Titulaires de marques de commerce, attention aux pièges de traduction

Personne-ressource : Yann Canneva

Cet article a initialement été publié en anglais dans l’édition de avril-mai 2020 du magazine Canadian Lawyer InHouse. 

On dit qu’on n’a jamais une seconde chance de faire une première impression. Cet adage est aussi vrai pour les noms commerciaux et les marques de commerce. Dans un contexte d’économie mondialisée, ceux-ci peuvent revêtir des significations nouvelles et non intentionnelles dans d’autres marchés, parfois avec des résultats fort regrettables. 

En 2018, Audi a lancé un nouveau VUS entièrement électrique portant la marque « e-tron ». Cela sonne plutôt bien dans les milieux anglophones, mais au Québec et dans d’autres régions francophones du monde, la marque fait penser au mot « étron », qui signifie « excrément ». 

Vous avez peut-être aussi entendu parler de Hunt-Wesson Foods qui a commercialisé sa gamme de produits « Big John » au Québec sous le nom de « Gros Jos », jargon canadien-français désignant une poitrine plantureuse. Il existe d’autres exemples célèbres dans le domaine des marques de commerce, au Canada et à l’étranger. 

Les malencontreuses transpositions entre langues et cultures ne sont qu’un des risques. Le fait de ne pas prendre en compte le sens littéral et la connotation implicite des traductions, leur similitude phonétique ou conceptuelle avec un mot d’un autre groupe linguistique ou d’une autre région, ou encore leur ressemblance avec une marque utilisée ou enregistrée ailleurs, peut nuire à votre marque et compromettre sa protection sur un marché visé. N’oublions pas non plus les pièges de la translittération en différents alphabets ou systèmes d’écriture : les caractères chinois initialement utilisés par Coca-Cola pour créer l’équivalent phonétique le plus proche de sa marque pouvaient être interprétés comme signifiant « mordre le têtard de cire » et « jument farcie de cire » dans certains dialectes. Coca-Cola a rapidement apporté les corrections requises. 

Au Canada, l’égalité de statut du français et de l’anglais en vertu de la Constitution, ainsi que l’application à l’échelle nationale de la Loi sur les marques de commerce, font en sorte que la perception des consommateurs parlant l’une ou les deux langues est particulièrement pertinente. S’il existe un risque raisonnable de confusion parmi l’un de ces groupes, une marque ne peut être enregistrée. En effet, en droit canadien, le critère de la confusion tient compte non seulement de la première impression du consommateur moyen anglophone ou francophone, mais aussi de celle des consommateurs bilingues lorsque les circonstances le justifient. Ceci est d’autant plus important étant donné que la confusion, au sens de la Loi, peut résulter de l’utilisation d’une marque dans une seule région du Canada. 

Les titulaires de marques de commerce au Canada devraient donc prêter attention au risque de confusion entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans l’une ou les deux langues officielles. Après tout, il y a « des millions de Canadiens bilingues qui peuvent associer des mots dans une langue officielle à leur équivalent dans l’autre »1, ce qui est plus que suffisant pour donner lieu à… 

… la possibilité qu’une marque de commerce qui ne crée aucune confusion chez un francophone ou chez un anglophone, en crée une chez une personne bilingue par l’emploi de mots usuels, distincts en français et en anglais, mais renvoyant, chez une personne qui en connaîtrait le sens dans les deux langues, à une même réalité. Ainsi, dans l’arrêt Produits Freddy Inc., le mot « noixelle » pouvait ne rien dire à une personne anglophone, et le mot « nutella », ne rien dire à une personne francophone, mais il n’était pas impossible que l’emploi de l’un et l’autre de ces mots confonde une personne bilingue qui en connaîtrait le sens dans l’une et l’autre langue.2

Comme l’illustre ce qui précède, le risque de confusion entre les cultures et les langues en raison de similitude conceptuelle sera plus élevé pour les marques constituées ou dérivées de mots courants. 

La conclusion de tout cela est que les entreprises canadiennes devraient, au minimum, tenir compte des deux langues officielles lorsqu’elles choisissent une marque de commerce pour leurs produits et services. Par ailleurs, elles devraient envisager d’obtenir un avis sur la disponibilité de la marque auprès d’un professionnel des marques de commerce, non seulement pour la marque réelle, mais aussi pour ses traductions potentielles. Outre la disponibilité légale d’une marque de commerce dans les juridictions étrangères, il convient de réfléchir soigneusement à la manière dont la marque sera perçue par les acheteurs ayant des références et des sensibilités culturelles différentes. 

Lorsqu’une entreprise utilise une marque à l’échelle internationale, même si ce n’est que pour vendre des produits en ligne, les marchés les plus pertinents devraient être identifiés afin d’évaluer si la marque transmettra la bonne image et le bon message aux clients qui s’y trouvent. 

Enfin, il vaut mieux éviter les outils de traduction en ligne pour quelque chose de si important, et consulter plutôt des traducteurs professionnels ou des locuteurs natifs. Les expressions idiomatiques et régionales peuvent être un défi, et il est préférable de ne pas avoir à demander aux acheteurs de vous pardonner votre langage.


1 Pierre Fabre Médicament c. Smithkline Beecham Corp., 2001 FCA 13, [2001] 2 FC 636 à 639.
2 Ibid., 641-642.

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