En février, le ministre du Travail a déposé devant l’Assemblée nationale du Québec le projet de loi no 89, Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out, lequel vise à atténuer les répercussions des conflits de travail sur l’économie québécoise en modifiant, entre autres, le Code du travail.
Deux changements majeurs y sont proposés : d’une part, le projet de loi introduit la notion de services assurant le bien-être de la population et garantit leur maintien; d’autre part, il confère au ministre le pouvoir de déférer un arrêt de travail en cours à un arbitrage obligatoire.
Les modifications proposées
Premièrement, la notion de services essentiels est clairement établie en droit du travail; poursuivant dans cette direction, le projet de loi 89 introduit la notion de services assurant le bien-être de la population, la définissant comme « les services minimalement requis pour éviter que ne soit affectée de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population, notamment celle des personnes en situation de vulnérabilité ». Cette notion devra inévitablement être détaillée lors des débats parlementaires ou, éventuellement, par les tribunaux.
Les modifications proposées conféreraient au ministre du Travail le pouvoir de désigner, par décret, une association accréditée et un employeur à l’égard desquels le Tribunal administratif du travail (le « TAT ») pourra déterminer si des services assurant le bien-être de la population doivent être maintenus en cas de grève ou de lock-out, jusqu’à la conclusion d’une convention collective. À la demande de l’une de ces parties désignées, le TAT pourrait ordonner le maintien de ces services pendant les négociations en cours.
Dans les 15 jours suivant la décision du TAT, les parties devraient négocier les services assurant le bien-être de la population et soumettre leur entente au TAT pour qu’il en évalue la suffisance. À défaut d’accord, ou si l’entente est jugée insuffisante, le TAT pourrait déterminer lui-même les services à maintenir en cas d’arrêt de travail et la manière de le faire.
Même si le TAT ordonne le maintien des services assurant le bien-être de la population, la grève ou le lock-out se poursuivrait, sauf si des circonstances exceptionnelles justifient que le TAT en suspende l’exercice. Il est important de noter que les secteurs de la santé et de la fonction publique sont exclus de l’application de ces dispositions.
Deuxièmement, le projet de loi confère au ministre du Travail, à l’instar de son homologue fédéral, le pouvoir de mettre fin à un arrêt de travail en déférant le conflit à un arbitre de différends pour qu’il détermine les conditions de travail des salariés concernés. Pour ce faire, le ministre devrait déterminer qu’une grève ou un lock-out cause ou menace de causer un préjudice grave ou irréparable à la population, et que l’intervention d’un conciliateur ou d’un médiateur a échoué. À cet égard, les secteurs public et parapublic sont exclus, car le ministre ne peut effectivement être à la fois juge et partie dans une telle décision.
Que retenir?
Le projet de loi no 89 n’est qu’en tout début de processus, mais déjà de virulentes réactions se font entendre, particulièrement de la part de syndicats. Après avoir été présenté à l’Assemblée nationale, le projet de loi se dirige maintenant vers la prochaine étape de son cheminement législatif, soit celle des consultations en commission parlementaire. C’est à cette occasion que la portée réelle de certains concepts devrait être éclaircie.
Jusqu’à présent, plusieurs domaines ont été reconnus comme des services essentiels, comme les services de police, de lutte contre les incendies ainsi que correctionnels. Cependant, la notion de services assurant le bien-être de la population est nécessairement appelée à être plus large, et elle pourrait inclure des secteurs comme les transports en commun, les services offerts par les cimetières, ou encore certains services en milieu scolaire. Ainsi, tant des entreprises privées que des employeurs publics pourraient subir les répercussions des nouvelles dispositions si elles entrent en vigueur.
De plus, le critère des circonstances exceptionnelles qui permettrait au TAT de suspendre le droit de grève ou de lock-out des parties sera assurément débattu, et possiblement précisé à la suite des échanges sur le projet de loi.
Le droit de grève constituant souvent un levier majeur dans le rapport de force entre les syndicats et les employeurs, il est possible que quelques contestations soient logées afin de tester la validité et la portée du projet de loi no 89. Plusieurs organisations syndicales ont d’ailleurs déjà exprimé leur opposition à ce dernier. Fait intéressant, le projet de loi n’invoque pas la clause dérogatoire pour balancer les principes établis par la Charte canadienne des droits et libertés en matière de droit d’association. À cet égard, rappelons que la Cour suprême du Canada a statué en 2015, dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, que le droit de grève des travailleurs canadiens fait partie intégrante de la liberté d’association.
Par ailleurs, le ministre du Travail a lui-même affirmé que le projet de loi no 89 s’inspire des pouvoirs d’intervention conférés au ministre fédéral du Travail par le Code canadien du travail. D’autant plus que récemment, plutôt que d’intervenir par le biais d’une loi spéciale, le ministre fédéral a justement exercé ses pouvoirs afin d’intervenir dans plusieurs conflits majeurs, dont ceux impliquant, entre autres, les entreprises CN et CPKC, WestJet, le Port de Montréal ainsi que Postes Canada.
L’exercice de ces pouvoirs par le ministre fédéral du Travail fait actuellement l’objet de certaines contestations devant les tribunaux fédéraux. L’issue de celles-ci nous éclairera sans doute sur le sort du projet de loi no 89, et possiblement sur sa portée. Les employeurs perçoivent toutefois d’un œil positif ce projet de loi.
Nous continuerons à suivre de près l’évolution de cette importante réforme du droit du travail au Québec afin de vous tenir informés de la situation. Nous publierons un article sur les principaux développements du projet de loi no 89 en temps opportun.