Vérité, réconciliation et ordres professionnels : développements récents

Le 30 septembre 2021 marquait la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation au Canada, mais aussi le deuxième anniversaire de la publication du rapport Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès (la « Commission Viens ») qui avait émis plusieurs appels à l’action, en matière de santé et de services sociaux, et interpellé les ordres professionnels.

Dans sa décision rendue le 27 septembre dernier, le Conseil de discipline de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (« OIIQ »)1 condamnait l’une de ses membres à une peine de radiation d’un an et une peine de radiation de six mois, à être purgées de façon concurrente, relativement au décès tragique de Mme Joyce Echaquan. Cette décision très attendue, et la publication le lendemain du rapport d’enquête de la coroner Me Géhane Kamel2, soulignent à nouveau l’importance pour le milieu professionnel de s’attarder à la mise en œuvre de ces appels à l’action dans le cadre de leur mission de protection du public.

 

Rappel des faits

Le 28 septembre 2020, Mme Joyce Echaquan, une femme atikamekw de 37 ans, décédait d’une défaillance cardiaque alors qu’elle était hospitalisée au Centre hospitalier de Lanaudière, à Joliette. Une vidéo, captée par Mme Echaquan et diffusée en direct sur un réseau social peu avant son décès, montrait certains membres du personnel soignant adresser des propos racistes d’une rare violence à l’endroit de la patiente.

Bien que la coroner ait déterminé que le décès de Mme Echaquan est accidentel, elle a conclu par ailleurs qu’il est directement lié aux soins obtenus lors de son hospitalisation et qu’il aurait pu être évité. Par exemple, en raison de préjugés, la patiente a rapidement été étiquetée comme narcodépendante, ses appels à l’aide et la verbalisation de sa douleur n’ont pas été pris au sérieux et, contrairement aux politiques en place dans l’établissement, Mme Echaquan a été placée sous contention mécanique et chimique puis isolée sans surveillance constante.

 

Discrimination et droit disciplinaire

À la suite du décès de Mme Echaquan, l’OIIQ a porté une plainte disciplinaire à l’endroit de l’infirmière Paule Rocray qu’on peut entendre proférer des propos racistes alors qu’elle est au chevet de la patiente. La plainte lui reproche d’avoir fait preuve de violence verbale envers Mme Echaquan, allant ainsi à l’encontre de l’article 37 du Code de déontologie des infirmières et infirmiers (le Code de déontologie)3, et d’avoir fait preuve de négligence en ne procédant pas à l’évaluation requise à la suite d’une chute de la patiente, contrevenant ainsi à l’article 44 du Code de déontologie. L’infirmière a plaidé coupable aux deux chefs d’infraction et le Conseil de discipline a eu à se prononcer sur la recommandation conjointe quant à la sanction à imposer.

Malgré les circonstances particulières de l’affaire, aucun des deux chefs de la plainte n’évoque la discrimination. Or, le Code de déontologie des infirmières et infirmiers est l’un des seuls codes de déontologie des professions de la santé à être pourvu d’une disposition prohibant toute forme de traitement discriminatoire. Ainsi, l’article 2 du Code de déontologie prévoit que l’infirmière ou l’infirmier ne peut refuser de fournir des services professionnels à une personne en raison de la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge, la religion, les convictions politiques, la langue, l’ascendance ethnique ou nationale, l’origine ou la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

La décision est silencieuse quant au choix des dispositions de rattachement de la plainte. Nous notons, au passage, l’absence de jurisprudence quant à l’article 2 du Code de déontologie et quant à l’ancien article 57 du Code des professions, abrogé en 20204, prohibant également explicitement la discrimination.

Le Conseil de discipline traite plutôt de la discrimination comme élément de contexte et comme facteur aggravant au moment de la détermination de la sanction5. À cette étape, il juge d’ailleurs « préoccupant que l’intimée ne réalise pas que ses propos étaient discriminatoires envers les autochtones quoiqu’elle affirme que ce n’était pas son intention »6.

Le Conseil de discipline touche ici à un principe fondamental en matière de discrimination. Dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia7, la Cour suprême du Canada a établi que le décideur doit examiner l’effet discriminatoire des gestes posés ou des propos proférés, et non l’intention de leur auteur. En plus de rompre avec ce principe, le fait d’adopter, en droit professionnel, un cadre d’analyse différent s’attardant à l’intention subjective de l’intimée, serait difficilement compatible avec l’objectif de protection du public.

 

Vers une vision inclusive de la protection du public

La décision du Conseil de discipline et les recommandations de la coroner donnent la mesure des défis auxquels font face les ordres professionnels du domaine de la santé et des services sociaux.

À l’heure de la réconciliation, l’objectif de protection du public doit être envisagé dans une optique inclusive de la notion de « public » qui inclut les personnes autochtones ou issues de groupes historiquement marginalisés.

Ainsi, le rapport de la coroner sur les circonstances du décès de Mme Echaquan souligne, tout comme cela avait été souligné dans le rapport de la Commission Viens, la présence de barrières culturelles et de préjugés dans le cadre du traitement de Mme Echaquan. La coroner critique également le processus de plainte du CISSS de Lanaudière qui doit être repensé, selon elle, rappelant que seulement une dizaine de plaintes formulées par des personnes d’origine autochtone ont été recensées au CISSS de Lanaudière.

Parmi ses recommandations, la coroner invite le Collège des médecins du Québec à revoir la qualité des actes médicaux de la médecin responsable des hospitalisations en médecine familiale et de la résidente en gastrologie, toutes deux ayant prodigué les soins à Mme Echaquan lors de son hospitalisation en septembre 2020. Elle recommande également au ministère de l’Enseignement supérieur d’inscrire au cursus scolaire de ses établissements d’enseignement (collégial et universitaire) qui forment des médecins, des infirmières et des infirmières auxiliaires une formation portant sur les soins aux patients autochtones qui prenne en considération les réalités des communautés autochtones.

Ainsi, suivant les leçons de cette affaire, une vision inclusive de la protection du public pourrait comprendre les aspects suivants :

  • la formation des membres et des candidats à la profession aux réalités des personnes autochtones et d’autres groupes minoritaires ou historiquement marginalisés;
  • la sanction de la discrimination au moyen de la déontologie et la discipline;
  • l’accessibilité aux mécanismes de plainte disciplinaire pour les personnes issues de ces communautés (pensons aux barrières découlant de la langue ou de l’éloignement géographique) et la vulgarisation du rôle des ordres professionnels et des organismes régulateurs auprès de celles-ci;
  • un travail de prévention en amont, notamment par les mécanismes d’inspection professionnelle, et la formation des membres de l’ordre et de ses représentants (par exemple, syndics adjoints, comité des équivalences, etc.) à la diversité culturelle et l’inclusion.

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1 Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Rocray, 2021 QCCDINF 34. [Rocray]
2 Me Géhane Kamel, Rapport d’enquête, Loi sur la recherche des causes et circonstances des décès, pour la protection de la vie humaine concernant le décès de Joyce Echaquan.
3 Code de déontologie des infirmières et infirmiers, I-8, r.9.

4 Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions notamment dans le domaine buccodentaire et celui des sciences appliquées, LQ 2020, c 15.
5 Rocray, au par. 97.
6 Ibid., au par. 147.
7 [1989] 1 R.C.S. 143.

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