Un pas vers le droit à l’oubli… Une histoire à suivre

Alors que plusieurs projets de loi envisagent d’introduire un droit à la désindexation / au retrait dans les lois applicables en matière de protection des renseignements personnels tant au niveau fédéral que provincial, la Cour fédérale, dans le cadre d’un renvoi (2021 FC 723 – 8 juillet 2021) concernant l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (« la LPRPDÉ ») semble entrouvrir la porte vers une reconnaissance de ce « droit à l’oubli ».

À la suite d’une plainte déposée à l’encontre de Google, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (le « CPVP ») a soumis deux questions concernant l’application de la LPRPDÉ à ce moteur de recherche, plus particulièrement :

1. Est-ce que Google, dans le contexte de son service de moteur de recherche, recueille, utilise ou divulgue des renseignements personnels dans le cadre d’activités commerciales au sens de l’alinéa 4(1)a) de la LPRPDE lorsqu’elle indexe des pages Web et présente des résultats de recherche en réponse à des recherches quant au nom d’un individu?

2. L’exploitation du service de moteur de recherche de Google est-elle exclue de l’application de la partie 1 de la LPRPDE en vertu de l’alinéa 4(2)c) de la LPRPDÉ parce qu’elle implique la collecte, l’utilisation ou la divulgation de renseignements personnels à des fins journalistiques, artistiques ou littéraires et pour aucun autre but? [notre traduction]

Après avoir examiné le fonctionnement du moteur de recherche, la Cour fédérale a examiné les questions qui lui étaient posées. Elle répond par l’affirmative à la première : Google exerce une activité commerciale au sens de la LPRPDÉ. Par contre, elle répond par la négative à la seconde : les fins pour lesquelles Google traite les renseignements personnels ne sont pas journalistiques.

La Cour fédérale précise cependant que cette décision ne détermine en rien l’issue de la plainte déposée devant le CPVP, ni de son pouvoir de recommander la désindexation. 

Reste donc à voir les suites qui seront données à ce jugement par le CPVP qui avait suspendu l’examen de la plainte dont il était saisi à l’encontre de Google, mais aussi celles que le moteur de recherche pourrait vouloir y donner.

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En ce qui concerne la première question, à laquelle elle répond par l’affirmative, la Cour fédérale précise que : 

[40] Les sous-questions pertinentes pour cette première question sont de savoir si a) dans le contexte du fonctionnement du service de moteur de recherche de Google, lorsqu’elle indexe des pages Web et présente des résultats de recherche en réponse à des recherches portant sur le nom d’un individu, Google divulgue, collecte ou utilise des renseignements personnels, et b) si elle le fait dans le cadre d’activités commerciales. […]

[51] Google est une société à but lucratif et l’une des entreprises technologiques les plus prospères de l’ère moderne. […]

[52] La majeure partie des revenus de Google provient de la publicité. […]

[53] Les annonceurs paient à Google des frais chaque fois qu’un utilisateur clique sur une annonce dans les résultats de recherche Google ou effectue une action après avoir vu une annonce, comme le téléchargement d’une application.

[54] Étant donné que Google diffuse également des annonces sur des sites Web tiers, Google peut générer des revenus si un utilisateur accède à une page Web répertoriée dans les résultats de recherche Google, puis clique sur ou consulte une annonce fournie par Google affichée sur cette page.

[55] Google fait la promotion de ses activités publicitaires en mettant de l’avant la popularité de son moteur de recherche. […]

[56] Ce modèle d’affaires était anticipé lorsque le Parlement a adopté la LPRPDE. Le document de consultation du gouvernement du Canada qui a précédé la LPRPDE notait que le défi de l’ère électronique est qu’avec chaque transaction, nous laissons une trace de données qui peut être compilée pour fournir un dossier détaillé de notre histoire personnelle et de nos préférences (pièce D-1 de l’affidavit Ballott p. 23). Dans ce nouvel environnement, les renseignements personnels eux-mêmes deviennent une marchandise, à extraire et à utiliser à des fins lucratives (pièce D-1 de l’affidavit Ballott p. 23).

[57] C’est-à-dire que même si Google fournit des services gratuits aux fournisseurs de contenu et à l’utilisateur du moteur de recherche, elle a un intérêt commercial flagrant à connecter ces deux acteurs. Il existe un véritable échange entre Google et les utilisateurs de son moteur de recherche. En échange des informations affichées dans les résultats de recherche, les utilisateurs fournissent divers renseignements personnels (leur localisation, leurs préférences, leurs intérêts, leurs habitudes de consommation, etc.). Ces renseignements personnels sont utilisés à des fins lucratives.

[58] Et, afin d’attirer les utilisateurs, Google doit leur fournir les informations les plus précises et les plus personnalisées qu’ils recherchent.

[59] Par conséquent, à moins d’y être contrainte, Google n’a aucun intérêt commercial à désindexer ou à retirer des informations de son moteur de recherche. À mon avis, chaque élément de ce modèle d’affaires est une activité commerciale au sens de la LPRPDE. Porter un regard microscopique sur l’aspect gratuit (c’est-à-dire, aucun paiement en argent) de la recherche de l’utilisateur, ou sur l’aspect gratuit du service de bibliothèque fourni aux médias serait, à mon humble avis, mal comprendre le modèle économique de Google. Toutes ces activités sont étroitement liées, elles dépendent les unes des autres et elles sont toutes des composantes nécessaires de ce modèle d’affaires. [notre traduction]

En ce qui concerne la seconde question, à laquelle elle répond par la négative, la Cour fédérale indique :

[81] J’accepte que Google facilite l’accès à l’information, au même titre que les médias d’information. Je conviens également que faciliter l’accès à l’information est souvent associé à la « publication » de ladite information. […]

[82] À mon avis, les raisons pour lesquelles les hyperliens ne sont pas considérés comme des publications à des fins de diffamation sont également pertinentes pour les résultats de recherche – Google n’a aucun contrôle sur le contenu des résultats de recherche, les résultats de recherche eux-mêmes n’expriment aucune opinion et Google ne créée pas le contenu des résultats de recherche. […]

[86] À mon avis, le fonctionnement du moteur de recherche de Google, même lorsqu’on ne considère que les résultats de recherche pour le nom du requérant, ne satisfait pas à la définition du journalisme acceptée par la Cour dans Globe24h.

[87] L’aspect final et déterminant de cette analyse est la partie de l’alinéa 4(2)c) qui précise que celui-ci ne s’applique qu’aux organisations qui recueillent, utilisent ou divulguent des renseignements personnels à des fins journalistiques, et « à aucune autre fin ». […]

[89] Il est utile d’appliquer une analyse similaire à Google. L’objectif principal du service de moteur de recherche de Google est d’indexer et de présenter les résultats de recherche. Il ne s’agit pas d’un objectif principalement journalistique, car bien qu’il puisse faciliter l’accès à l’information, il ne contient aucune autre caractéristique distinctive du journalisme, comme le contrôle du contenu ou la création de contenu. Même si Google fournit du journalisme dans ses résultats de recherche, ces derniers ont clairement une portée beaucoup plus large que le journalisme.

[90] En somme, le service de moteur de recherche de Google n’est pas du tout exploité à des fins journalistiques, ou du moins il n’est pas exploité à des fins exclusivement journalistiques. […]

[94] […] Et à mon avis, il n’y a pas d’ambiguïté ici. Premièrement, le Parlement a limité la LPRPDE à la seule protection du « journalisme » et non de la liberté d’expression au sens large. […] Deuxièmement, le Parlement a limité la LPRPDE à la protection de la collecte, de la divulgation et de l’utilisation de renseignements personnels à des fins exclusivement journalistiques. Troisièmement, une compréhension populaire ou ordinaire du journalisme, telle que fournie par les journalistes eux-mêmes, n’englobe pas le service de moteur de recherche de Google.

[95] Par conséquent, je conclus que les fins de Google pour la collecte, l’utilisation et la divulgation de renseignements personnels pour son service de moteur de recherche ne sont pas journalistiques, et elles ne le sont certainement pas exclusivement. [notre traduction]

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