scolaires et n’était pas divulguée expressément dans leurs états financiers publics, mais plutôt amalgamée sous diverses rubriques. Néanmoins, dans le cadre du dossier, un seul avocat représentait toutes les commissions scolaires et son compte d’honoraires était partagé entre elles. Un tableau avait donc été créé afin d’assurer le suivi des paiements, celui-ci contenant le montant des honoraires dus sans autres précisions sur la nature des services rendus.

Dans la deuxième affaire, un citoyen souhaitait connaître le montant des honoraires payés par une ville dans le cadre d’un recours en responsabilité civile et en déontologie policière qu’il avait intenté contre elle. Il n’était pas possible d’isoler des comptes d’honoraires les frais payés dans ce dossier particulier. Cependant, ces frais apparaissaient précisément sur des bons de commande ainsi que sur des chèques émis par la trésorerie de la ville en paiement des honoraires professionnels.

Les décisions de la CAI

Dans le cadre de ces deux affaires, la CAI affirme que les comptes d’honoraires professionnels des avocats font partie de la relation avocat-client et qu’ils bénéficient à ce titre de la protection du secret professionnel. La CAI reconnaît cependant que la jurisprudence est plus nuancée lorsque l’information demandée relativement aux comptes d’honoraires ne révèle pas de détails quant aux services juridiques rendus ou ne porte que sur la question du montant des honoraires professionnels.

En ce qui concerne le tableau contenant le montant des honoraires préparé par les commissions et autres documents afférents, la CAI retient qu’aucune preuve ne permettait de réfuter la présomption voulant que le montant des frais juridiques soit protégé par le secret professionnel ou qu’il y ait eu renonciation à ce privilège. Par conséquent, elle maintient la décision des organismes impliqués de ne pas transmettre l’information.

Dans le cadre du dossier impliquant la ville, la CAI conclut que le compte d’honoraires professionnel est entièrement protégé par le privilège du secret professionnel et qu’il ne faut pas en distinguer les différents éléments, dont le montant des honoraires. La CAI ajoute qu’un tel privilège appartient à la partie ayant mandaté l’avocat et qu’il n’y avait pas eu renonciation en ce qui concerne le compte d’honoraires professionnel.

L’analyse de la Cour du Québec

À l’occasion de l’appel de ces deux décisions de la CAI, la Cour du Québec s’est penchée sur la question à savoir si les montants totaux des honoraires professionnels des avocats payés par les commissions scolaires et par la ville sont protégés par le secret professionnel et, le cas échéant, si cette information est protégée par le privilège relatif au litige.

Après une analyse approfondie et détaillée de la jurisprudence en la matière, la Cour énonce que les comptes d’honoraires des avocats ne sont pas automatiquement protégés par le secret professionnel, et ce, même lorsque le paiement ou le non-paiement des honoraires est requis ou lorsque seul le montant des honoraires payés est demandé par une partie.

La Cour explique en effet que chaque situation représente un cas d’espèce et qu’afin de savoir si l’information est couverte par le secret professionnel, le tribunal doit d’abord procéder à une analyse du contexte juridique particulier dans lequel elle est demandée. Il sera alors nécessaire de déterminer si cette information révèle la nature des services rendus, les conseils ou les avis donnés ou si l’information met en cause le caractère confidentiel de la relation professionnelle entre le client et l’avocat. En droit civil comme en droit criminel, il faut décider si l’information est privilégiée, et dans l’affirmative, il faut la preuve que l’on est en présence d’une exception reconnue pour passer outre à ce privilège.

Selon la Cour du Québec, en droit civil, lorsque le mandat confié est ponctuel et n’est pas complexe, celui qui invoque que l’information est protégée par le secret professionnel devra le démontrer. Cependant, une preuve simple et sommaire suffira pour établir la confidentialité et l’immunité de divulgation de celle-ci. À l’inverse, si le mandat est complexe et que son exécution s’étale sur une longue période, il existe alors une présomption réfragable à l’effet que l’ensemble des communications entre le client et l’avocat ainsi que les autres éléments d’information relatifs à cette relation sont privilégiés. Dans ces circonstances, la partie désirant obtenir l’information aura le fardeau de renverser cette présomption.

La Cour conclut son analyse en mentionnant que le compte d’honoraires professionnels est prima facie protégé par le secret professionnel parce qu’il contient généralement une description des tâches accomplies, des services rendus et souvent des conseils donnés. Cependant, on ne peut appliquer le même raisonnement lorsque le document ou l’information que l’on recherche ne vise que le montant des honoraires professionnels, sans aucun autre détail.

La décision de la Cour du Québec

Appliquant la norme de contrôle de la décision correcte, la Cour du Québec décide que la CAI a erré en procédant par automatisme dans son application du secret professionnel au montant des comptes d’honoraires. Par ailleurs, selon la Cour, la CAI n’aurait pas dû faire peser sur l’appelant le fardeau de démontrer que l’information en question n’était pas privilégiée.

Ainsi, pour ce qui a trait au dossier impliquant la ville, la Cour ordonne la transmission des bons de commande et des chèques émis en paiement des honoraires professionnels contenant uniquement le montant des honoraires professionnels, sans autres précisions sur la nature des services rendus.

Puis, quant aux montants des comptes d’honoraires contenus dans le tableau préparé par les commissions scolaires, la Cour en ordonne la communication, sous réserve de la décision que la CAI pourrait rendre concernant la question du privilège relatif au litige. En effet, considérant la conclusion de la Cour du Québec à l’effet que l’information recherchée en l’instance n’était pas en soi privilégiée, il devenait pertinent de déterminer si le montant des honoraires professionnels était malgré tout protégé par le privilège relatif au litige. Estimant qu’il revenait à la CAI de trancher cette question, la Cour lui retourne le dossier.


1 2014 QCCQ 4167.

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